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CACOZELIA LATENS: Les Odes sous les Odes

UNE NOUVELLE LECTURE DES ODES D'HORACE

Traduction inédite et commentaires par Jean-Yves MALEUVRE

 

I, 8
 
Dis-moi, Lydie, par tous les dieux,
Pourquoi cette hâte à détruire Sybaris par l’amour ?
Pourquoi a-t-il pris en horreur
La poussière du Champ de Mars et la lumière du soleil ?
 
Pourquoi ne parade-t-il plus
Parmi ses camarades, ni ne bride ses coursiers gaulois
Avec le mors à dents de loup ?
Pourquoi du Tibre blond craint-il de s’approcher ? Pourquoi
 
Evite-t-il l’huile des athlètes
Plus soigneusement que le sang de vipère ? Ses bras, pourquoi
Ne bleuissent-ils plus sous les armes,
Lui qui lançait le disque et le javelot bien loin du trait ?
 
Pourquoi se cache-t-il, tel le fils
De Thétis l’Océane aux temps déplorables de Troie,
Par crainte que des habits d’homme
Ne le jetassent vers le carnage et l’armée de Lycie ?

• TRADITION

Que Lydia et Sybaris soient ou non des pseudonymes, il est vain de chercher à savoir s’ils cachent des personnages réels.

• OBJECTION

L’âpreté de ton qui caractérise ce poème se justifierait mal pour des personnages imaginaires. On sent que l’auteur prend à cœur le sort de Sybaris, et qu’il en veut terriblement à Lydia. Mais surtout, s’il s’agissait de purs fantômes, se serait-il soucié d’envelopper sous d’inoffensives apparences des traits aussi acérés que le liuida, 10 (les bras couverts de bleus ? ou déjà livides ? cf. perdere, 3 ; funera, 15), ou que sanguine uiperino, 9 (peu d’exégètes soupçonnent que la vipère, c’est Lydia) ? Le lecteur est donc confronté à une énigme, et faillirait à sa tâche s’il l’éludait.

• PROPOSITION

Lydia et Sybaris masquent Terentia et Mécène.

• JUSTIFICATION

L’étroite liaison entre cette pièce et I, 5 a été observée depuis longtemps : par exemple, latet, 13 fait écho à antro (I, 5, 1), marinae Thetidis, 13-14 à maris deo (I, 5, 16), et l’on sait que le lit de roses (I, 5, 1) connotait traditionnellement le sybarite. Mieux, la vignette finale compare Sybaris à Achille cherchant à se cacher parmi les filles de Lycomède : or, le nom d’emprunt du héros en cette circonstance était précisément celui porté par l’héroïne de I, 5, Pyrrha…
Par ailleurs, le nom de Lydia, « la Lydienne », évoque spontanément la figure d’Omphale, cette princesse lydienne qui subjugua si bien le grand Hercule qu’elle l’amena à intervertir les rôles entre eux, elle portant la massue, lui travaillant au rouet. De même, Sybaris était naguère, comme Hercule, patiens pulueris atque solis (v. 4), et aujourd’hui, ayant abdiqué sa virilité entre les mains de sa maîtresse, le voilà lui-même devenu Omphale la Lydienne, alias Pyrrha, laquelle en I, 5 masquait Terentia, l’épouse de Mécène, et à ce titre « lydienne », synonyme d’étrusque.
Quant à Sybaris, sa véritable identité s’entoure de prime abord, comme celle de l’« Enfant » de l’ode 5, d’une sorte d’indétermination, car un tel pseudonyme renvoie directement au surnom de Thurinus, « homme de Thurium / Sybaris », qu’Octave, dit-on, porta dans sa jeunesse (Suét. Vie d’Auguste 7, 1-3 ; et voir l’ode III, 9) ; et Suétone (ibid. 83, 1) nous apprend qu’il renonça dès 34 ans aux exercices militaires de l’équitation et de l’escrime. Cependant, il est clair que nous sommes ici en présence du mari et non de l’amant : d’une part, Sybaris est totalement sous le joug, et il aime sans réciprocité (amando, 2 se rapporte plus à l’objet qu’au sujet, puisque Lydia veut « détruire », perdere, cet homme) ; d’autre part, Horace n’a que compassion pour lui, même si les lamentations de I, 5 ont laissé place à un ton nettement plus véhément.

 
 
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