I, 25
Ils frappent moins nombreux à ta fenêtre close,
Les galants de la nuit, et jettent moins de pierres
Pour t’ôter le sommeil ; ta porte désormais
Aime le seuil,
Elle qui si souvent pivotait sur ses gonds
Il y a peu. Tu entends de moins en moins dire :
« Je meurs pour toi, Lydie, pendant des nuits entières,
Et toi tu dors ? »
A ton tour de pleurer du dédain des amants
Quand, frêle vieille dans la ruelle solitaire,
Sous les rafales redoublées du vent de Thrace,
Les nuits sans lune,
Tu seras dévorée par la rage érotique,
La même qui, dit-on, affole les cavales,
Et qui t’ulcérera le foie en t’arrachant
Plus d’une plainte
Sur l’heureuse jeunesse qui au myrte noirâtre
Préférera toujours le lierre verdoyant,
Dédiant à l’Eurus, compagnon de l’Hiver,
Les feuilles sèches.
• TRADITION
A une certaine Lydia, Horace présage, avec une joie mauvaise, une vieillesse désolée.
• OBJECTION
C’est en effet un sentiment vil que de se réjouir des malheurs d’autrui, et en particulier de ceux que l’âge apporte. Simple exercice d’école, mais en laissant croire que c‘est réel ? Dans ce cas ce serait de la perversion pure. Tout change si la culpabilité de cette Lydia est proportionnée à la véhémence du poète, et qu’elle mérite cette sévère leçon.
• PROPOSITION
L’ode s’intègre parfaitement dans le Cycle secret consacré au drame conjugal vécu par Mécène.
• JUSTIFICATION
Ce n’est sans doute pas trop demander que d’identifier cette Lydia à ses homonymes de I, 8, I, 13 et III, 9, encore
qu’une homonymie puisse occasionnellement se révéler fallacieuse et recouvrir des contraires. Mais ici tout concorde,
à commencer par la solide inimitié que le poète porte à cette femme. Observons aussi que le flebis du v. 10
(« tu pleureras ») retourne, comme par une justice immanente, le flebit
de l’ode I, 5, première du Cycle (v. 6) ;
de même, l’arrogance des galants (arrogantis, 9) répond, par avance, à celle de Chloé en III, 26
(arrogantem, 12).
Car c’est bien de justice immanente qu’il s’agit (inuicem, 9 :
« à ton tour »), et le poète, en sa cruelle prophétie, n’en est au fond que le porte-parole.
Si Lyké savait écouter (avant qu’il ne soit trop tard : voir l’écho de anus,
« vieille femme », 9, à IV, 13, 2),
l’avertissement lui serait salutaire. Qu’elle réforme seulement sa conduite, qu’elle se montre plus compatissante…
mais à qui ? à ses amants ? à ses clients ? Tout suggère en effet une courtisane, mais prenons garde que Terentia
apparaît régulièrement sous les traits d’une courtisane dans le Cycle (II, 11, 21 est explicite :
scortum, « la p… »).
En fait, Lydia est une femme mariée (moechos, 9 signifie exactement « adultères »),
et quant aux galants de la nuit,
ou « pétulants jeunes gens » (iuuenes proterui, 2) qui viennent chanter la sérénade sous ses fenêtres et lui lancer de
petits cailloux, ils pourraient bien se réduire à deux, c’est-à-dire l’amant impérial et le malheureux mari qui trouve
souvent porte close (cf. III, 10) ; le scénario se comprend mieux si l’on garde à l’esprit qu’Auguste s’invitait
volontiers à dormir chez son cher Mécène (Suét. Vie d’Auguste, 72, 4 ;
et cf. III, 19, 24 : uicina, « la voisine »).
Presque indiscernables l’un de l’autre, donc, dans les deux premières strophes (à moins que dans la première il ne
s’agisse de l’amant, et dans la seconde du mari), Auguste et Mécène s’affrontent violemment dans la dernière, mais
cela à l’abri d’un trompe-l’oeil syntaxique, puisque la construction magis atque, « se réjouit du lierre davantage que
du myrte », se masque sous un apparent magis gaudeat hedera atque myrto,
« se réjouit plus du lierre et du myrte »
(avec complément implicite : doxa). La différence est grande, puisque, loin de mettre sur le même plan le lierre,
emblème poétique (cf. I, 1, 29), et le myrte, symbole de Vénus (I, 4, 9 ;
I, 38, 5-6 ; II, 7, 25 ; III, 4, 19 ; III, 23, 16),
Horace les oppose diamétralement. Entre l’esclavage et la liberté, les sens et l’esprit, la postulation charnelle et
l’aspiration spirituelle, Mécène fera le bon choix, veut espérer Horace. C’est pourquoi il le désigne par l’expression
laeta pubes (pubes s’applique tout autant à un quadragénaire),
laetitia étant la joie de l’âme par opposition à la simple
uoluptas, et le montre déjà cueillant le lierre des Muses et vouant le myrte noirâtre (ces « myrtes infects » dont parlera
Baudelaire) et les feuilles mortes à un certain Eurus, « compagnon de l’Hiver », ou son double, car Eurus, ou aussi
bien Notus, ces deux vents de tempête, sont, comme Hiver (cf. I, 4 ; IV, 7), de virtuels avatars du Maître de Rome.
Cela dit, Horace a peut-être écrit Hebro et non Euro : auquel cas cf. III, 12.