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HORACE &... DU BELLAY

— Joachim Du Bellay (1522-1560) —

 

...chante tout ce qu'ont chanté
Homere, et Maron tant fameux,
Pyndare, Horace tant vanté,
Afin d'estre immortel comme eux.
 
Ode X
Au Seigneur Pierre de Ronsard

 

Du premier jour de l'an au Seigneur Bertran Bergier

Voicy le Pere au double front,
Le bon Janus, qui renouvelle
Le cours de l'An, qui en un rond
Ameine la saison nouvelle.
Renouvelons aussi
Toute vieille pensée,
Et tuons le soucy
De Fortune insensée.
Sus doncq', que tardons-nous encore?
Avant que vieillars devenir,
Chassons le soing, qui nous devore
Trop curieux de l'advenir.
Ce qui viendra demain
Ja pensif ne te tienne:
Les Dieux ont en leur main
Ta fortune, et la mienne.
Tu voy de nege tous couvers
Les sommetz de la forest nue,
Qui quasi envoye à l'envers
Le faiz de sa teste chenue.
La froide bize ferme
Le gosier des oyzeaux,
Et les poissons enferme
Soubz le cristal des eaux.
Veux-tu attendre les frimaz
De l'hyver, qui dejà s'appreste,
Pour faire de nege un amaz
Sur ton menton, et sur ta teste?
Que tes membres transiz
Privez de leur verdeur,
Et les nerfz endurciz
Tremblent tous de froideur?
Quand la saison amolira
Tes braz autresfois durs et roydes,
Adoncq' malgré toy perira
Le feu de tes moüelles froydes,
Que toute herbe, ou etuve,
Tout genial repas,
Mais tout l'Aethne et Vesuve
Ne rechaufferoint pas.
Mon filz, c'est assez combatu,
(Disoit la mere au fort Gregeois,)
Pourquoy ne te rejouys-tu
Avecq' ces filles quelques fois?
Les vins, l'amour consolent
Le triste coeur de l'homme:
Les ans legiers s'en volent,
Et la mort nous assomme.
Je te souhaite pour t'ebatre
Durant ceste morte saison,
Un plaisir, voyre trois, ou quatre,
Que donne l'amye maison:
Bon vin en ton celier,
Beau feu, nuyt sans soucy,
Un amy familier,
Et belle amye aussi,
Qui de son luc, qui de sa voix
Endorme souvent tes ennuiz,
Qui de son babil quelquesfois
Te face moins durer les nuitz,
Au lict follastre autant
Que ces chevres lascives,
Lors qu'elles vont broutant
Sur les herbeuses rives

Du retour du printens à Jan d'Orat

De l'hyver la triste froydure
Va sa rigueur adoucissant,
Et des eaux l'ecorce tant dure
Au doulx Zephire amolissant.
Les oyzeaux par les boys
Ouvrent à cete foys
Leurs gosiers etreciz,
Et plus soubz durs glassons
Ne sentent les poissons
Leurs manoirs racourciz.
La froide humeur des montz chenuz
Enfle deja le cours des fleuves,
Deja les cheveux sont venuz
Aux forestz si longuement veufves.
La Terre au Ciel riant
Va son teint variant
De mainte couleur vive:
Le Ciel (pour luy complaire)
Orne sa face claire
De grand' beauté nayve.
Venus ose jà sur la brune
Mener danses gayes, et cointes
Aux pasles rayons de la lune,
Ses Graces aux Nymphes bien jointes.
Maint Satyre outraigeux,
Par les boys umbraigeux,
Ou du haut d'un rocher,
(Quoy que tout brusle, et arde)
Etonné les regarde,
Et n'en ose approcher.
Or' est tens que lon se couronne
De l'arbre à Venus consacré,
Ou que sa teste on environne
Des fleurs qui viennent de leur gré.
Qu'on donne au vent aussi
Cest importun soucy,
Qui tant nous fait la guerre:
Que lon voyse sautant,
Que lon voyse hurtant
D'un pié libre la terre.
Voicy, dejà l'eté, qui tonne,
Chasse le peu durable ver,
L'eté le fructueux autonne,
L'autonne le frilleux hyver.
Mais les lunes volaiges
Ces celestes dommaiges
Reparent: et nous hommes,
Quand descendons aux lieux
De noz ancestres vieux,
Umbre, et poudre nous sommes.
Pourquoy doncq' avons-nous envie
Du soing qui les coeurs ronge, et fend?
Le terme bref de notre vie
Long espoir nous deffent.
Ce que les Destinées
Nous donnent de journées,
Estimons que c'est gaing.
Que scais-tu si les Dieux
Ottroyront à tes yeux
De voir un lendemain?
Dy à ta lyre qu'elle enfante
Quelque vers, dont le bruyt soit tel,
Que ta Vienne à jamais se vante
Du nom de Dorat immortel.
Ce grand tour violant
De l'an leger-volant
Ravist et jours, et moys:
Non les doctes ecriz,
Qui sont de noz espris
Les perdurables voix.

A Sa Lyre

Va donques maintenant, ma Lyre,
Ma Princesse te veult ouir.
Il fault sa table docte elire:
Là, quelque amy voudra bien lire
Tes chansons, pour la resjouir
Ta voix encores basse et tendre
Apren à hausser dès ici,
Et fay tes chordes si bien tendre,
Que mon grand Roy te puisse entendre,
Et sa royale epouze aussi.
Il ne fault que l'envieux die
Que trop hault tu as entrepris:
Ce qui te fait ainsi hardie,
C'est que les choses qu'on dedie
Au temple, sont de plus grand pris.
CAELO MUSA BEAT

Contre les Avaritieux

Toy, de qui la richesse excede
Celle que l'Afrique possede,
Et les grands thesors non touchez
Qui sont en la terre cachez,
Combien que desjà soint comprises
En ce Palaiz, que tant tu prises,
Plus de deux pars de la Cité,
Si la dure necessité,
Qui à toutes les loix renonce,
Ses cloux de dyamant enfonce
Dessus toy jusqu'au dernier point,
Ton serf esprit ne sera point
De peur delivre, ny ta teste
Des liens que la mort t'appreste.
Le Scyte a plus grande raison
Qui sa vagabunde maison
Par tout ou bon luy semble, meine:
Et les Getes durs à la peine
Nature a trop myeux contentez,
Qui ont leurs champs non arpentez,
Et ou la culture annuelle
A chacun n'est perpetuelle.
Venus et la forte liqueur
Qui arrache le soing du cueur,
Les viandes elabourées.
Avec sauces bien savourées,
Le son du luc, et sur les eaux
Le doulx ramaige des oyseaux
N'ostent de l'or la faim sacrée
Au cueur ambicieux ancrée,
Qui jamais ne sent en son oeil.
Couler l'emmiëllé sommeil.
Le doulx sommeil plus tost habite
La maisonnette humble et petite
Du berger ou du laboureur,
Que le Palaiz d'un Empereur
La mer, qui est tempetueuse
Par la descente impetueuse
De l'Arcture, ou par le lever
Du Bouq, ne sceurent onq' grever
Celuy qui d'assez se contente.
La gresle, qui deçoit l'attente
Du vigneron, le champ trompeur,
L'arbre sans fruict, ne luy font peur:
Soit que la terre soit bruslée
Du chault, ou par l'hyver gelée,
Pourquoy en auroit il ennuy,
Puis qu'immortelz ainsi que luy
Sont les biens, où son cueur il fiche?
O l'homme heureux! ô l'homme riche!
Si les honneurs ambicieux,
Les Palaiz elevez aux cieux,
Le doulx nectar et l'ambrosie
Ne contentent la fantaisie
De celuy qui nourist le soing
D'un coeur à soymesmes tesmoing,
Pourquoy hausseray-je les voiles
Dessoubz la faveur des etoiles?
Par mile et par mile dangers
Suyvant les thesors etrangers,
Et la pauvreté renaissante
Avec la richesse croissante.
Vole donq', avare marchant,
Des Indes au soleil couchant,
Et du Septentrion encore
Jusq'au bord de la terre More
Cerne le tour continuel,
Si tu veux, de l'astre annuel
Avecques un labeur extreme,
Et te fuy, si tu peux, toymesme:
Pourtant si ne fuiras-tu pas
Le soing, qui te suit pas à pas,
Et la crainte, qui tourne et vire
Le gouvernail de ta navire
Moy, que la Muse veult aimer,
Par les vents je feray semer,
Tout le soucy qui me fait guerre
Dessus l'ennemie Angleterre,
Où regne l'horrible fureur
D'Erynnis avec' la terreur
Des armes, et de l'entreprise
De Henry, que Mars favorise.

Ces Odes sont extraites des Premiers recueils. 1549-1553
L'intégralité de ces recueils très inspirés par la lecture d'Horace est consultable sur le site de la B.N.F.

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