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HORACE &... MOLIÈRE

— Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière (1622-1673) —

 
 
 

début de cette pièce de 1661

(inspiré de la Satire I, 9)

 
 
 
 

scène du DÉPIT AMOUREUX
(Troisième intermède
de cette pièce de 1670 )

(inspirée de l'Ode III, 9)

 
 
 

LES FÂCHEUX
 
ACTE I, Scène première
 
ÉRASTE
 
Sous quel astre, bon Dieu, faut-il que je sois né,
Pour être de Fâcheux toujours assassiné!
Il semble que partout le sort me les adresse,
Et j'en vois chaque jour quelque nouvelle espèce;
Mais il n'est rien d'égal au Fâcheux d'aujourd'hui;
J'ai cru n'être jamais débarrassé de lui,
Et cent fois j'ai maudit cette innocente envie
Qui m’a pris à dîner de voir la comédie,
Où, pensant m'égayer, j'ai misérablement
Trouvé de mes péchés le rude châtiment.
Il faut que je te fasse un récit de l'affaire,
Car je m'en sens encor tout ému de colère.
J'étais sur le théâtre, en humeur d'écouter
La pièce, qu'à plusieurs j'avais ouï vanter;
Les acteurs commençaient, chacun prêtait silence,
Lorsque d'un air bruyant et plein d'extravagance,
Un homme à grands canons est entré brusquement,
En criant: "holà-ho! un siége promptement!"
Et de son grand fracas surprenant l'assemblée,
Dans le plus bel endroit a la pièce troublée.
Hé! mon Dieu! nos Français, si souvent redressés,
Ne prendront-ils jamais un air de gens sensés,
Ai-je dit, et faut-il sur nos défauts extrêmes
Qu'en théâtre public nous nous jouions nous-mêmes,
Et confirmions ainsi par des éclats de fous
Ce que chez nos voisins on dit partout de nous?
Tandis que là-dessus je haussais les épaules,
Les acteurs ont voulu continuer leurs rôles;
Mais l'homme pour s'asseoir a fait nouveau fracas,
Et traversant encor le théâtre à grands pas,
Bien que dans les côtés il pût être à son aise,
Au milieu du devant il a planté sa chaise,
Et de son large dos morguant les spectateurs,
Aux trois quarts du parterre a caché les acteurs.
Un bruit s'est élevé, dont un autre eût eu honte;
Mais lui, ferme et constant, n'en a fait aucun compte,
Et se serait tenu comme il s'était posé,
Si, pour mon infortune, il ne m'eût avisé.
"Ha! Marquis, m'a-t-il dit, prenant près de moi place,
Comment te portes-tu? Souffre que je t'embrasse."
Au visage sur l'heure un rouge m'est monté
Que l'on me vît connu d'un pareil éventé.
Je l'étais peu pourtant; mais on en voit paraître,
De ces gens qui de rien veulent fort vous connaître,
Dont il faut au salut les baisers essuyer,
Et qui sont familiers jusqu'à vous tutoyer.
Il m'a fait à l'abord cent questions frivoles,
Plus haut que les acteurs élevant ses paroles.
Chacun le maudissait; et moi, pour l'arrêter:
"Je serais, ai-je dit, bien aise d'écouter.
- Tu n'as point vu ceci, Marquis? Ah! Dieu me damne,
Je le trouve assez drôle, et je n'y suis pas âne;
Je sais par quelles lois un ouvrage est parfait,
Et Corneille me vient lire tout ce qu'il fait."
Là-dessus de la pièce il m'a fait un sommaire,
Scène à scène averti de ce qui s'allait faire;
Et jusques à des vers qu'il en savait par cœur,
Il me les récitait tout haut avant l'acteur.
J'avais beau m'en défendre, il a poussé sa chance,
Et s'est devers la fin levé longtemps d'avance;
Car les gens du bel air, pour agir galamment,
Se gardent bien surtout ouïr le dénouement.
Je rendais grâce au Ciel, et croyais de justice
Qu'avec la comédie eût fini mon supplice;
Mais, comme si c'en eût été trop bon marché,
Sur nouveaux frais mon homme à moi s'est attaché,
M'a conté ses exploits, ses vertus non communes,
Parlé de ses chevaux, de ses bonnes fortunes,
Et de ce qu'à la cour il avait de faveur,
Disant qu'à m'y servir il s'offrait de grand cœur.
Je le remerciais doucement de la tête,
Minutant à tous coups quelque retraite honnête;
Mais lui, pour le quitter me voyant ébranlé:
"Sortons, ce m'a-t-il dit, le monde est écoulé;"
Et sortis de ce lieu, me la donnant plus sèche:
"Marquis, allons au Cours faire voir ma galèche;
Elle est bien entendue, et plus d'un duc et pair
En fait à mon faiseur faire une du même air."
Moi de lui rendre grâce, et pour mieux m'en défendre,
De dire que j'avais certain repas à rendre.
"Ah! parbleu! j'en veux être, étant de tes amis,
Et manque au maréchal, à qui j'avais promis.
- De la chère, ai-je dit, la dose est trop peu forte,
Pour oser y prier des gens de votre sorte.
- Non, m'a-t-il répondu, je suis sans compliment,
Et j'y vais pour causer avec toi seulement;
Je suis des grands repas fatigué, je te jure.
- Mais si l'on vous attend, ai-je dit, c'est injure.
- Tu te moques, Marquis: nous nous connaissons tous,
Et je trouve avec toi des passe-temps plus doux."
Je pestais contre moi, l'âme triste et confuse
Du funeste succès qu'avait eu mon excuse,
Et ne savais à quoi je devais recourir
Pour sortir d'une peine à me faire mourir,
Lorsqu'un carrosse fait de superbe manière,
Et comblé de laquais et devant et derrière,
S'est avec un grand bruit devant nous arrêté,
D'où sautant un jeune homme amplement ajusté,
Mon importun et lui courant à l'embrassade
Ont surpris les passants de leur brusque incartade;
Et tandis que tous deux étaient précipités
Dans les convulsions de leurs civilités,
Je me suis doucement esquivé sans rien dire,
Non sans avoir longtemps gémi d'un tel martyre,
Et maudit ce Fâcheux, dont le zèle obstiné
M'ôtait au rendez-vous qui m'est ici donné.

DÉPIT AMOUREUX
 
CLIMÈNE, PHILINTE.
 
PHILINTE
 
Quand je plaisais à tes yeux,
J'étais content de ma vie,
Et ne voyais Roi ni Dieux
Dont le sort me fît envie.
 
CLIMÈNE
 
Lors qu'à toute autre personne
Me préférait ton ardeur,
J'aurais quitté la couronne
Pour régner dessus ton cœur.
 
PHILINTE
 
Une autre a guéri mon âme
Des feux que j'avais pour toi.
 
CLIMÈNE
 
Un autre a vengé ma flamme
Des faiblesses de ta foi.
 
PHILINTE
 
Cloris, qu'on vante si fort,
M'aime d'une ardeur fidèle;
Si ses yeux voulaient ma mort,
Je mourrais content pour elle.
 
CLIMÈNE
 
Myrtil, si digne d'envie,
Me chérit plus que le jour,
Et moi je perdrais la vie
Pour lui montrer mon amour.
 
PHILINTE
 
Mais si d'une douce ardeur
Quelque renaissante trace
Chassait Cloris de mon cœur
Pour te remettre en sa place?
 
CLIMÈNE
 
Bien qu'avec pleine tendresse
Myrtil me puisse chérir,
Avec toi, je le confesse,
Je voudrais vivre et mourir.
 
TOUS DEUX ensemble.
 
Ah! plus que jamais aimons-nous,
Et vivons et mourons en des liens si doux.
 
TOUS LES ACTEURS DE LA COMÉDIE chantent.
 
Amants, que vos querelles
Sont aimables et belles!
Qu'on y voit succéder
De plaisirs, de tendresse!
Querellez-vous sans cesse
Pour vous raccommoder.
Amants, que vos querelles
Sont aimables et belles, etc.
 

Les Faunes et les Dryades recommencent leur danse, que les Bergères et Bergers musiciens entremêlent de leurs chansons, tandis que trois petites Dryades et trois petits Faunes font paraître, dans l'enfoncement du théâtre, tout ce qui se passe sur le devant.


 
LES BERGERS et BERGÈRES
 
Jouissons, jouissons des plaisirs innocents
Dont les feux de l'amour savent charmer nos sens.
 
Des grandeurs, qui voudra se soucie:
Tous ces honneurs dont on a tant d'envie
Ont des chagrins qui sont vieillissants.
Jouissons, jouissons des plaisirs innocents
Dont les feux de l'amour savent charmer nos sens.
 
En aimant, tout nous plaît dans la vie;
Deux cœurs unis de leur sort sont contents;
Cette ardeur, de plaisirs suivie,
De tous nos jours fait d'éternels printemps:
Jouissons, jouissons des plaisirs innocents
Dont les feux de l'amour savent charmer nos sens.

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