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Œuvres lyriques d'Horace, traduites par M. Anquetil (1850)

ODES IV

 
I·À Vénus  II·À Jules Antoine III·À Melpomène IV·Victoire de Drusus V·À César-Auguste VI·À Apollon et à Diane VII·À Manlius Torquatus VIII·À Marcius Censorinus IX·À Lollius X·À Ligurinus XI·À Phyllis  XII·À Virgile XIII·À Lycé  XIV·À Auguste XV·À Auguste

Édition "classique" : ≡ modification, censure partielle — ≡ censure totale


 

I — À Vénus

(ode non traduite)

 

II — À Jules Antoine

Insensé qui prétend lutter contre Pindare !
Sur des ailes de cire emporté dans les airs,
Il retombe, et son nom, comme celui d'Icare,
Ennoblira les mers.
 
De la cime des monts comme un torrent s'élance
Quand l'orage a gonflé son cours impétueux,
Ainsi Pindare épand sa bouillante éloquence
En flots tumultueux.
 
Du laurier d'Apollon sa tête se couronne,
Soit qu'au fier dithyrambe il emprunte sa voix,
Et que sa libre audace en créant s'abandonne
A des nombres sans lois ;
 
Soit qu'il chante les Dieux dont les fils magnanimes
De l'horrible Chimère éteignirent les feux,
Et ces vaillants héros qui punirent les crimes
Des Centaures affreux ;
 
Soit qu'aux vainqueurs altiers que des bords de l'Alphée
Il ramène entourés d'un éclat souverain,
A l'athlète, aux coursiers il érige un trophée
Plus stable que l'airain ;
 
Soit qu'il pleure un époux jeune et plein de courage
Enlevé par la Parque à son épouse en deuil,
Et qu'immortalisant ses vertus d'un autre âge,
Il l'arrache au cercueil.
 
Le cygne de Dircé, par un élan rapide,
Disparaît dans la nue et plane dans les cieux,
Cependant que ma muse essaye humble et timide
Ses vers laborieux.
 
Sous les bois de Tibur, industrieuse abeille,
Sans quitter les ruisseaux ni monter vers le ciel,
Je ravis, non sans peine, à la rose vermeille
Quelques gouttes de miel.
 
C'est à toi de chanter sur un luth moins frivole
César; quand il voudra, le front ceint de lauriers,
Du Sicambre vaincu traîner au Capitole
Les farouches guerriers.
 
Non, jamais aux mortels le maître du tonnerre
Ne saurait départir un plus riche trésor,
Le Destin voulût-il ramener sur la terre
L'antique siècle d'or.
 
Tu peindras des Romains les jeux et l'allégresse
Quand le retour d'Auguste, après de longs combats,
Du Forum orageux, dans la publique ivresse,
Suspendra les débats.
 
Et, si ma voix débile osait se faire entendre,
Antoine, je viendrais m'écrier à mon tour :
« O jour trois fois heureux ! ô jour qui viens de rendre
« César à notre amour ! »
 
Puis, quand s'avancerait la pompe triomphale,
A la voix des Romains unissant mes accents :
« Victoire ! m'écrierais-je, et que l'autel exhale
« Les parfums de l'encens ! »
 
De vingt taureaux aux Dieux tu dois le sacrifice ;
Pauvre, je leur destine un présent moins pompeux,
Et sèvre dans mes prés une tendre génisse
Pour acquitter mes vœux.
 
Dans son troisième jour de la lune nouvelle
Les cornes de son front imitent le croissant,
Et sur son poil ardent comme un astre étincelle
Un signe éblouissant.

 

III — À Melpomène

L'heureux mortel sur qui tu daignas, Melpomène,
Au jour de sa naissance abaisser tes regards,
Du rude pugilat dans une illustre arène.
N'ira point courir les hasards ;
 
Triomphateur épris d'une vaine fumée,
Sur un char emporté par d'agiles coursiers,
Il ne reviendra point de l'Isthme ou de Némée
Se reposer dans ses foyers ;
 
Le front ceint de lauriers, victorieux symbole,
Fier d'avoir confondu les menaces des rois,
Il ne gravira point le sacré Capitole,
Chargé du prix de ses exploits.
 
Il aimera Tibur et ses touffus bocages,
Ses limpides ruisseaux, ses gazons toujours verts ;
Et ses chants inspirés sous de riants ombrages
Retentiront dans l'univers.
 
La reine des cités, de mes accents ravie,
Rome à l'aimable chœur des enfants d'Apollon
Daigne enfin m'ajouter, et la cruelle envie
Renonce à déchirer mon nom.
 
Auguste Melpomène, ô vierge d'Aonie,
Qui du luth frémissant règles les doux concerts,
Qui du cygne à ton gré peux donner l'harmonie
Aux muets habitants des mers :
 
Si Rome voit en moi le maître de sa lyre,
Si la foule s'arrête à contempler mes traits,
S'il est vrai que parfois le feu sacré m'inspire,
Je ne le dois qu'à tes bienfaits.

 

IV — Victoire de Drusus

Tel ce roi des oiseaux, ministre du tonnerre,
A qui l'air fut soumis par le maître des Dieux,
Quand docile à sa voix, il fondit sur la terre,
Et dans sa forte serre
Enleva Ganymède et monta vers les cieux :
 
La jeunesse et du sang la fougue héréditaire,
Ignorant du péril, l'entraînent faible encor ;
Au réveil du printemps il fuit loin de son aire,
Et la brise légère
Sous un ciel sans nuage enhardit son essort ;
 
Bientôt, impatient d'essayer son courage,
Il fond sur les troupeaux d'un vol impétueux ;
Puis altéré de sang, enivré de carnage,
Pour assouvir sa rage,
Il déchire, il meurtrit les dragons monstrueux :
 
Tel ce lion qu'hier sa mère frémissante
A sevré de son lait et chassé de ses flancs,
Surprend sur les gazons la chèvre bondissante,
Et de sa dent naissante
L'immole et se repaît de ses membres sanglants :
 
Tel Drusus, franchissant les Alpes étonnées,
Fit trembler la Rhétie au bruit de ses exploits ;
Des Vindéliciens les bandes forcenées,
Par le fer moissonnées,
Ont connu sa valeur et fléchi sous nos lois.
 
D'où vient que de tout temps le fer de l'Amazone
Arma de leurs guerriers les redoutables mains ?
Inutile secret que la nuit environne,
Ma muse t'abandonne :
Qu'un autre plus heureux te révèle aux Romains.
 
Oui le Rhète a senti ce que peut la naissance ;
Ce que peut sur des cœurs si hardis et si prompts
D'un auguste foyer la céleste influence,
Et cette providence
Dont César comme un père entoura les Nérons.
 
Le héros à ses fils empreint son caractère ;
Le taureau vigoureux, le rapide coursier
Ne ment point à sa race, et jamais dans son aire,
Par un vil adultère,
L'aigle fier n'engendra le timide ramier.
 
Mais les fortes leçons d'une morale pure
Impriment aux esprits une mâle vigueur :
L'enfance en vain reçut les dons de la nature ;
Où manque la culture,
Le sang vient à faillir et le vice est vainqueur.
 
Rome, aux vaillants Nérons combien doit ton histoire !
Du Métaure sanglant j'en atteste les eaux,
Et l'Africain déçu dans ses rêves de gloire,
Le jour où la victoire,
Après tant de revers, sourit à nos drapeaux.
 
O jour qui dissipas la nuit de l'Hespérie,
Quand le Numide affreux dévastait nos guérets,
Comme on voit les autans sur les mers d'Étrurie
Déchaîner leur furie,
Ou la flamme rapide embraser les forêts !
 
O Rome, désormais tout cède à ton courage ;
Rien ne peut enchaîner tes destins immortels ;
Et, de nos temples saints que profana Carthage
Vengeant enfin l'outrage,
Tes fils vont de tes Dieux restaurer les autels.
 
« Où nous emporte, hélas! un espoir teméraire ?
« Faibles agneaux ! » cria le perfide Annibal ;
« Échapper en fuyant à ce loup sanguinaire
« Et tromper sa colère,
« C'est triompher assez d'un ennemi fatal.
 
De Pergame embrasée aux champs de Lavinie,
« Misérable jouet des autans furieux,
« Ce peuple d'exilés, féconde colonie,
« Jusque dans l'Ausonie
« Transporta ses enfants, ses vieillards et ses Dieux
 
« Tel, sur le sombre Algide un vieux chêne immobile
« De la hache et des vents surmonte les assauts :
« Rien ne peut l'ébranler; et de son tronc fertile
« Le fer qui le mutile,
« Sans l'épuiser jamais, rajeunit les rameaux.
 
« Moins vivace autrefois, sous la main d'un Alcide
« L'Hydre multipliait ses têtes et ses nœuds ;
« Jamais Thèbes, jamais l'Argonaute intrépide
« Ne vit dans la Colchide
« Les sillons enfanter un monstre plus affreux.
 
« Plongez-le dans les flots, et du sein de l'abîme
« Il sort plus radieux ; terrassé mille fois,
« Soudain il se relève athlète magnanime,
« Sa chute le ranime,
« Et les mères longtemps redisent ses exploits.
 
« De superbes courriers dans Carthage abaissée
« N'iront plus annoncer les hauts faits d'Annibal !
« Plus d'espoir! la fortune à la fin s'est lassée ;
« Ma gloire est effacée
« Et son prestige éteint dans le sang d'Asdrubal. »
 
Qui pourrait des Nérons arrêter la vaillance,
Quand Jupiter sur eux daigne étendre son bras ?
Dans les rangs ennemis leur courage s'élance,
Et par leur vigilance
Leur vie est dérobée aux périls des combats.

 

V — À César-Auguste

Bienfait du ciel, à qui la divine sagesse
Des fils de Romulus a commis les destins,
C'est trop tarder, reviens accomplir ta promesse ;
Le Sénat te réclame et les peuples latins.
 
Reviens d'un jour plus pur éclairer la patrie :
Ton retour est pour nous le retour du printemps ;
Ta présence embellit le ciel de l'Hespérie,
Et les feux du soleil brillent plus éclatants.
 
Ainsi que sur la plage une mère affligée
Attend le fils chéri que depuis plus d'un an,
Au -delà de la mer qui vit périr Égée,
Loin du foyer natal a retenu l'Autan ;
 
Vœux, présages, soupirs, prières, tout l'appelle ;
Du rivage et des flots rien ne distrait ses yeux :
De la patrie ainsi la tendresse fidèle,
O César, tous les jours te redemande aux Dieux.
 
Sans danger le taureau dans nos champs se promène ;
La féconde Cérès y mûrit les moissons ;
Le nocher vole en paix sur son humide plaine,
Et l'honneur délicat s'alarme des soupçons.
 
Nos foyers ne sont plus souillés par l'adultère ;
Par les mœurs et la loi le vice est extirpé ;
On lit au front du fils la vertu de sa mère,
Et le crime à l'instant par la peine est frappé.
 
Du Parthe et du Gélon qui craindrait les ravages
Quand César nous défend contre leurs attentats ?
Qui craindrait le Sicambre et ses hordes sauvages,
Ou de l'Èbre insurgé les farouches soldats ?
 
Chacun sur ses coteaux coule en paix la journée
En mariant la vigne à l'orme, au peuplier ;
Puis le soir il revient, son œuvre terminée,
Te bénir en buvant les vins de son cellier.
 
Dans ces heureux festins où la gaîté préside.
La coupe en ton honneur verse un pieux nectar ;
Et si la Grèce invoque un Castor, un Alcide,
Rome au nom de ses Dieux joint celui de César.
 
De la paix, ô César, prolonge l'allégresse:
C'est le vœu que chacun forme dès son réveil,
Le vœu qu'en ses banquets chacun de nous t'adresse
Lorsque dans l'Océan se plonge le soleil.

 

VI — À Apollon et à Diane

Salut, ô Dieu puissant dont la flèche autrefois
Vengea de Niobé l'orgueilleuse jactance,
Dieu qui de Tityus confondis l'insolence,
Et d'Achille vainqueur arrêtas les exploits !
 
Fils de Thétis, en vain sa lance redoutable
De Pergame ébranlait les tours et les remparts ;
Tandis que ses rivaux cédaient de toutes parts,
Devant toi fléchissait son audace indomptable.
 
Comme un cyprès altier que la hache a blessé,
Comme un pin qu'a vaincu l'effort de la tempête,
Sous la main de Phébus il incline sa tête,
Et dans la vaste arène il tombe renversé.
 
Dans les flancs d'un cheval enfermant sa vaillance,
Il n'eût point de Minerve emprunté le secours ;
Il n'eût point abusé par de lâches détours
Les Phrygiens plongés dans l'ivresse et la danse :
 
A la clarté du jour on l'eût vu triomphant
Porter dans leurs palais la torche incendiaire ;
Rien n'eût fléchi sa rage, et sa main meurtrière
Dans le sein maternel eût égorgé l'enfant.
 
Mais Vénus avec toi vient supplier son père,
Sa voix a désarmé le monarque des Dieux ;
Aux murs que doit fonder un souverain pieux
Sa clémence promet un destin plus prospère.
 
O Dieu de qui la Grèce avec tant de bonheur
Apprit à manier la lyre de Mercure,
Dont le Xanthe souvent baigne la chevelure,
De la muse latine en moi soutiens l'honneur.
 
Apollon m'a donné le souffle du génie
Et le nom de poète et le secret des vers :
Accourez, et prêtant l'oreille à mes concerts,
Du rythme de Lesbos observez l'harmonie ;
 
Jeune postérité des plus nobles Romains,
Venez, enfants, venez ; et vous, vierges timides,
Vous que chérit Phébé dont les flèches rapides
Percent au fond des bois les chevreuils et les daims ;
 
Venez chanter en chœur suivant l'antique usage
Et le fils de Latone et la reine des nuits,
Dont l'inégal flambeau pour nous mûrit les fruits,
Et mesure des mois le rapide passage.
 
Épouse, tu diras : « Quand le cercle des ans
« Ramenait de nos jeux la pompe solennelle,
« On m'élut, et d'Horace interprète fidèle,
« Pour honorer les Dieux, je redisais les chants. »

 

VII — À Manlius Torquatus

La neige a fui, déjà dans les vertes campagnes
Cybèle rajeunie étale ses trésors ;
Un feuillage éclatant décore les montagnes,
Et le fleuve orageux ne franchit plus ses bords ;
 
La Grâce demi-nue et de fleurs couronnée,
La Nymphe osent déjà recommencer leurs jeux :
Le temps vole entraînant l'heure, le jour, l'année,
Et l'immortalité se dérobe à nos vœux.
 
Zéphyr naît, l'Aquilon cède à sa tiède haleine ;
L'été vient à son tour et flétrit le printemps ;
L'automne épand ses dons, et sa fuite ramène
L'engourdissant hiver et les tristes autans.
 
Phébé meurt, puis d'éclat renaît environnée,
Tandis que les humains, aux bords de l'Achéron
Descendus près d'Ancus, de Tullus et d'Énée,
Ne sont qu'une poussière, un fantôme, un vain nom.
 
Qui sait si de nos jours le nombre doit encore
Être accru par les Dieux d'un nouveau lendemain ?
Donne au plaisir : la part que le plaisir dévore
D'un avide héritier du moins trompe la main.
 
Sitôt que sur ton ombre, aux Mânes réunie,
Minos aura porté ses solennels arrêts,
Rien ne pourra, ni rang, ni vertu, ni génie,
Te rendre, ô Torquatus, à nos pieux regrets.
 
Diane pleure en vain son fidèle Hippolyte
Qu'elle ne peut ravir à la nuit des enfers ;
Et de Pirithoüs aux rives du Cocyte
Un héroïque ami ne peut briser les fers.

 

VIII — À Marcius Censorinus

Entre tous mes amis partageant ma richesse,
J'aimerais à donner les bronzes précieux,
Les coupes, les trépieds qui dans l'ancienne Grèce
Payaient de ses enfants les travaux glorieux.
Et toi, Censorinus, certes à ma largesse
Tu n'aurais pas la moindre part,
Si le ciel m'eût donné ces merveilles de l'art,
Ces marbres que d'un Praxitèle.
Anima l'immortel ciseau,
Ces héros ou ces Dieux qu'à son gré d'un Apelle
Faisait éclore le pinceau.
Mais je n'ai point cet avantage,
Et content de ton héritage
De ces frivolités ton cœur n'est point épris.
Tu goûtes mieux les vers: les vers sont mon partage,
Je pourrai t'en offrir et t'en dire le prix.
Oui, les marbres pompeux, les titres magnifiques
Qui font dans la postérité
Revivre et respirer les guerriers héroïques;
Du sein de l'Italie Annibal rejeté,
Sa menace impuissante à sa honte tournée,
La parjure Carthage aux flammes condamnée,
Du premier Africain relèvent moins le nom
Que les chants d'Ennius inspiré d'Apollon.
Dans le silence de l'histoire
Le mérite s'éteint sans honneur et sans gloire.
Que serait d'Ilia l'auguste rejeton,
Si le jaloux oubli pesait sur sa mémoire ?
Qui, dérobant Éaque au sombre Phlégéthon .
A ses mânes ouvrit les Iles fortunées ?
Le poète et les chants de son luth immortel.
Oui, la vertu par eux, forçant les destinées,
Triomphe de la mort et mérite un autel.
Ainsi l'infatigable Alcide
Put s'asseoir aux banquets du souverain des Dieux ;
Aux nochers qu'engloutit l'abîme furieux
Les Gémeaux font briller leur étoile splendide ;
Et, le front ceint de pampres verts,
Bacchus daigne sourire aux vœux de l'univers.

 

IX — À Lollius

Ne crois pas que le temps abolisse les vers
Que par un nouvel art à sa lyre marie
Le poétique enfant des vallons d'Hespérie
Où l'Aufide mugit grossi par les hivers.
 
Au premier rang sans doute Homère brille encore,
Mais a-t-il de Pindare étouffé les lauriers ?
Non, non ; j'entends Alcée et ses hymnes guerriers,
Et les mâles accents du fougueux Stésichore ;
 
D'Anacréon le temps a respecté les jeux ;
Du chantre de Céos la muse est immortelle ;
Sapho respire encore, et sa lyre fidèle
De son ardent amour éternise les feux.
 
Longtemps avant Pâris on vit plus d'une Hélène
Brûler pour des cheveux arrangés avec art ;
D'un séducteur paré d'un éclatant brocart
Le cortège pompeux charma plus d'une reine.
 
D'autres avant Teucer bandaient l'arc du Crétois ;
Plus d'un roi mérita la gloire destinée
Au vaillant Sthénélus, au grand Idoménée,
Et Pergame avant eux trembla plus d'une fois.
 
Avant qu'Hector, avant qu'aux Troyennes campagnes
Le bouillant Déiphobe eût trouvé le trépas,
Combien avaient rendu de glorieux combats
Pour des enfants chéris, pour de chastes compagnes !
 
Plus d'un héros vécut avant Agamemnon,
Mais la Muse oublia d'honorer leur mémoire :
Dans la nuit éternelle, inconnus de l'histoire,
Ils demeurent plongés sans regrets et sans nom.
 
L'héroïsme est voisin de l'inerte indolence,
Quand l'oubli les confond dans un même tombeau.
Puis-je de tes vertus souffrir que le flambeau
S'éteigne impunément dans un obscur silence ?
 
Non; je veux, Lollius, à tes travaux divers
A tes talents bâtir un monument durable,
Pour immortaliser ton âme inaltérable
Dans la prospérité comme au sein des revers.
 
Inflexible ennemi de la fraude cupide,
L'or qui séduit les cœurs n'a point séduit le tien ;
De l'austère justice ô fidèle soutien,
Le temps n'emporte point ton consulat rapide.
 
N'es-tu pas investi d'un pouvoir éternel
Quand ta seule équité préside à tes sentences,
Et, d'une brigue impie écartant les instances,
Repousse avec dédain les dons du criminel ?
 
Que sert, pour être heureux, d'entasser la richesse ?
La fortune jamais ne donna le bonheur.
De ce titre les Dieux ont réservé l'honneur
A qui sait de leurs dons user avec sagesse,
 
Qui soutient l'indigence et les rigueurs du sort,
Qui craint plus de faillir que de perdre la vie,
Mais qui pour l'amitié, pour sa chère patrie,
Ne craint point d'affronter les dangers et la mort.

 

X — À Ligurinus

Toi que Vénus complaisante
De ses faveurs a doté,
Enfant, contre ton attente,
Bientôt ta barbe naissante
Humiliera ta fierté.
Tu verras, triste aventure !
Ta flottante chevelure
Tomber sous la faux du temps ;
Et, par un affreux outrage,
Les roses de ton visage
Se faner avec les ans.
 
Ah ! souvent lorsqu'en la place
D'un enfant cher à Vénus,
Tu ne verras dans la glace
Que la vieille et triste face
D'un autre Ligurinus,
Tu diras : « En ma jeunesse
« Si j'avais eu la sagesse,
« Comme aux portes du tombeau !
« Si, désormais moins sauvage,
« Je voyais de mon bel âge
« Se rallumer le flambeau ! »

 

XI — À Phyllis  

D'un vin d'Albe qui touche à son dixième automne
Pour toi je garde un plein tonneau ;
L'ache en mon verger croît pour tresser ta couronne,
Et le lierre chéri de l'amant d'Érigone
Ornera tes cheveux d'un éclatant bandeau.
De ses vases d'argent la table est décorée,
Tandis que l'autel, ceint de verveine sacrée,
N'attend que le sang de l'agneau.
Vois, chacun s'agite et s'empresse ;
Partout filles, garçons, courent obéissants,
Et de noirs tourbillons d'une fumée épaisse
Sortent des brasiers frémissants.
Veux-tu savoir à quelle fête
T'invite aujourd'hui mon amour ?
O Phyllis, Horace s'apprête
A célébrer cet heureux jour
Qui divise le mois où la plaine azurée
Au réveil du printemps enfanta Cythérée.
Le jour de ma naissance est moins cher à mon cœur ;
Car de ce jour sacré mon noble protecteur,
Mécène commença de compter les années
Qu'amasse sur son front l'ordre des destinées.

 

XII — À Virgile

Sous les brises de la Thrace,
Doux cortége du printemps,
La mer voit à sa surface
Glisser les vaisseaux flottants ;
De frimas dans les vallées
Les prés ne sont plus couverts,
Ni les rivières gonflées
Par les neiges des hivers.
 
Déjà la triste hirondelle
Vient s'abriter sous nos toits,
Progné, la honte éternelle
De l'Attique et de ses rois,
Qui, de vengeance altérée,
Meurtrière de son fils,
A l'incestueux Térée
Servit les membres d'ltys.
 
Couchés sur l'herbe fleurie,
Au milieu des gras troupeaux,
Les pâtres de la prairie
Font résonner leurs pipeaux,
Et leur mélodie enchante
L'agreste Dieu des pasteurs,
Le Dieu qui de l'Érymanthe
Chérit les sombres hauteurs.
 
La chaleur à boire invite ;
Ami, viens sabler mes vins,
Toi que protége l'élite
Des plus illustres Romains ;
Mais d'un Calès sans mélange
Si tu prétends t'humecter,
Souviens-toi par quel échange
Tu devras le mériter.
 
De nard porte une fiole,
Et pour payer ton cadeau
Soudain chez Galba je vole
Demander un plein tonneau.
Par sa bénigne influence
Tous les maux sont adoucis,
Et la féconde espérance
Bannit les amers soucis.
 
Si ce plaisir, ô Virgile ,
Pour toi n'est pas sans attraits,
Viens chez moi d'un pas agile,
Viens, mais partage les frais.
Donner sied dans l'abondance,
Mais le pauvre ne doit pas
Sans retour à l'opulence
Verser des vins délicats.
 
L'avarice déshonore,
Vite il faut t'en détacher ;
Songe, il en est temps encore,
Aux flammes du noir bûcher.
Sagesse, heureux qui t'oublie !
Heureux qui dans la saison
Mêle un instant de folie
Aux conseils de la raison !

 

XIII — À Lycé  

Les Dieux, ô Lycé, les Dieux
Ont exaucé ma prière :
L'hiver finit ta carrière
Et tu veux charmer nos yeux !
 
Dans ton impudence folle
Tu bois encore et tu ris ;
Mais loin des chênes flétris
Le cruel Amour s'envole.
 
Sanglant et mortel affront !
Tout le dégoûte, tes rides,
Tes dents jaunes et livides
Et les neiges de ton front.
 
Non, la pourpre de Ténare,
Non, l'éclat des diamants
Ne te rendront point les ans
Qu'emporta le temps avare.
 
Désormais ensevelis
Dans les fastes de l'histoire,
Où sont tes titres de gloire ?
Où tes roses et tes lis ?
 
Toi qui charmais ma jeunesse,
Toi qui respirais l'amour,
Que reste-t-il en ce jour
De ta grâce enchanteresse ?
 
Tu m'offris, quand le trépas
Me sépara de Cinare,
L'assemblage le plus rare
Des talents et des appas ;
 
Mais si dans l'âge de plaire
J'ai vu ses jours s'envoler,
Tu vivras pour égaler
La corneille séculaire.
 
Flambeau qui brûlait nos cœurs,
Aujourd'hui réduit en cendre,
Lycé vivra pour entendre
Nos ris bruyants et moqueurs.

 

XIV — À Auguste

Du Peuple et du Sénat quel magnifique hommage,
Quels pompeux monuments aux siècles à venir
Pourront de tes bienfaits transmettre d'âge en âge
L'éternel souvenir ?
 
Est-il à tes vertus un titre qui réponde,
Auguste, ô le plus grand de tous les souverains
Que le char du soleil éclaire dans le monde
Habité des humains ?
 
Des Vindéliciens la turbulente race
Naguère encore osait résister à ta voix :
Tes soldats sous Drusus ont contraint leur audace
A fléchir sous tes lois.
 
Du Génaune indompté les hordes belliqueuses,
Le Breune impétueux partout sont terrassés,
Et leurs forts menaçants sur les Alpes neigeuses
S'écroulent renversés.
 
D'un défi téméraire illustres représailles !
Mais l'aîné des Nérons vole à d'autres lauriers,
Et du Rhète acharné sur les champs de batailles
Écrase les guerriers.
 
A travers les débris de leur masse ébranlée,
Intrépide et sanglant le voyez-vous courir ?
Libres ils ont vécu, dans l'ardente mêlée,
Libres ils vont mourir.
 
Ainsi, lorsque le chœur des humides Pléiades
Perce la nue et brille aux yeux des matelots,
L'indomptable ouragan se lève et des Cyclades
Bouleverse les flots.
 
Le voyez-vous bondir : et d'une main hardie
Immoler sans merci le barbare impuissant,
Et lancer au milieu des feux de l'incendie
Son coursier frémissant ?
 
Aux champs apuliens tel en sa violence
L'Aufide mugissant roule ses tourbillons,
Lorsqu'il franchit ses bords et d'un désastre immense
Menace nos sillons :
 
Tel du fougueux Néron le choc irrésistible
Atteint, renverse, abat les Rhètes expirants ;
Leur mur de fer se brise, et son glaive invincible
Moissonne tous les rangs.
 
Le sang romain n'a point acheté la victoire :
Faut-il s'en étonner ? Un prince aimé des cieux,
Auguste lui prêtait ses drapeaux et sa gloire,
Son conseil et ses Dieux.
 
Quinze ans depuis le jour qu'implorant ta clémence
Pharos t'ouvrait ses ports et son palais désert,
Un triomphe nouveau, César, à ta vaillance,
Par le ciel est offert.
 
Ta volonté prélude et la fortune achève ;
Tous nos vœux sont comblés, la guerre est sans hasards ;
La victoire partout nous sourit et relève
La gloire des Césars.
 
Le Cantabre jadis à nos armes rebelle,
Le Scythe vagabond, le Mède, l'Indien,
Chacun vénère en toi de la ville éternelle
Le visible soutien.
 
Le Nil qui cache encor les sources de son onde,
Le Tigre impétueux, l'lster tremble à ton nom,
Et les monstres lointains de l'Océan qui gronde
Aux rives du Breton.
 
Le Gaulois impassible au milieu des alarmes,
L'lbère qui longtemps brava notre courroux,
Le Sicambre inhumain dépose enfin les armes
Et tombe à tes genoux.

 

XV — À Auguste

O César, je voulais célébrer tes conquêtes ;
Mais Phébus me défend de chanter les combats,
Et sa lyre me dit en vibrant : « Ne va pas
« Sur un fragile esquif atrronter les tempêtes. »
 
Tu rends à Jupiter les aigles de Crassus
Que du Parthe à ses Dieux consacra l'insolence ;
Ton règne a dans les champs ramené l'abondance,
Et la paix a fermé le temple de Janus.
 
Tes lois ont réfréné la licence indocile ;
Déjà l'ordre à ta voix renaît de toutes parts ;
Les vices sont bannis, et nos heureux remparts
Des antiques vertus redeviennent l'asile :
 
Ces vertus qui de Rome ont fondé la grandeur,
Et dont le nom latin chez les peuples s'honore ;
Ces vertus qui partout, du couchant à l'aurore,
De l'Empire ont porté la gloire et la splendeur.
 
César veille : exilé par nos guerres civiles,
Le calme renaîtra dans le monde épuisé ;
Et le glaive, longtemps par la haine aiguisé,
N'ensanglantera plus nos malheureuses villes.
 
Non, vous n'enfreindrez point ses décrets tout-puissants,
Peuples qui de l'Ister buvez les eaux profondes,
Vous que du Tanaïs ont vus naître les ondes,
Ni vous Sères lointains, ni vous traîtres Persans.
 
Dans les jours de travail comme aux jours de férie,
Quand Bacchus versera l'allégresse en nos cœurs,
Nos femmes, nos enfants, se mêlant à nos chœurs,
Supplieront avec nous les Dieux de l'Hespérie ;
 
Et comme nos aïeux, enfants de Quirinus,
Mariant notre voix aux flûtes de Lydie,
Des illustres héros nous redirons la vie,
Et Pergame, et le sang d'Anchise et de Vénus.

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