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CACOZELIA LATENS: Les Odes sous les Odes

UNE NOUVELLE LECTURE DES ODES D'HORACE

Traduction inédite et commentaires par Jean-Yves MALEUVRE

 

I, 21
 
Chantez, ô jeunes filles, la déesse Diana ;
Chantez, garçons, le dieu du Cynthe aux longs cheveux
Et Latone qu’aima passionnément
Jupiter souverain.
 
Vous, l’amante des fleuves et des arbres chevelus
Qui se dressent là-haut sur l’Algide glacé,
Dans les noires forêts de l’Erymanthe
Ou sur le vert Cragus.
 
Vous, garçons, tout autant glorifiez Apollon,
Les vallons de Tempé, Délos qui le vit naître,
L’épaule signalée par un carquois
Et la lyre d’un frère.
 
La guerre avec ses pleurs, la famine et la peste,
De Kaisar et son peuple, il les repoussera
Sur les lointains Bretons et sur les Perses,
Emu par vos prières.

• TRADITION

Dans cette ode, simple exercice poétique sans doute, le poète exhorte la jeunesse romaine à louer Diane et Apollon en leur demandant de préserver Auguste et son peuple de toute calamité.

• OBJECTION

Si les commentateurs d’Horace sont en général peu regardants sur le chapitre de la servilité courtisane, certains n’ont cependant pas manqué de sursauter devant cette énormité qu’est le remplacement de la traditionnelle formule senatus populusque Romanus par un choquant populo et principe Caesare (v. 14). Mais ils s’empressent un peu trop vite d’en faire grief à l’auteur.

• PROPOSITION

Nouvelle attaque contre Kaisar.

• JUSTIFICATION

Nous sommes probablement ici en présence de ce solennel « chant latin », Latinum… carmen, qu’annonce l’ode 32, on le verra. Mais que cet hymne ait été ou non destiné à être vraiment chanté par des chœurs, il a en tout cas un caractère officiel très prononcé, et cela suffisait pour mettre son auteur sous haute surveillance. Plus que jamais, Horace se devait de présenter une façade irréprochable, sachant que chaque vers serait examiné à la loupe.
De fait, on chercherait en vain la moindre incartade dans les trois premières strophes. Sauf toutefois ce gros plan des v. 11-12 sur l’union du carquois et de la lyre. Apollon vengeur de la poésie et des poètes, ce thème sera longuement développé dans l’ode IV, 6. Et l’Iliade s’ouvre, on le sait, sur la colère d’Apollon qui, offensé à travers son prêtre, châtie les Achéens en décochant une flèche semeuse de peste. Or, c’est précisément la peste (outre la guerre et la famine), mise en relief par sa position et les puissantes allitérations labiales, que le poète dans la strophe suivante demande au dieu d’envoyer sur les Perses et les Bretons. On peut s’en étonner : Apollon n’est pas Mars, et la peste il la réserve aux sacrilèges, à ceux qui osent s’en prendre à ses prêtres et à ses servants. Il faut donc réviser l’interprétation commune, et cela à la lumière de ces nombreux passages des Odes qui appellent, ou paraissent appeler, Auguste à des expéditions lointaines (pour ce seul livre : 2, 51-2 ; 12, 53-6 ; 19, 10-12 ; 29, 4-5 ; 35, 29 suiv. ; 38, 1). Alors, tout s’éclaire : envoyer à l’autre bout du monde César ou la Guerre, c’est tout un, et d’ailleurs l’assimilation apparaît déjà chez Virgile et chez Catulle. Un Catulle qui par ailleurs intitulait Aurelius « père des famines » (Poème 21), et traitait Porcus et Socration de « lèpre et famine du monde » (Poème 47, 2).
La préposition a n’a donc pas, comme on le croit, un sens d’éloignement ou de séparation (« loin de César »), mais introduit l’agent (d’infection). Ruse difficilement transposable dans la traduction, mais qu’on a tenté ici d’approcher par le biais d’une gaucherie ostensible.
Horace connaissait trop bien Auguste pour croire une seule seconde que celui-ci s’aventurerait dans des entreprises aussi périlleuses que la guerre contre les Parthes ou le débarquement en Bretagne. Aussi la prière qu’il émet n’est-elle, si l’on ose dire, qu’une sorte de « vœu pieux », une manière d’exprimer un espoir irréalisable : puisque Rome, malgré Caton, malgré Brutus et Cassius, n’a pas pu se défaire du tyran, il ne reste plus qu’à souhaiter qu’il aille se casser les dents contre les vainqueurs de Crassus ou contre ces fiers Bretons que César Premier, en dépit de ses rodomontades, n’avait pas réussi à soumettre ; l’ode 35 réitérera ce vœu. Et si sa perte devait entraîner celle de son « peuple » (Caesaris sous-entendu avec populo), c’est-à-dire l’armée de ses partisans, ou… ses partisans armés (cf. III, 3, 24, avec la même élision : cum populo et duce fraudulento ; III, 6, 19-20 ; I, 37, 9-10), quel Romain digne de ce nom irait s’en désoler ?

 
 
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