ON aime à se représenter Virgile dans les hauteurs sereines, entre le ciel et la terre, ombre à la fois légère et majestueuse, pure surtout, et ayant quelque chose de virginal. Tel le voyait Dante quand il le prenait pour guide à travers les mondes surnaturels. Eût-il trouvé dans toute l'antiquité une âme plus élevée, plus naturellement religieuse, pour ainsi dire, et plus voisine de la lumière du ciel chrétien ? Les Pères de l'Eglise eux-mêmes ont subi ce charme, eux et tout le moyen âge. C'est qu'en effet Virgile a quelque chose d'éthéré et de mystérieux. De sa vie nous ne savons rien que des détails touchants et poétiques : la spoliation du champ paternel, la lecture des vers divins sur le jeune Marcellus et ce voyage au doux pays de la Troade, et cette mort en touchant le rivage. Tout le reste, c'est-à-dire le côté matériel et vulgaire, nous échappe. Les sots biographes postérieurs ont eu beau faire, ils n'ont pu le créer; dans leurs plates inventions, le mystérieux, le divin apparaît toujours: il domine cette vie, il est comme le caractère même de cette figure.
Tout autre est Horace. Il ne s'est pas fié aux biographes du soin de le faire connaître ; il s'est chargé lui-même de son portrait, et il l'a fait et refait avec complaisance et sincérité. Poète lyrique, il devrait, ce semble, se plaire sur les hautes cimes, et de son aile légère s'élever au-dessus de la fange humide (udam spernit humum fugiente penna) ; mais il est mieux sur terre que parmi les astres ; il nous dit bien qu'il va frapper les étoiles de son front sublime (sublimi feriam sidera vertice), mais il n'est pas dupe, il ne veut pas que nous soyons dupes de cette ambitieuse métaphore. Il monte rarement vers les hauteurs et difficilement, il en descend vite et avec plaisir. Rien de mystérieux et de voilé dans sa vie. Il nous apprend sans fatuité comme sans mauvaise honte qu'il est petit, gros, replet même, qu'il a mal aux yeux et les soigne avec du collyre, que son estomac n'est pas excellent, qu'il a parfois la pituite. Il nous dit à quelle heure il se lève, ce qu'il fait tout le long du jour. — Ecoutons-le :
« En quelque lieu que me mène ma fantaisie, j’y puis aller seul. Je m'arrête à demander le prix des légumes, du froment. J'erre jusqu'à la nuit close dans la foule du cirque et du forum, m'amusant de leurs charlatans, écoutant leurs devins ; je reviens ensuite à la maison trouver mon plat de légumes, de pois chiches et de petits gâteaux. Trois esclaves font le service. Un buffet de marbre blanc porte deux coupes et un cyathus ; auprès est un hérisson de peu de valeur, un vase à libations avec sa patère, le tout en terre de Campanie. Enfin, je m'en vais dormir, sans affaire dans la tête qui m'oblige à me lever le lendemain de bonne heure, à me rendre avec le jour auprès de Marsyas, dont le geste témoigne qu'il ne peut souffrir la figure du plus jeune des Novicius. Je reste au lit jusqu'à la quatrième heure (dix heures du matin). Ensuite je me promène, ou bien encore, après avoir occupé mon esprit de quelque lecture, m'être amusé à écrire, je me fais frotter d'huile, mais non comme le sale Natta, aux dépens de la lampe. Quand la fatigue et l'ardeur du soleil m'avertissent qu'il est temps d'aller au bain, je quitte le champ de Mars et ses jeux, puis je mange ce qu'il faut seulement pour ne pas rester jusqu'au soir l'estomac vide, et jouis à la maison comme je l'entends de mon loisir. Voilà comment vivent les hommes exempts des misères de l'ambition, qui n'en portent point les lourdes chaînes ; ainsi je me console de ma médiocrité, plus heureux par elle que si j'avais eu, comme d'autres, un aïeul, un père, un oncle questeurs. »
Va-t-il à la campagne, il nous décrit les lieux qu'il habite, son genre de vie, les heures où il dort, boit, mange, travaille, ce qu'il pense, ce qu'il sent, ce qu'il aime, ce qu'il hait. Il nous entretient de ses maîtresses, de ses amis, des amis de ses amis. Tout lui est matière à confidence. Jamais poésie ne fut plus personnelle que la sienne ; Montaigne lui-même n'a pas un moi plus expansif. Avec cela, aucune fatuité et beaucoup d'esprit; on l'écoute avec plaisir, et on le croit, car volontiers il dit du mal des autres et de lui-même.
Les événements qui composent sa vie sont peu de chose, mais ils font bien connaître l'homme et le poète. Il n'a jamais été marié, il n'a jamais exercé la moindre charge publique, il n'a jamais plaidé au forum. Il est en effet, comme il le répète si souvent, exempt d'ambition. Une fois, une seule fois, il s'est jeté en aveugle an milieu des orages de la guerre civile. Il avait alors quelque vingt ans. Brutus, tout chaud encore du meurtre de César, était venu à Athènes et avait enflammé les jeunes Romains qui y étudiaient la philosophie, en faisant sonner les grands mots de patrie et de liberté. Horace, simple fils d'un affranchi, collecteur pour les ventes à l'enchère, vivait familièrement parmi ces jeunes gens des plus grandes familles de Rome, grâce à la libéralité éclairée d'un père excellent qui consacra tout son bien à l'éducation de son fils. Ardent et enthousiaste, il suivit Brutus, fut nommé par lui tribun commandant une légion, et se battit à Philippes. Mais cet héroïsme ne se soutint guère. Il fut des premiers à jeter son bouclier, il fut le seul qui s'en vantât plus tard. — « Pendant que Brutus se plongeait son épée dans le corps, dit M. de Lamartine, Horace jeta la sienne, ainsi que son bouclier, pour fuir plus légèrement. » Notre grand poète est sévère pour ce pauvre Horace, presque autant que pour La Fontaine. Il voit de trop haut les choses et les hommes, le niveau de la réalité ne saurait être le sien. Sans accepter ses jugements dans toute leur rigueur, souhaitons qu'il y ait toujours parmi nous de ces âmes incapables de comprendre et de justifier ce qui est le contraire de l’héroïsme (L'abbé Galiani, qui avait tant d'esprit, ne le prenait pas de si haut avec Horace. « La bataille de Philippes le guérit de la maladie qu'on appelle bravoure, et il redevint pour toujours poète, et, comme de raison, poltron. »).
Après Philippes (710, il avait vingt et un ans, étant né en 689), il revint en Italie, « humble et déplumé », nous dit-il (decisis humilem pennis); ses biens avaient sans doute été confisqués. Il se fit scribe du questeur, et tint les registres du trésor public, sans amour, on le conçoit, pour cette besogne. C'est alors que l'audacieuse pauvreté le poussa à faire des vers. Quels vers ? De passion ? d'enthousiasme, comme il sied à cet âge ? Non, des vers satiriques de différents mètres (épodes et premières satires). Quelques traits acérés allaient jusqu'à Mécène, le favori du vainqueur. Virgile et Varius vont le trouver et lui offrent de le présenter à Mécène, c'est-à-dire de le débarrasser enfin de ce rôle de républicain et d'opposant auquel il est impropre. Il accepte. Il a lui-même raconté l'entrevue (Sat. I. ii. 25) qui n'aboutit qu'au bout de près d'une année. Le voilà reçu dans l'amitié de Mécène, et par lui comblé de biens et de faveurs, approché d'Auguste, et faisant déjà des jaloux. — On n'a pas épargné au poète les gros mots sur cette brusque et si complète conversion. L'ode à Pompéius Grosphus (Carm. II. vii), qui semble avoir été écrite vers cette époque (715), et dans laquelle il a le malheur de plaisanter sur ces noms lugubres de Brutus et de Philippes, et ces braves qui « touchent du menton le sol fangeux », et ce bouclier jeté, a servi de point de départ à bien des accusations.
Sans accepter entièrement l'ingénieuse et indulgente explication de M. Patin, je dirais volontiers avec lui que le poète ne pouvait guère agir autrement, non parce que bien d'autres faisaient de même, mais parce que entre tous Horace était préparé à cette évolution. Elle était conforme à sa nature intime, à tous ses goûts : il était essentiellement monarchique de cœur. Ce n'est donc pas sa conversion qui est difficile à expliquer, c'est son court accès de républicanisme. « Il faut mesurer chacun à sa mesure, » dit-il quelque part; sa mesure à lui, c'était un tempérament ingénieux entre tous les extrêmes.
Le gouvernement d'Auguste, dont il ne vit que la plus belle partie, lui convenait sous tous les rapports. Il aimait la paix, les loisirs que faisait le prince aux ci-devant citoyens, les formes adroites dont il masquait son autorité, les délicates attentions qu'il déployait envers les gens de lettres. Il se rendit sans combat à tous ces agréments, et sans renoncer à aucune conviction, car il n'en avait pas. — Ceci bien établi, il faut ajouter que son attitude sous le règne d'Auguste fut de tout point celle d'un galant homme ; qu'il ne montra jamais l'âme d'un valet, qu'il sut conserver une honnête indépendance individuelle. L'empereur voulut en faire son secrétaire, il refusa : il semble même avoir plus d'une fois fait comprendre à César et à Mécène qu'il voulait bien les aimer, célébrer leurs bienfaits, mais non se faire leur amuseur en titre. Mécène, retenu à la ville où il s'ennuie, veut forcer Horace à quitter la campagne où il se trouve bien. — Le poète refuse et se dégage de la manière la plus polie et la plus ferme à la fois. En acceptant les présents de son bienfaiteur, il n'a pas entendu vendre sa liberté ; que si Mécène insiste, réclame un droit, Horace rendra tout pour rester indépendant. — Ceci n'altéra en rien leur amitié. Il avait juré en poète qu'il ne survivrait pas à Mécène ; sa mort, qui arriva vingt jours après celle de son bienfaiteur, lui donna raison. Quand il mourut, il jouissait encore de cette médiocrité dorée qu'il a tant célébrée : il n'avait pas voulu de l'opulence, ni des honneurs, ni du fracas d'une grande existence. Il resta toute sa vie simple et modéré. C'est le plus bel éloge qu'on puisse faire de lui. Si l'adversité l'avait abattu, ce qui n'est pas certain, la prospérité ne le gâta point.
Tel fut l'homme voyons le poète. — Il a laissé de vers lyriques, des satires, des épîtres.
Ses vers lyriques se composent de quatre livres d'odes, un livre d'épodes, et le Chant séculaire.
Il parle lui-même et en termes magnifiques de cette partie de son œuvre. — « Je l'ai achevé, ce monument plus durable que l'airain, plus haut que les royales pyramides, pour la ruine duquel ne pourront rien, ni la pluie qui pénètre et qui ronge, ni l'aquilon déchaîné, ni la suite sans nombre des années, ni la fuite du temps. Non, je ne mourrai pas tout entier; une grande part de mon être échappera à la déesse des funérailles. Toujours je grandirai dans l'estime de la postérité, rajeuni par ses louanges... On dira que... m’élevant au-dessus de mon humble fortune, le premier, je fis passer les chants de la muse d'Éolie dans la poésie italienne. Conçois un juste orgueil, ô ma Melpomène, et viens toi-même ceindre mon front du laurier de Delphes. »
Et ailleurs : « Je suis le premier qui ai fait vibrer les cordes de la lyre latine. » Il oublie Catulle, dont il ne prononce le nom qu'une fois et avec un dédain mal déguisé, Catulle qui lui dispute sérieusement l'honneur d'avoir été le premier poète lyrique en date et en génie.
Les odes d'Horace sont la partie la plus éclatante de son œuvre et la moins originale. Le temps, qui nous a envié presque tous les poètes lyriques de la Grèce, a cependant laissé de leurs vers subsister assez de fragments pour mettre à nu les procédés artificiels de la poésie d'Horace. Il n'est peut-être pas une seule de ses odes qui ne soit une traduction ou une imitation partielle. J'ai déjà eu plus d'une fois l'occasion d'indiquer ce caractère général de la littérature romaine. Les Romains étaient fort peu sensibles à ce que nous appelons aujourd'hui l'invention, l'originalité. Ils ne se piquaient guère d’invention que dans la rhétorique. Dans la littérature proprement dite, et particulièrement en poésie, ils mettaient leur gloire à lutter contre un texte grec. Les plus forts d'entre eux marquaient leur œuvre de l'empreinte du génie national, qui a toujours je ne sais quoi de plus énergique et de plus sobre.
Horace n 'échappa point à cette loi générale, et d'ailleurs où aurait-il pris l'inspiration libre et féconde ? C'est un galant homme, mais sans enthousiasme. Il ne chantera point la liberté ; il l'a réduite de bonne heure à l'indépendance individuelle, et il ne voudrait point d'un nouveau Philippes. Cette partie de l'œuvre d'Alcée, un de ses modèles, il la laisse prudemment dans l'ombre. Chantera-t-il la patrie ? — Oui, il ne peut s'en dispenser, mais la patrie incarnée en Auguste, ses amis, sa famille. La gloire guerrière du prince, il s'épuise en vain à la célébrer en Pindare : la matière est ingrate, et l'élan lui manque. Il s'y essaye cependant, et fait au nouveau César un cortège de toutes les splendeurs du passé ; mais ces grands noms qu'il évoque font pâlir celui d'Auguste, et les exploits de l'empereur languissent auprès de ceux des Scipions et des Fabricius. Sera-t-il plus heureux, lorsqu'il chantera les gloires pacifiques du nouveau règne, ces lois admirables et impuissantes contre les désordres des mœurs, la prodigalité et tous les vices qui minaient le colosse romain ? On sent bien qu'il manque d'autorité pour entreprendre une telle tâche, et qu'il se moque lui-même de ses sermons rythmiques. Il reste les dieux, la religion, les temples rebâtis ou multipliés par Auguste, les vieilles cérémonies remises en honneur. Le poète aborde aussi ce sujet, et consciencieusement s'efforce de chanter en croyant les belles choses dont il se moque à table avec ses amis et Auguste lui-même. Il reste froid et ne fait admirer que l'habileté de son langage et la riche harmonie de ses vers. Le souffle l'abandonne dès les premières strophes; et il lui arrive parfois de terminer par une plaisanterie une ode religieuse ou morale. Quoi de plus faible que le chant séculaire ? Sous la pompe des images, on sent le vide et la sécheresse. Le poète est érudit, ingénieux, moral, mais il ne croit à rien de ce qu'il chante.
Il y a cependant dans les odes d'Horace des pièces charmantes et vraies. Si le vol d'aigle de Pindare lui est interdit, il peut mouvoir avec grâce ses ailes dans une région moyenne, plus près de la terre que du soleil. Sceptique et indifférent aux grandes choses, il est sensible aux joies et aux tristesses de la vie intime. Il était tendrement attaché à ses amis Mécène, Virgile, Varius, Varus; il eut des maîtresses, il fut aimé, trahi, repris et quitté. Il aimait les champs et les loisirs et les agréables conversations après boire. C'est dans les odes où il s'est chanté lui-même, qu'il faut chercher la vibration de la fibre poétique. Elle y est. Mais n'attendez point des effusions puissantes et désordonnées, cris d'une âme profondément atteinte et qui ne se maîtrise plus. L'homme est ému, l'artiste reste impassible les troubles intérieurs n’arrivent jusqu'à lui que pour mettre en mouvement ses facultés dès qu'il écrit, le souci de la forme contient tout tumulte ; il faut que joie ou douleur, tous les sentiments se plient aux règles sévères de la beauté. C'est ainsi, ce n'est pas autrement que se produisent les œuvres parfaites.
Plus impétueux s'élancent Eschyle, Pindare, Shakespeare, Dante, mais dans ces torrents d'or il y a des scories. Virgile, Horace, Racine, plus maîtres d'eux-mêmes, sont faibles parfois, jamais mauvais. Au moment où Horace composait avec un art si achevé ses petits poèmes lyriques, l'idiome latin était parvenu à tonte la souplesse, à toute l'harmonie dont il est susceptible. La langue poétique était, je ne dis pas fixée, jamais elle ne le sera dans aucun pays où il naîtra des poètes, mais elle possédait un riche trésor de tours et d'expressions distincts de la prose. Elle ne les avait acquis que par un travail pénible et une lutte de tous les instants avec les modèles grecs. De richesses intimes et tout à fait personnelles elle n'en possédait guère, et elles étaient frustes, sorte de diamants non taillés : tels les vers d'Ennius, de Lucilius et même de Lucrèce. Horace ne trouva en son propre génie que des perfectionnements artificiels, des richesses conquises par l'étude. Il ne fut pas une source nouvelle, jaillissant des sept collines ; ce qu'il ajouta au trésor commun, il le dut à d'habiles et souvent audacieux emprunts. Il traça lui-même les règles de cette imitation du grec, fondée sur l'analogie (graeco fonte cadant, parce detorta). Ses néologismes, car il en a et beaucoup, ont un air national, et sont pourtant étrangers. Aussi composait-il lentement, péniblement, toujours arrêté par quelque scrupule, ou ambitieux de condenser en peu de mots expressifs une idée ou un sentiment.
Mais, bien mieux que nous, il dira ce que c'est que la grande inspiration auprès de son travail difficile. « Une aile puissante soutient dans les airs le cygne thébain, quand il s'élance vers la région des nuages. Mais moi, comme l'abeille de Matine, qui se fatigue à recueillir les sucs embaumés du thym, je ne compose pas sans peine sous les ombrages, près des eaux du frais Tibur, mes vers laborieux. »
Combien il est plus aisé et plus naturel dans les Satires et les Épîtres ! Ce sont à vrai dire des conversations (sermones), soit avec le public, soit avec un particulier; et il était plus facile à Horace de prendre ce ton que la fière allure de la poésie lyrique. Les satires furent composées de l'an 713 à l'an 726 entre la vingt-quatrième et la trente-septième année d'Horace ; l'une d'elles cependant (la 7ème du 1er livre) remonte jusqu'au temps où il servait dans l'armée de Brutus. Elles correspondent donc pour la date à la jeunesse et à la première maturité du poète, et l'on serait en droit de chercher dans une œuvre de ce genre la verve et la flamme de la jeunesse. Quoi que nous en ayons en effet, ce mot de satire éveille aussitôt en nous le souvenir de Juvénal : Juvénal est pour nous comme le modèle suprême, l'idéal même de la satire, et c'est d'après lui que nous sommes enclins à juger tous ceux qui ont osé marcher dans la même voie. Horace ne ressemble en rien à ce roi de l'hyperbole. Ce n'est pas assez de dire qu'il n'a point en lui
«…Ces haines vigoureuses Que doit donner le vice aux âmes vertueuses »,
il faut ajouter que tout ce qui est excessif lui demeure naturellement étranger. « Le sage, dit-il quelque part, mériterait le nom de fou, le juste celui d'injuste, s'il recherchait la vertu au delà de ce qui suffit. » Il faut en tout de la mesure, dans les plaisirs, dans les chagrins, dans la sagesse, dans la folie, et, si vous écrivez, dans l'expression. Une âme ainsi faite, si raisonnable, si maîtresse d'elle-même, n'aura point de ces indignations tonnantes à la Juvénal.
Horace, sceptique et doucement railleur, ne se met point on colère; le ridicule, dit-il quelque part, fait mieux que la violence. Il voit, observe, prend ses notes, décoche ses traits malins sur celui-ci, sur celui-là; ne s'oublie pas lui-même et se fait agréablement son procès. Ses plus grandes hardiesses ne vont pas au delà d'une raillerie spirituelle, délicate, comme il convient à un homme trop sensé pour se mettre en colère à propos des vices des autres. Ces emportements de langage d'ailleurs ne sont pas d'un homme bien élevé, et qui sait vivre. Or, la société familière de Mécène et d'Auguste se distingue surtout par l'urbanité, qui n'est autre chose que la mesure parfaite et le respect des convenances. Dans un tel milieu un déclamateur virulent eût été ridicule et souverainement incommode. Cette aimable société d'épicuriens a pour devise notre vers charmant « Les sots sont ici-bas pour nos menus plaisirs. »
La satire d'Horace prendra donc la forme d'une conversation enjouée et piquante, et ses plus grandes hardiesses n'iront guère au delà de ce que se permettent en causant familièrement des hommes d'un esprit aiguisé. Quelques crudités par-ci par-là, comme il en échappe en petit comité ; nul ne s'en scandalisait à Rome; on en voyait, on en entendait bien d'autres au théâtre.
Voilà pour le ton général de l'œuvre. L'esprit naturellement modéré d'Horace et le cercle littéraire dans lequel il vivait ne permettaient pas qu'il fût autre, plus haut et plus passionné. Quant au fond, il porte plus marquée encore l'empreinte des circonstances extérieures. La position prise par le poète dans la société romaine le condamnait nécessairement à une extrême réserve. N'était-il pas l'ami et le confident d'Auguste et de Mécène ? N'avait-il pas chanté, ne chantait-il pas tous les jours dans ses odes les bienfaits du nouveau règne, la religion remise en honneur, la paix assurée au monde, les vieilles mœurs restaurées, la chasteté des mariages, la virile éducation donnée à la jeunesse ? Si tout était bien sous le principat d'Auguste, quelle pouvait être la matière des satires ?
Nous touchons ici le point délicat, le desideratum de cette œuvre trop vantée. On a voulu y voir un tableau complet et exact de la société romaine d'alors. Rien de moins fondé. Horace n'était pas de taille à tracer ce tableau, qui eût demandé un pinceau bien autrement énergique que le sien. Était-il dupe de l'hypocrisie officielle ? Voyait-il sous les couleurs brillantes dont Auguste masquait son administration, les vices sans nombre de l'œuvre nouvelle ? Croyait-il sincèrement à ce replâtrage de la vielle Rome républicaine par un maître absolu ? Il avait, j'imagine, trop d'esprit pour prendre au pied de la lettre ces menteuses restaurations du passé. Mais il n'avait ni le courage de les dévoiler, ce qui eût été à proprement parler l'œuvre d'un vrai poète satirique, ni l'idée de s'en scandaliser.
Que la chose publique aille comme il plaira aux dieux et à l'empereur que cela regarde ; pour nous, jouissons de la vie et moquons-nous des sots. Les sots, voilà en effet les victimes d'Horace. Il y en a bien des espèces : les bavards importuns, les beaux esprits, les difficiles, les inconséquents, ici un mauvais poète, là un chanteur, un stoïcien renfrogné, un gourmand.
Il esquisse d'une main légère ces divers personnages, et en dessine d'assez agréables caricatures. Mais est-ce au nom de la morale outragée qu'il accable ces malheureux de ses traits acérés ? Nullement. Encore une fois ce point de vue élevé lui est absolument étranger. Voici l'idée qu'Horace s'est faite de l'humanité; on y retrouvera un évident ressouvenir de ses études de philosophie morale à Athènes.
Tous les hommes sont à un degré quelconque atteints de folie; folie ou passion, c'est tout un, le mot stultus a les deux sens. Tous sont poussés par la passion à des actes mauvais et surtout absurdes. Prenons un exemple, la satire II du premier livre. Le poète démontre, car c'est une thèse qu'il soutient, que l'adultère est une folie, un fort mauvais calcul, si l'on veut. Il ne peut avoir pour excuse que la passion; or, n'y a-t-il qu'une femme mariée qui puisse satisfaire les emportements de la passion ? Elle n'est pas plus belle que toute autre, et, de plus, un commerce avec elle expose aux plus cruels dangers, à la perte de l'honneur, de la fortune, souvent même de la vie. Donc, libertins, respectez les femmes mariées et contentez-vous des affranchies et des courtisanes. Voilà la morale d'Horace, c'est celle que lui enseignait son père : il lui montrait un débauché connu, déshonoré, et lui disait : Veux-tu être comme lui ? Les dernières conséquences de cette théorie sont faciles à déduire : d'un côté, identité du vice et de la folie ; de l'autre, identité de la vertu et de la prudence. Il est dans la nature de l'homme de céder à l'attrait du plaisir : seulement l'insensé compromettra sa fortune, son honneur, sa vie; le sage saura jouir, sans se compromettre en rien. L'avare et le prodigue, le gourmand et l'ambitieux, sont aussi des insensés. Ils veulent être heureux, et ils ont raison ; mais les moyens qu'ils emploient sont mauvais. Voilà le fond moral des satires d'Horace ; elles peuvent toutes, sauf celles qui sont un récit (comme le voyage de Brindes, le souper ridicule, la présentation à Mécène, l'éloge de la campagne), se réduire à ce principe. Par là elles sont à la portée du plus grand nombre, et elles plairont toujours aux esprits modérés. Le poète d'ailleurs s'applique souvent à lui-même les critiques qu'il adresse aux autres : il le fait avec un agrément et une sincérité parfaite, c'est un charme de plus. Au lieu d'un auteur, on trouve un homme.
Les Épîtres sont des dernières années de la vie d'Horace. Je les appellerais volontiers son testament moral et littéraire. Arrivé à l'âge où l'on est devenu tout ce qu'on doit être, il se montre tel que l'ont fait les années, l'expérience des hommes et des choses et le travail de la pensée. Il y a deux parties bien distinctes dans cette œuvre : l'une qui comprend les théories morales, ou, si l'on aime mieux, la philosophie d'Horace, c'est le premier livre ; l'autre, qui renferme ses théories littéraires, c'est le second livre. On sait que l'Épître aux Pisons, vulgairement appelée Art poétique, en fait partie.
Voyons d'abord le moraliste. Comme tous les Romains éclairés de son temps, Horace connaissait parfaitement les principaux systèmes philosophiques de la Grèce, et il avait extrait de chacun d'eux, en les combinant, en les corrigeant, un ensemble de règles pour la conduite de la vie. Écoutons-le.
« Je dis adieu pour toujours et aux vers et aux autres frivolités. Qu'est-ce que le vrai, l'honnête ? voilà ce qui m'inquiète, ce que je cherche, ce qui m'occupe tout entier. J'amasse désormais pour les besoins de l'avenir. Ne me demande pas sous quels drapeaux je marche, à quelle maison je m'attache ; je n'ai point de maître à qui je me sois donné, à qui j’aie juré obéissance; hôte passager, je m'arrête où me jette la tempête. Tantôt j'embrasse la vie active, je me hasarde sur la mer orageuse du monde ; je suis le partisan sévère, le sectateur rigide de la vertu véritable. Tantôt je me laisse doucement retomber dans la morale d'Aristippe, et je me soumets les choses du dehors au lieu de me soumettre à elles. »
Il ne nomme point Épicure, mais c'est bien son vrai maître. Le stoïcisme n'était pas fait pour lui. Il se moque, lorsqu'il dit qu'il songe à se hasarder sur la mer orageuse du monde, et à embrasser la vie active du citoyen. Le stoïcisme ordonnait en effet à ses disciples de se mêler à la vie publique ; mais Horace en fut-il jamais tenté, et songea-t-il jamais à conseiller à d'autres ce que lui-même regardait avec raison comme impossible ? Qu'on lise les épîtres 17 et 18 du premier livre, adressées l'une à Scéva, l'autre à Lollius, on aura le vrai code de la morale politique du jour. — « Gouverner, commander, offrir à ses concitoyens le spectacle d'ennemis captifs, voilà ce qui touche au trône de Jupiter, qui aspire aux honneurs du ciel. Mais plaire aux premiers de la terre, ce n'est pas non plus un honneur si médiocre. » — Nous voilà bien prévenus, les grandeurs de la vie publique sont réservées aux dieux, c'est-à-dire à Auguste et à sa famille pour les autres, la gloire de bien faire leur cour. — C'est un art difficile, une Corinthe où tous n'abordent pas. Il faut être discret, réservé, regarder sans voir, écouter sans entendre, ne pas importuner surtout par des phrases de mendiant. – « J'ai une sœur sans dot, une mère dans la pauvreté, un bien dont on ne peut se défaire, et qui ne suffît point à nourrir son maître. Parler ainsi, c'est crier donnez-moi à manger. » — Ne soyez point non plus vil flatteur et bouffon, ni rude et renfrogné pour vous donner l'air d'un indépendant, d'un Caton, ni complaisant outré et fastidieux, ni contradicteur opiniâtre. « La vertu est un sage milieu entre deux excès opposés. » Il faut sacrifier ses goûts à ceux du maître, aller à la chasse de bon cœur s'il le désire, bien qu'on ait envie de rester chez soi à faire des vers. Surtout ayons grand soin de ne jamais recommander les gens dont nous ne sommes pas sûrs. Leurs fautes retomberaient sur nous. Soyons gai avec le maître quand il est gai, triste quand il est triste, grand buveur, quand il aime à boire. Que si toutes ces sujétions te semblent trop dures, étudie les philosophes et apprends d'eux la résignation, ou, ce qui vaut mieux encore, la modération dans les désirs, qui assure à l'homme ce bien inestimable, la liberté. A défaut du citoyen, nous avons l'homme. La morale devient personnelle, bornée exclusivement au moi.
Que nous sommes loin du Traité des devoirs de Cicéron ! La suppression de la vie publique, en enlevant au Romain son plus haut intérêt, le condamne à se concentrer en lui-même. Il cherchera encore le souverain bien, mais il ne le trouvera plus dans l'action et le dévouement. Il a entendu les clairons qui sonnaient la retraite ; il quitte le forum, rentre chez lui. Qu'y fera-t-il ? Il combattra l'oisiveté qui lui est imposée, par l'étude, les voyages, le jeu, les festins, les amours faciles. Ses amis ne sont plus des amis politiques, mais des compagnons de plaisirs. Quelques-uns, âmes plus fortes, ne pouvant se consoler de n'être plus citoyens, restent dédaigneusement à l'écart, sacrifiant en secret à la vieille divinité, la république hommes chagrins, austères, trouble-fêtes, qui ont toujours à la bouche les noms des Caton, des Brutus et des Cassius. Ce sont les stoïciens. Horace se moquera de ces gens attardés. D'autres se jettent en désespérés dans toutes les fureurs du luxe et de la volupté ; ils consument dans un seul festin une fortune royale, ils engraissent leurs murènes de sang humain, comme Apicius, comme Védius Pollion : ce sont les Epicuriens poussant jusqu'aux dernières monstruosités le précepte du maître. Les sages demandent à la vie tous les biens qu'elle offre à ceux qui savent les découvrir et en jouir. — Point de regrets inutiles pour ce qui n'est plus et ne saurait revenir; point d'ambitions démesurées ; le jour qui nous éclaire peut être le dernier, jouissons-en. Aimons, rions, buvons, chantons; vivent les douces causeries, et le sommeil et la précieuse oisiveté ! Se porter bien, avoir de bons amis, des livres, un domaine aux champs, une maison à la ville, que faut-il de plus pour être heureux ? Et le bonheur n'est-il pas la fin de l'homme ? — Voilà la philosophie d'Horace: elle est peu héroïque, comme dit fort bien M. Patin; mais elle n'en est que plus raisonnable, et plus à la portée du commun des hommes. — Je serais étonné cependant qu'elle pût satisfaire des âmes jeunes. C'est un vin vieux, dit Voltaire, soit, mais il ajoute qui rajeunit les sens... Je croirais plutôt qu'il les engourdit. Mais c'était comprendre excellemment son époque que de présenter la vie sous cet aspect.
Tout se tient dans Horace. L'homme et le poète ne font qu'un. De même que tous les héros des anciens âges pâlissent devant Auguste, ainsi les poètes modernes effacent la gloire de leurs devanciers. Cette guerre contre les poètes de la république, il la commença de bonne heure, à peine rallié au nouveau règne, et il la poussa jusqu'à son dernier jour. C'est qu'il ne s'agissait plus seulement d'Auguste, de Mécène, du principat : il y allait de l'honneur de l'école moderne ; Horace combattait pour son propre foyer. Il faut bien le reconnaître, c'est la partie la plus faible de son œuvre. On ne comprend pas qu'un homme de tant d'esprit se soit obstiné à une plaidoirie si malheureuse. Ici évidemment ce sage, toujours maître de lui-même, a été égaré par la passion. L'amour-propre est le plus dangereux des guides.
Au temps où la nouvelle école représentée par Horace, Virgile, Varius, tous courtisans ou amis d'Auguste, mettait au jour des œuvres qui portaient si vive l'empreinte de leur temps, il y eut surprise, indignation, et retour passionné vers les poètes de la république. L'opposition politique devenue impossible se transforma en opposition littéraire. On ne pouvait attaquer Auguste, on attaqua Virgile et Horace. On se plut à opposer à leurs vers laborieux, la franche et vive allure d'Ennius, de Lucilius ; à leur délicate plaisanterie, la verve puissante de Plaute : on affecta surtout une admiration passionnée pour les poètes tragiques de la république, Pacuvius, Attius ; on remonta même jusqu'au cinquième siècle, et on remit au jour les Saturnins abrupts de ce fougueux Névius, l'opiniâtre adversaire des grands.
Certains archéologues plus fanatiques encore s'éprirent tout à coup des lois des Douze Tables, du chant des Saliens, des livres des Pontifes, des vieux oracles des devins. Enfin on évoqua toute la vieille Rome littéraire pour la dresser comme un rempart contre les novateurs de l'empire. Le doux Virgile ne fut point troublé de ces clameurs : comme notre Racine il se borna à laisser tomber de sa plume une épigramme rapide et cruelle, qui perçait de part en part deux des plus ardents détracteurs, Bavius et Mévius.
Horace était plus irascible. Il harcela d'abord ces ennemis littéraires, les Pentilius, les Démétrius, les Fannius, et bien d'autres ; mais cela ne lui suffit pas, battus, ils se retranchaient derrière Ennius, Lucilius, toute l'antiquité. Horace fit leur procès aux anciens. Il s'indigne qu'on réclame pour eux autre chose que de l'indulgence. Ceux qui admirèrent les plaisanteries et le nombre de Plaute furent des sots. Quant aux antiquaires qui vantent les lois de Numa et les chants des Saliens, ils ne les comprennent pas plus que moi. Ils crient à l'impudence quand je me permets de critiquer la marche des pièces d'Atta. Quoi ! s'écrient-ils, des pièces que jouaient le grave Aesopus, le docte Roscius (traduisez, des pièces républicaines, pleines d'allusions à la liberté menacée et perdue.) Sous cette admiration obstinée il y a autre chose, il y a la malveillance et l'envie contre les poètes modernes. — Mais enfin que pense-t-il des anciens ? Il pense que leurs vers sont durs, lâches et souvent languissants ; qu'ils écrivaient sans soin, à la hâte, plus désireux de faire beaucoup que de faire bien ; que Lucilius est un fleuve bourbeux, qu'Ennius est ridicule avec ses prétentions le continuateur d'Homère. Toutes ces critiques, on le voit, se réduisent à ceci. Les anciens sont grossiers dans leur langage et dans la facture de leurs vers ; qui le niait ? Mais on parlait ainsi de leur temps.
Avaient-ils du moins, ces barbares, l'inspiration forte, l’élan, la verve, la foi ? S'ils dédaignaient la rature, n'était-ce pas que leurs vers jaillissaient impétueux de leur âme de feu ? Il y a du fumier dans Ennius ; soit, mais il y a aussi des perles ; et Virgile en faisait son profit. Horace lui-même, lorsqu'il était plus jeune et plus équitable, retrouvait dans la phrase brisée d'Ennius « les membres dispersés du poète ».
Une nouvelle poétique se forme, Horace en donne les règles. La première, c'est l'étude incessante des modèles de la Grèce : « Feuilletez-les nuit et jour. » La seconde, c’est le soin scrupuleux de la forme, de la minutieuse exactitude. Le poète sera avant tout un être raisonnable ; il étudiera Socrate et ses disciples pour apprendre à bien penser. Il mettra chaque chose en sa vraie place, observera la distinction des genres, polira et repolira sans cesse son ouvrage. Précepte judicieux que notre Boileau développera complaisamment, et dont on ne s'avise que le jour où le vide des idées et la froideur de l'inspiration cherchent à se dissimuler sous la perfection de la forme.
A quoi sert de le dissimuler, en effet ? Les nouveaux poètes sont infiniment supérieurs à leurs devanciers sous tous les rapports, un seul excepté : l'élévation de la pensée et le sérieux de l'inspiration. La liberté soutenait et animait les premiers ; ils étaient citoyens avant d'être auteurs. Dans Catulle lui-même, on sent vibrer la fibre nationale. Horace et ses amis rappellent trop les poètes d'Alexandrie, qu'ils imitèrent avec tant de complaisance. Je ne les appellerai point des courtisans, si l'on veut, mais à coup sûr ce ne sont point des républicains ; ils ont l'âme monarchique. Ils aiment la paix, ils célèbrent Auguste qui en est l'auteur: c'est un dieu pour eux : « Deus nobis haec otia fecit. » Ces loisirs, ils les consacrent à la lente et patiente composition de leurs œuvres, leur vie s'y consume. Nul Romain n'avait encore été homme de lettres à ce point et si absolument. Ce soin passionné d'écrire et de bien écrire est un nouveau signe du temps. Les grands sujets d'intérêt général et populaire ne se présentent plus à des esprits absorbés dans les recherches de l'élégance et du poli : aussi ces grands artistes sont-ils à peu près inconnus au peuple ; ils le dédaignent d'ailleurs; ils écrivent pour un petit nombre de gens délicats.
Les réunions littéraires commencent à se former à Rome ; Horace se fait prier pour lire ses vers devant ce petit aréopage, mais de plus en plus la mode en prévaudra ; de plus en plus les auteurs se tiendront en dehors du courant populaire, et formeront dans l'Etat une caste à part. Ce fut une des conséquences de l'établissement de la monarchie, et une des plus fâcheuses. Horace lui-même n'y échappa point. Voici le petit nombre de personnes pour lesquelles il écrit et à qui il veut plaire : « Que Sestius et Varius, que Mécène et Virgile, que Valgius, que l'excellent Octavius, que Fuscus accordent à ce que j'écris leur estime ; que j'aie aussi l'approbation des deux Viscus : voilà ce que je souhaite. Je puis, sans vouloir te flatter, te nommer avec eux, Pollion, toi aussi, Messala, ainsi que ton frère ; vous Bibulus, Servius, sincère Furnius, d'autres encore, hommes doctes et mes amis, que je m'abstiens de nommer, à qui je voudrais plaire, dont je regretterais fort le suffrage s'il trompait mes espérances. »
A Postumus (Ode II 14) — A Jules Antoine (Ode IV 2) — En l'honneur d'Auguste (Ode III 5)
A Q. Dellius (Ode II 3) — A son livre (Épître I 20) — A Celsus Albinovanus ( Épître I 8)
A Mécène (Épître I 7)
Elles s'enfuient, hélas ! Postumus, mon cher Postumus, elles nous échappent nos rapides années ; point de prières pour retarder d'un instant les rides, la vieillesse déjà proche, l'indomptable mort : non, quand chacun de tes jours tu chercherais, ô mon ami, à fléchir, par une triple hécatombe, Pluton, ce Dieu sans larmes, ce gardien du monstrueux Géryon, et de Tityus, à jamais emprisonné dans les replis des tristes eaux, qu'il nous faut passer tous, mortels nourris des dons de la terre, que nous ayons été des rois, ou d'indigents cultivateurs.
En vain nous tiendrons-nous éloignés des sanglants démêlés de Mars, des flots murmurants qui se brisent sur les rochers de l'Adriatique ; en vain nous garderons-nous en automne du souffle malfaisant de l'Auster: il nous faut tôt ou tard aller voir ces rivages, où se trament les noires eaux du Cocyte, et la race détestée de Danaüs, et le fils d'Éole, Sisyphe, condamné à un éternel travail.
Il te faudra quitter la terre, et la maison, et ton épouse aimée ; et, de ces arbres que tu cultives, nul que l'odieux cyprès ne suivre son maître d'un jour.
Plus digne que toi de la richesse, ton héritier engloutira ce cécube que gardent cent fidèles clefs ; il rougira son pavé de marbre des flots dédaigneusement prodigués d'un vin qui ferait envie à la table des pontifes. (Odes, II, 14.)
Entrer en lutte avec Pindare, ô Jules, c'est vouloir se hasarder sur des ailes de cire, comme le fils de Dédale, et donner son nom à une autre mer.
Le fleuve qui descend des montagnes, et qu'ont enflé les pluies, se répand hors de ses rives ; ainsi bouillonne et coule à flots immenses le profond et impétueux Pindare.
Il mérite le laurier d'Apollon, soit que dans ses audacieux dithyrambes il roule des mots nouveaux, et s'emporte en des vers libres de toute loi ; soit qu'il chante les dieux, les rois enfants des dieux, par qui périrent d'une juste mort les insolents Centaures, par qui tomba la flamme de la redoutable Chimère ; soit qu'il dise les vainqueurs que la palme d'Élide renvoie égaux aux dieux, qu'il célèbre l'athlète, le coursier lui-même, et les honore d'un prix au-dessus de cent statues ; soit enfin qu'il pleure avec l'épouse désolée le jeune époux qu'elle a perdu, et que sa force, son courage, ses mœurs dignes de l'âge d'or, il les élève jusqu'aux astres, il les dérobe aux ténèbres de Pluton.
Une aile puissante, Antoine, soutient dans les airs le cygne thébain, quand il s'élance vers la région des nuages. Mais moi, comme l'abeille de Matine, qui se fatigue à recueillir les sucs embaumés du thym, je ne compose pas sans peine; sous les ombrages, près des eaux du frais Tibur, mes vers laborieux.
C'est à toi de chanter avant nous, sur un ton plus fort, ô poète, le vainqueur qui bientôt, le front orné d'un juste laurier, traînera vers les saints degrés du Capitole les fiers Sicambres ; ce prince, le plus grand, le meilleur que les destins, les dieux propices aient accordé à la terre, dont on ne verra jamais l'égal, bien que le monde semble retourner au métal des premiers âges. C'est à toi de chanter cette allégresse, ces jeux, cette paix du barreau qui dans l'heureuse Rome vont célébrer le retour enfin obtenu d'Auguste.
Ma voix alors, si elle mérite d'être entendue, osera se joindre à la tienne, et chanter : “O beau, ô fortuné jour qui nous ramène César !”
Mais déjà il s'avance, et nous crions, et la ville entière répète : Triomphe, triomphe ! Chacun dans sa reconnaissance offre aux dieux son encens.
Dix taureaux, autant de génisses, voilà ce que tu leur dois.
Moi, c'est une jeune victime, à peine séparée de sa mère, qui croît dans les pâturages pour acquitter mes vœux. Ses cornes naissantes se courbent comme le croissant de la lune à son troisième lever, et la tache blanche de son font brille de l'éclat de la neige sur son poil fauve. (Odes, IV, 2.)
La foudre nous atteste que Jupiter règne aux cieux: comment douter ici-bas de la divinité présente d'Auguste, quand il ajoute à l'empire les Bretons et les redoutables Perses.
Quoi ! le soldat de Crassus avait pu vivre dans des liens honteux avec une épouse barbare ! Quoi ! devenu le gendre de son ennemi, ô sénat, ô moeurs antiques ! le Marse et l'Apulien avaient pu vieillir dans les armées d'un roi mède, oubliant et les anciles, et la patrie, et la toge, et les feux éternels de Vesta, quand le Capitole, quand Rome était encore debout !
Voilà ce que craignait la prévoyance de Régulus, quand il s'opposait à des conditions honteuses, à un exemple funeste pour l'avenir, quand il voulait qu'on laissât périr sans pitié dans les fers notre lâche jeunesse.
« J'ai vu, disait-il, suspendus aux temples de Carthage, nos drapeaux, et ces armes que nos soldats ont rendues sans combattre; j'ai vu, les mains liées derrière le dos, des citoyens, des hommes libres ; les portes de la ville ouvertes comme en pleine paix; les champs paisiblement cultivés, ces champs ravagés naguère par nos armes. Vos soldats, je le crois, rachetés à prix d'or, vous reviendront plus courageux. C'est ajouter le dommage à l'infamie. La laine, une fois teinte, ne reprend point sa couleur première, et la vertu véritable, quand on l'a perdue, ne rentre point dans un coeur avili. Si le cerf combat, dégagé du filet, celui-là sera brave, qui s'est livré à de perfides ennemis ; il terrassera les Carthaginois dans un second combat, celui qui a senti sur ses bras désarmés le poids de leur fer, et qui a craint la mort. Oui, pour sauver leur vie, ils ont mêlé la paix à la guerre ; ô opprobre de Rome ! ô gloire de Carthage élevée sur les ruines honteuses de l'Italie. »
On dit qu'il repoussa les baisers de sa chaste épouse, les caresses de ses petits enfants, parce qu'il n'était plus citoyen ; qu'il tint attachés à la terre ses mâles, ses farouches regards, jusqu'à ce que ce conseil inouï eût fortifié l'esprit incertain des sénateurs, et qu'au milieu de ses amis en larmes, il reprit le chemin de son illustre exil.
Il savait cependant ce que lui préparaient des bourreaux barbares. Mais lorsqu'il se faisait un passage à travers ses proches empressés de le retenir et la foule du peuple qui s'opposait à son départ, on eût dit qu'après avoir terminé les longues affaires de ses clients, il s'en allait respirer dans les champs de Vénafre ou de la lacédémonienne Tarente. (odes, III, 5.)
Songe à conserver, au milieu des disgrâces, l'égalité de ton âme, et, dans la prospérité, ne la préserve point avec moins de soin d'une insolente joie, puisque enfin tu dois mourir, ô Dellius, soit que ta vie se soit écoulée tout entière dans la tristesse, soit que, les jours de fête, couché à l'écart sur un vert gazon, tu aies réjoui ton coeur par un falerne de bonne date et caché au fond du cellier.
En ce lieu où un pin élevé, un blanc peuplier aiment à mêler leurs ombres hospitalières, où lutte contre les détours de sa rive une onde pressée de fuir, fais apporter le vin, les parfums, les fleurs trop peu durables, hélas ! du rosier, tandis que te permettent encore cette joie, ta fortune, ton âge, la noire trame des infernales sœurs.
Un jour, ces biens, ces pâturages dont tu recules les limites, ton palais, ta maison des champs que baignent les jaunes ondes du Tibre, un jour, il te faudra y renoncer. L'amas croissant de tes richesses deviendra la proie d'un héritier.
Que tu sois le riche descendant de l'antique Inachus, ou bien un misérable de la plus basse origine, qu'importe pour ce peu d'instants que tu dois passer à la lumière du jour, victime réclamée par l'impitoyable Pluton ?
Nous allons tous, troupeau docile, au même lieu. Les noms de tous s'agitent dans l'urne d'où doit sortir un peu plus tôt, un peu plus tard, l'arrêt qui nous fera partir, pour un exil éternel, sur la fatale barque. (Odes, II, 3.)
Tu sembles, mon livre, regarder du côté de Vertumne et de Janus, impatient sans doute de te produire, poli par la pierre ponce sur les rayons des Sosies. Tu as pris en haine et les clefs et les sceaux, ces gardiens chers à la pudeur; tu gémis d'être vu de si peu; tu aspires à la publicité, toi, nourri dans d'autres sentiments. Eh bien ! cours où il te tarde d'être. Une fois échappé, plus de retour possible. « Qu'ai-je fait, malheureux, qu'ai-je souhaité ? » diras-tu, si tu reçois quelque affront : et tu sais, comme te referme l'amateur rassasié, dont l'intérêt languit. Que si je puis, bien qu'ému de ta faute, voir clair dans ta destinée, tu seras cher aux Romains, tant que les grâces de l'âge ne t'auront pas abandonné ; mais quand, entre les mains de la foule, tu commenceras à te flétrir, il te faudra nourrir en silence les mites fixées dans tes replis, ou bien tu te réfugieras à Utique, ou bien encore on t'enverra garrotté à Ilerda. Alors rira celui dont tu n'as pas écouté les conseils, semblable à cet homme qui, de colère, poussa lui-même dans le précipice son âne indocile. A quoi bon, en effet, se mettre en peine de sauver qui veut périr ? Autre danger: un temps peut venir où, négligé de Rome, relégué dans ses faubourgs, ta vieillesse bégayante soit réduite à enseigner aux petits enfants les éléments du langage. Quand le soleil attiédi rassemblera autour de toi plus d'auditeurs, dis-leur que, fils d'affranchi, enfant de petite condition, j'étendis pourtant, hors de mon nid étroit, une aile assez large, et ajoute ainsi à mon mérite ce que tu retireras à ma naissance. Dis que dans la guerre, dans la paix, j'ai su plaire aux premiers de l'État; que j'étais d'ailleurs très petit de corps, blanc avant l'âge, aimant le soleil, prompt à me mettre en colère, et me laissant toutefois facilement apaiser. Si, par hasard, on te demande mon âge, ajoute que je comptais déjà quatre fois onze décembres, l'année où Lollius obtint Lépide pour collègue. (Épîtres, I, 20.)
Muse, va, je te prie, trouver Albinovanus, le compagnon et le secrétaire de Néron ; souhaite-lui, pour moi, plaisir et prospérité. S'il te demande ce que je fais, dis-lui qu'après d'ambitieuses promesses, je n'en suis ni meilleur ni plus heureux. Non que la grêle ait désolé mes vignes, que le soleil ait brûlé mes oliviers, que mes troupeaux meurent dans des pâturages éloignés; mais parce que, plus malade d'esprit que de corps, je ne veux rien écouter, rien apprendre de ce qui me soulagerait ; que je m'irrite contre le remède ; que je repousse de fidèles amis, lorsqu'ils veulent me tirer d'une langueur funeste ; que je recherche ce qui m'a nui ; que je fuis ce que je crois me pouvoir être utile; que je suis inconstant comme les vents, à Rome regrettant Tibur, à Tibur n'aimant que Rome. Après cela, demande-lui comment il se porte ; comment il gouverne sa fortune, comment il se gouverne lui-même ; s'il plaît au jeune prince et à sa jeune cour. S'il te répond que tout va bien, félicite-le, d'abord, puis glisse-lui à l'oreille ce sage conseil : « Celsus, pour être supporté, supporte bien ta fortune. » (Épîtres, I, 8.)
Je ne devais rester que cinq jours à la campagne : promesse menteuse ! Tout Sextilis se passe, et l'on m'attend encore.
Veux-tu, Mécène, que je vive, que je conserve ma santé, traite-moi avec la même indulgence que si j'étais malade, lorsque je crains de le devenir. Déjà mûrissent les premières figues, déjà les ardeurs de l'été ramènent sous nos yeux les convois funèbres, avec leurs lugubres licteurs ; point de père, point de tendre mère qui ne tremble pour les jours d'un fils; les assiduités des courtisans et des plaideurs leur causent des fièvres mortelles, et font ouvrir bien des testaments. Bientôt les neiges de l'hiver blanchiront le mont Albain, alors le poète que tu aimes descendra vers le rivage de la mer : il se ménagera, s'enfermera en compagnie de ses livres, et si tu lui fais grâce jusque-là, ô le plus tendre des amis, tu le verras de retour avec les zéphyrs et la première hirondelle.
Tu m'as fait riche, Mécène, mais non pas comme le Calabrais qui offre des fruits à son hôte... « Mangez-en, je vous en prie. — C'est assez. — Prenez-en au moins autant que vous voudrez. Vous êtes bien bon. — Vos enfants seront charmés de ce petit présent. — Il m'oblige autant que si j'en emportais ma charge. — Vous êtes le maître ; mais nos pourceaux profiteront aujourd'hui de ce que vous laissez. »
L'homme sottement prodigue donne ce qu'il n'aime pas, ce qu'il méprise, et voilà la semence d'où naissent et naîtront toujours les ingrats. L'homme généreux et sage est toujours prêt à répandre ses dons sur ceux qui les méritent, et cependant il sait faire la différence de l'argent véritable et des lupins. Je me montrerai digne, Mécène, d'un tel bienfaiteur. Mais si tu veux que je ne m'éloigne jamais de toi, alors, rends-moi la vigueur de la jeunesse, les cheveux noirs qui rétrécissaient mon front, ces grâces de la parole et du sourire, ces plaintes que je faisais entendre dans nos festins sur la fuite de Cynare.
Un petit renard s'était glissé, par un trou très étroit, dans un tonneau rempli de blé : il s'y était engraissé, et faisait de vains efforts pour s'en retirer. Une belette qui n'était pas loin lui dit : « Veux-tu te sauver de là ? maigre tu y es entré, maigre tu dois sortir. »
Si l'on me reconnaît dans cette image, je renonce à tous les dons de la fortune. Je ne suis pas de ceux qui louent le sommeil du pauvre au sortir d'un bon repas, et je ne changerais pas contre les trésors de l'Arabie mon loisir et ma liberté.
Souvent tu m'as trouvé discret dans mes vœux; tu m'as entendu te donner les noms de roi et de père, que je ne t'épargne point en ton absence. Veux-tu essayer si je puis, sans regret, renoncer à tes présents ?
Il avait raison Télémaque, le fils du patient Ulysse, lorsqu'il disait à Ménélas : « Notre Ithaque n'est point un pays propre à. nourrir des coursiers; il ne s'y trouve ni plaines ni gras pâturages. Fils d'Atrée, garde des biens qui te conviennent mieux qu'à moi. » Aux petits convient la médiocrité. Je ne veux plus de la magnifique Rome. Je n'aime que le loisir de Tibur et la mollesse de Tarente.
Philippe, ce citoyen actif et courageux, ce célèbre orateur, revenait du barreau vers la huitième heure du jour, et trouvait qu'il y a loin du forum au quartier des Carènes; car il était déjà âgé. Chemin faisant, il aperçut, dit-on, à l'ombre dans la boutique déjà déserte d'un barbier, un homme qu'on venait de raser et qui fort paisiblement se faisait les ongles. « Démétrius, dit-il (c'était un esclave fort entendu), va vite, et t'informe quel est cet homme, son pays, sa fortune, sa naissance, son patron. » L'esclave part et revient. « C'est un certain Vulteius Ménas, crieur public de son métier, peu riche d'ailleurs, mais sans reproche et bien famé. Il travaille et se repose à propos, amasse et sait jouir, vit content avec ses égaux, dans son petit domicile, et fréquente, ses affaires finies, les spectacles et le champ de Mars. — Je serais bien aise d'apprendre tout cela de lui-même. Dis-lui que je l'attends à souper. » Ménas ne peut le croire; il est tout interdit ; enfin il remercie. « Il me refuserait ? — Il vous refuse très décidément, c'est dédain ou timidité. » Le lendemain, de bonne heure, Philippe le trouve sur la place, vendant au petit peuple quelques menues marchandises. Il l'aborde, le salue, et l'autre de s'excuser sur son travail et l'assujettissement de sa profession, s'il n'a pas été le matin rendre visite à Philippe, s'il ne l'a pas aperçu le premier. « Je vous pardonne à condition que nous souperons ce soir ensemble. — Volontiers. — Je vous attends donc passé la neuvième heure; continuez, et faites vos affaires. » Le soir, au souper de son hôte, Vulteius dit sans choix ce qu'il peut dire, ce qu'il faut taire, jusqu'à ce qu'enfin on l'envoie dormir. Philippe, voyant que notre homme mordait à l'hameçon, qu'il était le matin assidu à son audience, et le soir à sa table, l'invite à venir avec lui passer les fêtes latines à sa maison de campagne. On le met en voiture, et le voilà s'extasiant sur le climat et le sol de la Sabine. Philippe le voit et s'en amuse; car il ne cherchait qu'à se distraire et à rire; il lui donne sept mille sesterces, promet de lui en prêter autant, et enfin lui persuade d'acheter un petit fonds de terre. Vulteius achète. Pour abréger, de citadin il devient campagnard, ne parle plus que de sillons et de vigne, façonne ses ormeaux, se consume en soins de toute espèce, vieillit tous les jours par le désir d'amasser. Cependant les voleurs enlèvent ses brebis, la maladie emporte ses chèvres, la moisson trompe ses espérances, ses boeufs meurent sur le sillon. Rebuté de tant de pertes, il se lève une bonne nuit, prend un cheval, et descend le matin à la maison de Philippe. Celui-ci, le voyant tout défait, tout en désordre : « Comme vous voilà, lui dit-il; vous vous traitez mal, Vulteius, vous êtes trop dur à vous-même. — Dites, mon cher patron, que je suis bien malheureux, et vous aurez raison. Au nom de votre génie tutélaire, par votre droite, par vos pénates, je vous en conjure, rendez-moi à ma première vie. » Si le bien que vous cherchiez vous fait regretter celui que vous avez quitté, revenez-y au plus vite. Il faut que chacun s'en tienne à sa mesure. (Épitres, I, 7.)
Paul ALBERT
[ Scan + OCR à partir de la numérisation en mode image disponible sur le site de la BNF ]
[ Textes collationnés par D. Eissart ] [ Mis en ligne sur le site "ESPACE HORACE" en octobre 2003 ]