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CACOZELIA LATENS: Les Odes sous les Odes

UNE NOUVELLE LECTURE DES ODES D'HORACE

Traduction inédite et commentaires par Jean-Yves MALEUVRE

 

I, 26
 
En l’amitié des Muses j’envoie tristesse et craintes
Aux vents sans frein pour qu’ils les noient en mer crétoise
Sans me soucier le moins du monde de savoir
Quel roi des glaces on craint sous l’Ourse,
 
Ou ce qui vers l’Orient fait trembler Tiridate.
O toi qui te complais aux sources inviolées,
Douce Pimpléenne, tresse des fleurs de grand soleil,
Tresse une couronne à Lamia,
 
L’ami que je chéris. Sans toi, tous mes hommages
Ne valent rien. Or donc, sur des cordes nouvelles,
Or donc, sous le plectre lesbien, consacrez-le,
Toi et tes sœurs, il le mérite.

• TRADITION

Dans cette piécette assez insignifiante, Horace recommande aux Muses son ami Aelius Lamia (Quintius ? Lucius ?), en précisant que lui-même, en tant que poète, se rit des potentats étrangers.

• OBJECTION

Ou bien la menace aux frontières est réelle, et Horace n’a pas le droit de s’en désintéresser ; ou bien elle est purement imaginaire, et le peu de sens qui restait à l’ode s’évapore. Il importe d’ailleurs de déterminer auquel des deux frères Lamia elle s’adresse.

• PROPOSITION

Le poète réaffirme fièrement, en complicité avec son ami Q. Aelius Lamia, sa détermination à préserver sa liberté de parole en dépit des menaces et des pressions du Régime.

• JUSTIFICATION

L’hommage rendu à Lamia n’est pas mince, car le terme corona, qui se dit ordinairement d’une guirlande de poèmes, suggère que Lamia reçoit en dédicace tout un ensemble de pièces, ce qui l’associe à Mécène (I, 1), à Virgile (I, 1 ; I, 2) et à Pollion (II, 1). S’agirait-il plus précisément par exemple des poèmes compris entre I, 26 et I, 38 ? Ces deux dernières pièces en effet, en se reflétant l’une dans l’autre, forment une manière de cadre, le pressant necte… coronam, « tresse une couronne », se retrouvant en nexae… coronae, « les couronnes tressées » (I, 38, 2), et decet, 12, « il sied », en dedecet, « il messied » (I, 38, 7). L’opposition est radicale entre Lamia qui aime et mérite la guirlande des Muses, et « l’Enfant » de I, 38 qui la déteste (odi, 1, « je hais »), leur préférant le myrte, fleur de Vénus. Deux races ennemies, deux races irréconciliables.
Autant dire qu’il y a peu de chances que, des deux frères Lamia, ce soit Lucius, partisan inconditionnel d’Auguste, qu’Horace ait ainsi voulu honorer : à ce personnage il réserve I, 36 (structurellement solidaire de I, 26), voire III, 17, c’est-à-dire du vent. C’est donc de Quintius, l’aîné, qu’il s’agit ici, et le decet du v. 12 pourrait tirer une délicatesse supplémentaire du fait que Quintius s’essayait, paraît-il, à la tragédie.
On ressent mieux à présent la force discriminante du possessif meo, 8 : MON Lamia, surtout pas l’autre, qui est l’homme lige d’un certain « Numide » que l’on démasquera en I, 36. De la même manière, Virgile dans la cinquième églogue opposait SON Daphnis (Catulle) à celui de l’Ennemi (César).
Les camps étant ainsi clairement définis, d’une part les Muses et leurs servants, de l’autre Vénus avec « l’Enfant-Roi » (cf. I, 36, 8), il va de soi que le tranquille défi lancé ici à des rois lointains (rex, 4) vise d’abord et avant tout le « roi de Rome ». N’est-il pas normal d’ailleurs que « Monsieur Hiver » (cf. I, 4) règne sur les régions polaires ? Et quant à Tiridate, la crainte que lui inspire Phraate est ultimement celle qu’Auguste, son protecteur, éprouvait devant ce même Phraate : ce n’est pas la seule fois dans les Odes que le despote romain se profile derrière la figure d’un chef parthe, ou perse (cf. surtout I, 2, 51-52 ; I, 17, 25 ; II, 2, 17 ; III, 9, 4).

 
 
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