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Œuvres lyriques d'Horace, traduites par M. Anquetil (1850)

ODES II

 
I·À C. Asinius Pollion II·À Cr. Salluste III·À Q. Dellius IV·À Xanthias  V·Sur Lalagé  VI·À Septime VII·À Pompéius Varus VIII·À Bariné  IX·À Valgius X·À Licinius XI·À Quintius Hirpinus  XII·À Mécène  XIII·Imprécations contre un arbre... XIV·À Postume XV·Contre le luxe du siècle XVI·À Grosphus XVII·À Mécène XVIII·Contre les avares XIX·Dithyrambe à Bacchus XX·À Mécène

Édition "classique" : ≡ modification, censure partielle — ≡ censure totale


 

I — À Asinius Pollion

Tu vas donc retracer les discordes civiles
Dont Metellus consul vit commencer le cours,
Les causes, les erreurs, les victoires stériles,
Et du sort inconstant les funestes retours.
 
Tu rediras des grands l'amitié désastreuse,
D'un sang non expié nos glaives encor teints ;
Périlleuse carrière ! Une cendre trompeuse
Dérobe sous tes pas les brasiers mal éteints.
 
A la scène arrachant ta sombre Melpomène
Retrace pour un temps l'histoire de nos maux ;
Bientôt après, chaussé du cothurne d'Athène,
Libre, tu reviendras à tes nobles travaux.
 
Courage ! illustre appui des accusés en larmes,
O Pollion, flambeau des conseils du Sénat,
O toi dont le Dalmate, écrasé par tes armes,
A couronné le front d'un immortel éclat.
 
J'entends sonner déjà la trompette éclatante ;
Déjà l'éclair jaillit des glaives menaçants ;
Et les coursiers, frappés d'horreur et d'épouvante,
Entraînent avec eux les guerriers pâlissants.
 
J'entends les chefs, souillés d'une noble poussière,
Animer au combat les enfants des Latins ;
Et, tandis que César soumet la terre entière,
Caton seul invaincu défier les destins.
 
Dans les champs qu'autrefois déserta leur faiblesse
Tous les Dieux africains reviennent triomphants ;
Aux mânes des vaincus, de sa main vengeresse,
Junon va des vainqueurs immoler les enfants.
 
Ah ! du sang des Latins quelle plaine engraissée
Par de nombreux tombeaux n'atteste nos combats ?
De l'Hespérie, hélas ! sous nos coups renversée,
Le Mède encore entend retentir le fracas.
 
Quel fleuve ou quelle mer ou quel pays sauvage
Ignore les forfaits des malheureux Romains ?
Est-il dans l'univers, est-il un seul rivage
Qui ne soit teint du sang répandu par nos mains ?
 
Mais reviens sur tes pas, ô Muse téméraire ;
Garde-toi d'essayer les hymnes de Céos ;
Et, fidèle à tes jeux, sous les bois de Cythère
Fais vibrer avec moi la lyre de Téos.

 

II — À Cr. Salluste

L'argent que dans ses flancs cache la terre avare,
O Salluste, jamais n'obtint que ton mépris :
De son discret emploi le métal le plus rare
Emprunte et son lustre et son prix.
 
Nos neveux connaîtront Proculée, et l'histoire
Pour ses frères dira son amour paternel ;
Sur une aile puissante emporté par la gloire
Son nom doit rester immortel.
 
De ses désirs heureux qui borne la licence,
Plus roi que s'il eût seul enchaîné sous ses lois
Et Gadès et l'Afrique et cet empire immense
Qu'embrassait le Carthaginois !
 
Sans pouvoir étancher la soif qui le dévore,
L'hydropique en buvant irrite sa douleur,
Si de son corps enflé que le mal ronge encore
Sa lymphe entretient la pâleur.
 
Au trône de Cyrus crois-tu rendu naguère
Qu'au nombre des heureux Phraate soit compris ?
Non, la vertu combat ce préjugé vulgaire
Qui séduit les faibles esprits ;
 
Elle enseigne aux humains à n'assurer l'empire,
Les superbes faisceaux, les lauriers glorieux
Qu'à ce mortel dont l'or que l'avarice admire
Jamais ne fascina les yeux.

 

III — À Q. Dellius

Arme-toi, Dellius, d'une mâle constance,
Et contre les revers prends soin de t'aguerrir ;
Mais du bonheur aussi jouis sans insolence,
Et souviens-toi qu'un jour il te faudra mourir,
 
Soit qu'en mornes chagrins tu consumes la vie,
Soit qu'assis à l'écart sur les gazons nouveaux,
Durant les jours de fête un vieux vin de Formie
Te verse le bonheur et l'oubli de tes maux.
 
Viens chercher un abri sous l'ombre hospitalière
Du pâle peuplier, du pin majestueux,
Aux bords de ce ruisseau qui, hâtant sa carrière,
Murmure embarrassé dans son lit sinueux.
 
Que les vins, les parfums et la rose éphémère,
Apportés par tes soins, charment ton doux loisir,
Tandis que les fuseaux de la Parque sévère
A ta jeunesse encor permettent le plaisir.
 
Cet immense domaine et ce palais splendide,
Ces jardins que le Tibre arrose de ses eaux,
Il faudra tout quitter ; un héritier cupide
De tes trésors demain ravira les monceaux.
 
Eh ! qu'importe qu'on vive au sein de l'opulence ?
L'orgueilleux rejeton de l'antique Inachus,
Ni l'obscur plébéien plongé dans l'indigence
Ne sauraient échapper à l'implacable Orcus.
 
Tous nous sommes poussés vers la rive infernale ;
Dans l'urne du destin tous les noms sont mêlés ;
Ou plus tôt ou plus tard sur la barque fatale
Il nous faudra monter sans retour exilés.

 

IV — À Xanthias

(ode non traduite)

 

V — Sur Lalagé

(ode non traduite)

 

VI — À Septime

Toi qui suivrais mes pas aux colonnes d'Hercule,
Du Cantabre indompté prêt à franchir les monts
Et les sables mouvants qu'aux rives du Gétule
Poussent les Aquilons ;
 
O Septime, puissé-je après de longs voyages,
Chez les colons d'Argos abriter mes vieux ans !
Puissé-je dans Tibur oublier mes naufrages
Et les ennuis des camps !
 
Si la Parque ennemie abuse mon attente,
Aux rives du Galèse aimé des gras troupeaux
J'irai, dans les vallons où s'arrêta Phalante,
Demander le repos.
 
Rien n'égale pour moi cette aimable retraite :
Là des verts oliviers les tiens seraient jaloux,
O fertile Vénafre, et le miel de l'Hymette
Est moins pur et moins doux ;
 
Là règne un long printemps que Baïa même envie ;
Là jamais n'ont sévi les hivers rigoureux ;
Là de Falerne Aulon, cher à Bacchus, défie
Les raisins savoureux.
 
Dans cet heureux séjour qui tous deux nous appelle
Viens jouir de la vie et payer, si je meurs,
Aux cendres du poète et de l'ami fidèle
Le tribut de tes pleurs.

 

VII — À Pompéius Varus

Toi dont l'amitié naguère
Partageait tous mes hasards
Quand de Brutus à la guerre
Nous suivions les étendards,
Dis-moi quel heureux génie,
Te ramenant dans ces lieux,
Citoyen de l'Ausonie
Daigna te rendre à ses Dieux.
 
Nul en mes jeunes années
Ne fut plus cher à mon cœur :
La coupe en main, des journées
Nous abrégions la longueur,
Quand les parfums de Syrie
Ruisselaient sur nos cheveux,
Et que la rose fleurie
Nous couronnait tous les deux.
 
Dans une fuite trop prompte
Tu m'as vu triste guerrier
A Philippes, non sans honte,
Déserter mon bouclier ;
Mais la vertu la plus fière ;
Mais les plus fameux héros
Mordaient au loin la poussière
Sous le fer des javelots.
 
La peur glaçait mon courage
Quand le prompt courrier des Dieux,
Mercure au sein d'un nuage
Me dérobe à tous les yeux ;
Mais sur toi la foudre gronde,
Et près de toucher au port
La tempête éclate et l'onde
Te repousse loin du bord.
 
Quand ta vie est échappée
Au glaive, aux vents, à la mer,
Qu'un sacrifice, ô Pompée,
T'acquitte envers Jupiter.
Remets-toi de tes fatigues
A l'ombre de mes lauriers,
Et dans mes festins prodigues
N'épargne point mes celliers.
 
Dans la coupe éblouissante
Que mon vin coule à grands flots ;
Dans sa liqueur enivrante
Puise l'oubli de tes maux ;
Répands, répands sur ta tête
Les parfums les plus exquis ;
Vite, esclaves, qu'on apprête
L'ache et le myrte et les lis.
 
Qui va donc, ô Cythétée,
Aux buveurs dicter ses lois ?
De la Bacchante égarée
Je veux outrer les exploits,
Et dans mon fougueux délire,
Quand je retrouve un ami,
A l'ivresse qui m'inspire
Ne point céder à demi.

 

VIII — À Bariné

(ode non traduite)

 

IX — À Valgius

Non, Valgius, les nuages
Ne versent pas en tout temps
Ces torrents dont les ravages
Flétrissent l'honneur des champs ;
Souvent la mer, aplanie
Par un Zéphyre plus doux,
Même aux rives d'Hyrcanie
Calme son âpre courroux.
 
A la nature engourdie
Sous les neiges de l'Eurus
L'été vient rendre la vie
Dans les gorges du Taurus ;
On ne voit pas dans sa rage
Un éternel ouragan
Dépouiller de leur feuillage
Les chênes du mont Gargan.
 
Et toi, noyé dans les larmes,
Du beau Mystès chaque jour,
Je te vois pleurer les charmes
Ravis à ton tendre amour ;
Pleurer quand Vesper se lève
Et ramène le sommeil ;
Pleurer quand son cours s'achève
Devant le char du soleil !
 
De Pylos le vieux monarque
Ne pleura point tous les ans
L'aimable enfant que la Parque
Lui ravit dès son printemps ;
Troïle à sa triste mère
Ne coûta point tant de pleurs,
Et sa mort fut moins amère
A ses déplorables sœurs.
 
Comme eux, cède aux destinées ;
Ami, laisse enfin tarir
Des larmes efféminées
Qui ne sauraient rien guérir.
D'Auguste qui nous appelle
A célébrer ses travaux
Chantons la gloire immortelle
Et les triomphes nouveaux.
 
Dans ses glaciers le Niphate
Tremble au bruit de ses exploits ;
Le cours fougueux de l'Euphrate
Se ralentit sous nos lois ;
Dans une étroite limite
Rome, enfermant les Gélons,
Défend aux coursiers du Scythe
De dévaster nos sillons.

 

X — À Licinius

Veux-tu, Licinius, échapper au naufrage ?
Crains de t'aventurer au loin sur l'Océan,
Crains de briser ta nef aux écueils du rivage
En fuyant l'ouragan.
 
O médiocrité, doux trésor de la vie !
Loin de moi l'indigence et son triste réduit,
Et ces brillants palais que l'importune envie
De sa haine poursuit !
 
Plus souvent des grands pins les vents courbent la tête ;
La tour altière croule avec plus de fracas,
Et les brûlants carreaux des monts frappent le faîte
Tremblant sous leurs éclats.
 
Craindre au sein du bonheur, espérer dans la peine
Sied à l'âme aguerrie aux succès, aux revers ;
C'est Jupiter qui chasse et c'est lui qui ramène
Les lugubres hivers.
 
Sombre aujourd'hui, demain le ciel nous peut sourire ;
Phébus détend son arc, il s'apaise, et parfois
De la Muse endormie, aux accords de sa lyre,
Il réveille la voix.
 
Oppose aux coups du sort une mâle constance ;
Mais quand souffle le vent de la prospérité,
Songe à serrer la voile, à t'armer de prudence,
Et crains l'adversité.

 

XI — À Quintius Hirpinus

Qu'importent les desseins du Scythe ou de l'Ibère,
Que séparent de nous et les monts et les flots ?
Pour les faibles besoins d'une vie éphémère
Ne va point troubler ton repos.
 
C'en est fait; loin de nous déjà fuit la jeunesse,
Et la grâce et les ris qui charmaient nos beaux jours ;
Le sommeil est chassé par l'aride vieillesse
Avec les folâtres amours.
 
L'été flétrit bientôt la rose printanière ;
Phébé décroît, pâlit et s'éteint dans les cieux :
Que sert de fatiguer sa rapide carrière
Par des projets ambitieux ?
 
Sous l'ombre de ce pin, de ce vaste platane,
Mollement étendus, tandis qu'il en est temps,
De la rose mêlée aux parfums d'Ecbatane
Ceignons encor nos cheveux blancs.
 
O Quintius, buvons : les soucis homicides
Cèdent à la vertu d'un nectar généreux.
Qui de vous à l'instant va dans ces flots limpides
Du Falerne éteindre les feux ?

 

XII — À Mécène

Est-ce à moi de chanter sur ma lyre débile
Numance trop longtemps indocile à nos lois,
Le farouche Annibal, les mers de la Sicile
Rouges du sang carthaginois,
 
Du Centaure enivré la querelle sanglante,
Les superbes géants par Alcide immolés,
Quand Saturne assiégé par leur bande insolente
Tremblait dans les cieux ébranlés ?
 
Entre tes mains, crois-moi, les pinceaux de l'histoire
Retraceraient bien mieux les exploits de César,
Et ces rois menaçants qu'aujourd'hui la victoire
Nous montre enchaînés à son char.
 
Ma Muse chantera la voix de Licymnie,
Et ses yeux plus brillants que le flambeau du jour,
Et son âme à la tienne étroitement unie
Par les nœuds d'un fidèle amour.
 
Que sa danse a d'appas ! son esprit de finesse !
Quel charme de la voir, lorsqu'aux jours solennels
Sa main s'enlace aux mains de la belle jeunesse
Qui de Phébé ceint les autels !
 
Pour les vastes états du puissant Achémène,
Pour les champs que Mygdon transmit à ses neveux,
Pour la riche Arabie, ah! voudrais-tu, Mécène,
Céder un seul de ses cheveux ?

 

XIII — Imprécations contre un arbre

Ah ! dans un jour néfaste une main criminelle
A fait croître chez moi cet arbre ruineux,
Pour être du hameau l'infamie éternelle
Et le fléau de ses neveux !
 
Oui le monstre sans doute étrangla son vieux père,
Et d'un hôte égorgé, sacrilège odieux !
Le sang durant la nuit souilla le sanctuaire
Et les images de ses Dieux ;
 
Colchos de ses poisons lui prêta la puissance ;
Nul forfait, tronc maudit, au traître ne coûta
Qui pour fondre sur moi, malgré mon innocence,
Jadis en mon champ te planta.
 
Qui prévoit les dangers que chaque instant recèle ?
Si l'orageux Bosphore est l'effroi des nochers,
A leur sécurité plus loin rien ne révèle
Ni les autans ni les rochers.
 
Le Romain craint les traits et la fuite du Parthe,
Le Parthe craint le glaive et les fers des Romains ;
Mais le trépas qu'en vain notre prudence écarte
Toujours surprendra les humains.
 
Combien j'ai failli voir la sombre Proserpine
Et l'heureux Élysée et l'urne de Minos,
Et Sapho se plaignant sur sa harpe divine
Des jeunes filles de Lesbos ;
 
Et toi dont Mitylène a connu le courage,
Fougueux Alcée, ô toi qui sur ta lyre d'or
Redis les maux des camps, les horreurs du naufrage
Et l'exil plus affreux encor !
 
Les Mânes recueillis admirent en silence ;
Mais la foule ravie aime à serrer les rangs,
Et s'enivre aux récits où ta mâle éloquence
Peint la déroute des tyrans.
 
Faut-il s'en étonner, quand le triple Cerbère
Baisse l'oreille, ému de ces puissants accords ;
Quand les serpents noués aux cheveux de Mégère
Calment leurs furieux transports ;
 
Quand par ces doux accents Tantale et Prométhée
Sont distraits de leurs maux ; quand l'agile Orion
S'arrête et ne suit plus, dans sa course emportée,
Le lynx timide ou le lion ?

 

XIV — À Postume

Hélas ! Postume, hélas ! vois le torrent des âges
S'écouler sans jamais revenir sur ses pas !
Qui peut défendre au temps de rider nos visages
Ou de hâter notre trépas ?
 
Que servirait d'offrir, tous les jours de la vie,
Une triple hécatombe au tyran des enfers ?
Du triple Géryon, du monstrueux Titye
A-t-il jamais rompu les fers ?
 
Il nous faudra voguer sur les ondes funèbres,
Nous tous que de ses dons Cérès daigne nourrir :
Villageois, potentats, inconnus ou célèbres,
Tous ne sont nés que pour mourir.
 
Vainement nous fuirons la sanglante Bellone
Et les flots rugissants de la profonde mer ;
Vainement nous saurons conjurer dans l'automne
Le souffle empesté de l'Auster :
 
Il nous faudra descendre à la rive infernale,
Voir du Cocyte affreux les flots noirs et dormants,
Voir l'infâme Bélide et Sisyphe et Tantale
Voués à d'éternels tourments.
 
Adieu palais, adieu terre, épouse adorée !
Des arbres que ta main cultive avec amour,
Le funèbre cyprès dans la tombe abhorrée
Suivra seul un maître d'un jour.
 
Ton Cécube enfermé sous des clefs innombrables
D'un héritier plus sage égaiera les festins ;
Ses marbres se teindront d'un vin que pour leurs tables
Envieraient les prêtres latins.

 

XV — Contre le luxe du siècle

Nos superbes palais bientôt à la charrue
A peine auront laissé quelques maigres arpents ;
Plus grands que le Lucrin, bientôt à notre vue
D'innombrables viviers vont dérober les champs.
 
Les ormeaux céderont aux platanes stériles ;
Les myrtes odorants, les lis et les rosiers
Sèmeront à l'envi leurs parfums inutiles
Où jadis fleurissaient les féconds oliviers.
 
Sous des rameaux touffus un laurier tutélaire
Contre les feux du jour défendra les Romains !
Qu'est devenue, hélas ! la discipline austère
Du rigide Caton et de nos vieux Sabins ?
 
Resté pauvre parmi l'opulence publique.
Jadis le citoyen, satisfait de son sort,
Sous les vastes abris d'un fastueux portique
Ne cherchait point l'ombrage et la fraîcheur du Nord.
 
On ne méprisait point le chaume héréditaire,
Et la loi réservait les marbres précieux
Pour empreindre à jamais d'un sacré caractère
Les monuments de Rome et les temples des Dieux.

 

XVI — À Grosphus

Le repos ! c'est le vœu que sur la plaine humide
Le nautonnier surpris fait monter vers les Dieux,
Lorsque tous les flambeaux dont la clarté le guide
Par un nuage épais sont voilés dans les cieux.
 
Le repos ! c'est le vœu de la Thrace en furie,
Le vœu du Mède armé de son brillant carquois ;
C'est un bonheur qu'en vain demanderait la vie
A l'or, aux diamants, à la pourpre des rois.
 
Non, Grosphus, les trésors, les faisceaux consulaires
Ne sauraient écarter de nos faibles esprits
Les tourments enfantés par nos vaines chimères,
Ni les soucis errants autour de nos lambris.
 
Heureux qui voit briller sur sa table frugale
La salière d'argent, luxe de ses aïeux !
Jamais, aux vils soupçons livrant son âme égale,
L'avarice au sommeil ne dérobe ses yeux.
 
Quand la fleur de nos ans tombe sitôt flétrie,
Que nous sert de former tant de hardis souhaits ?
En vain pour d'autres cieux nous quittons la patrie :
Quel mortel à soi-même échappera jamais ?
 
Le chagrin dévorant monte sur la galère ;
Sur les coursiers poudreux des guerriers haletants
Il s'élance, plus prompt que la biche légère
Et l'orage emporté sur l'aile des autans.
 
Dans la prospérité bien fou qui se consume
A percer les secrets du douteux avenir.
Que les ris de nos maux tempèrent l'amertume ;
Au bonheur absolu qui pourrait parvenir ?
 
Un prompt trépas ravit le glorieux Achille ;
De Tithon par le temps les jours furent usés ;
Et le destin peut-être, à tes vœux indocile,
Me comblera des dons qu'il t'aura refusés.
 
Pour toi mille troupeaux, dispersés dans la plaine,
Font retentir l'Etna de leurs mugissements ;
Tes coursiers hennissants triomphent dans l'arène,
Et la pourpre deux fois teignit tes vêtements.
 
Je dois d'autres faveurs à la Parque Immortelle :
Un domaine borné qui suffit à mes goûts,
Du feu sacré des Grecs une heureuse étincelle,
Et le mépris des traits du vulgaire jaloux.

 

XVII — À Mécène

Pourquoi de ta plainte amère
Ainsi déchirer mon cœur,
O ma gloire la plus chère,
O mon noble protecteur ?
Le ciel défend, ô Mécène,
Que tu partes avant moi,
Et dans le sombre domaine
Je veux descendre avec toi.
 
De tes jours coupant la trame,
Si la Parque sans pitié
Devait sitôt de mon âme
Me ravir une moitié,
Dans mon ennui solitaire,
Séparé de mon ami,
Pourquoi languir sur la terre
Et me survivre à demi ?
 
Brisé par le même orage ;
Je dois tomber avec toi ;
Je l'ai juré, mon courage
Ne trahira point sa foi :
Jusque dans l'ombre éternelle
J'irai, j'irai sur tes pas,
Et mon dévouement fidèle
Te suivra jusqu'au trépas.
 
Non, sur moi dût la Chimère
Vomir ses feux éclatants,
Dussent les flancs de leur mère
Se rouvrir aux fiers Titans,
Les cent mains de Briarée
Jamais ne rompront les nœuds
Dont la Parque, sœur d'Astrée,
Nous tient enchaînés tous deux.
 
Qu'importe qu'à ma naissance
Ait présidé le Lion,
Ou l'équitable Balance,
Ou le puissant Scorpion ?
Sous le ciel de l'Hespérie
Qu'importe si dans l'hiver
Le Capricorne en furie
Soulevait la vaste mer ?
 
Nos étoiles sont unies
Par un merveilleux accord ;
L'astre qui règle nos vies
Suspend le vol de la mort.
Saturne en vain te menace :
Jupiter sauveur a lui,
L'astre malfaisant s'efface
Et disparaît devant lui.
 
Tandis qu'une foule immense
Dans le théâtre trois fois,
Pour saluer ta présence,
Au ciel, fait monter sa voix,
Un arbre fond sur ma tête ;
Mais, volant à mon secours,
Faune en sa chute l'arrête
Et daigne sauver mes jours :
 
Ainsi le veut la justice :
Pour t'acquitter de tes vœux,
Offre un brillant sacrifice,
Élève un temple pompeux ;
Au Dieu de qui la main sûre
Le préserva du tombeau,
Le favori de Mercure
N'offrira qu'un humble agneau.

 

XVIII — Contre les avares

On ne voit point briller dans ma simple retraite
L'ivoire ou l'or des Indiens,
Ni les marbres taillés dans les flancs de l'Hymette
Fouler les marbres libyens.
 
Héritier inconnu, je n'ai point dans Pergame
D'Attale envahi le trésor,
Et d'un noble client jamais pour moi la femme
N'a filé la pourpre ni l'or.
 
Mais j'ai reçu du ciel une veine fertile
Avec un luth harmonieux ;
Le riche avec plaisir vient dans mon humble asile :
Que puis-je demander aux Dieux ?
 
Indiscret favori, d'un patron magnifique
Qu'un autre lasse la bonté :
Au fond de ma Sabine un domaine rustique
Suffit à ma félicité.
 
Le jour succède au jour et la lune nouvelle
Chaque mois éteint son flambeau ;
Et toi, lorsque déjà la pâle mort t'appelle,
Tu peux oublier le tombeau !
 
Tes marbres de Baïa couvrent au loin la plage,
La terre est pour toi sans attraits ;
Et, des mers en courroux reculant le rivage,
Tu bâtis d'orgueilleux palais.
 
Partout ton avarice arrache la barrière
Qui protégeait les champs voisins,
Et d'un pauvre client, banni de sa chaumière,
Les Termes tombent sous tes mains.
 
Partout l'époux, partout l'épouse désolée
Loin du foyer de leurs aïeux
Emportent dans leurs bras leur famille exilée
Et les images de leurs Dieux.
 
Inutiles forfaits ! Dans le sombre Ténare
Le riche descend à son tour :
Rien n'échappe au trépas, et du mortel avare
l'Érèbe est le dernier séjour.
 
Égale au pauvre, égale aux enfants du monarque
La terre pour tous doit s'ouvrir ;
Le rigide patron de l'infernale barque
Ne se laisse point attendrir.
 
Vainement à ses yeux le sage Prométhée
Fait briller ses riches trésors ;
Tantale et de ses fils la race détestée
Ne franchit plus les sombres bords ;
 
Tandis que, secourable au pauvre qui le prie
Ou dont il prévient les désirs,
Charon daigne abréger les tourments de la vie
Et terminer ses déplaisirs.

 

XIX — Dithyrambe à Bacchus

J'ai vu (siècles futurs, croyez mon témoignage),
J'ai vu Bacchus, debout sur un rocher sauvage,
Éveillant l'écho des déserts :
Ses leçons captivaient la Nymphe moins craintive,
Le Satyre dressait une oreille attentive
Pour mieux écouter ses concerts.
 
Evoé ! de terreur mon âme est frémissante,
Et mon cœur tout rempli de ta divinité.
Dieu qui troubles mon sein de joie et d'épouvante,
Grâce ! ne lève point ton thyrse redouté.
 
Je puis chanter les Ménades fougueuses,
Chanter le vin qui jaillit à grands flots,
Chanter le miel épanché des yeuses,
Chanter le lait qui fuit en longs ruisseaux.
 
Je puis chanter aussi ta glorieuse amante
Dont la couronne étincelante
Du ciel éclipse tous les feux ;
Chanter la maison de Penthée
Croulant sous ta main redoutée,
Et le Thrace Lycurgue et son trépas affreux.
 
Tu commandes: les ondes
S'écartent devant toi ;
L'Inde et ses mers profondes
Se courbent sous ta loi.
A ton appel dociles,
Les Ménades agiles
S'égarent sur les monts ;
Et sous ta main puissante
La vipère innocente
S'entrelace à leurs fronts.
 
Tandis que des géants la horde téméraire
Prétend escalader le trône de ton père,
A leurs yeux interdits tu parais, Ô Bacchus ;
Effroyable lion, ta griffe menaçante
Et ta gueule écumante
Font reculer Rhétus.
 
Bacchus, disait pourtant leur insolent blasphème,
N'est fait que pour la danse et les joyeux ébats ;
Le fer est trop pesant pour un si faible bras.
Insensés ! ils ont vu que Bacchus est le même
Au milieu de la paix, au milieu des combats.
 
Devant ton front paré de ses cornes brillantes
Cerbère apaisa son courroux ;
Il remua la queue, et d'un air humble et doux,
A ton départ, il vint, ses trois gueules béantes,
Lécher tes pieds et tes genoux.

 

XX — À Mécène

Emporté par l'essor d'une aile vigoureuse,
O miracle ! je vais m'élancer vers les cieux ;
J'abandonne la terre, et mon audace heureuse
Va confondre l'envie et monter vers les Dieux.
 
En vain d'humbles parents m'ont donné la naissance :
Ton illustre amitié doit ennoblir mon nom ;
De la mort, grâce à toi, je trompe la puissance,
O Mécène, et les flots de l'avare Achéron.
 
Déjà ma peau durcit, mes jambes s'amincissent ;
Mon cou devient celui d'un cygne éblouissant ;
Déjà mes mains, déjà mes épaules blanchissent
Sous le moelleux duvet d'un plumage naissant.
 
D'Icare émule heureux, je verrai les contrées
Où gronde le Bosphore et ses flots périlleux ;
Des Syrtes du Gétule aux champs Hyperborées,
Partout vont résonner mes accents merveilleux.
 
Colchos et de l'Ister les hordes vagabondes
Qui feignent de braver nos soldats et nos fers,
Ceux que l'Èbre et le Rhône abreuvent de leurs ondes,
Jusqu'aux lointains Gélons, répéteront mes vers.
 
Un funèbre appareil outragerait ma gloire ;
Les plaintes, les sanglots, le deuil ne me sied plus.
Point de lugubres chants ! Épargne à ma mémoire
D'un tombeau mensonger les honneurs superflus.

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