III, 28
Aujourd’hui, fête de Neptune,
Que ferais-je de mieux ? Lydé, un peu de nerf !
Sors le Cécube de sa retraite,
Attaque les remparts de la sobriété !
Tu vois bien que midi décline,
Et comme si le Jour ailé ne bougeait pas,
Tu hésites à tirer du cellier
L’amphore paresseuse du consul Bibulus ?
Je chanterai en alternance
Neptune et les Néréides aux chevelures vertes,
Et toi, sur ta lyre incurvée,
Latone et les flèches de l’agile Cynthie.
L’ultime chant sera pour la reine
De Cnide et des Cyclades, qui visite Paphos
Sur un attelage de cygnes ;
La Nuit aussi aura la plainte qu’elle mérite.
• TRADITION
Horace fête les Neptunalia (23 juillet) en galante compagnie.
• OBJECTION
Horace peut-il vraiment prendre à son compte cette noire chanson qui exalte le trio Neptune–Vénus–Nuit ? D’ailleurs il n’a pas les moyens de s’offrir du Cécube (v. 3 : cf. I, 20). Faut-il croire aussi que l’homme qui défendit la République les armes à la main s’abaisserait, comme c’est le cas au v. 10, à plaisanter aux dépens de Bibulus, héros de la résistance aux menées ambitieuses de Jules César ? Enfin, cette Lydé est-elle la même qu’en II, 11 et en III, 11 ?
• PROPOSITION
Voici l’ultime rendez-vous entre Auguste et Terentia.
• JUSTIFICATION
Comme pour pointer l’identification de cette Lydé à son homonyme de II, 11,
le poète a ménagé une correspondance symétrique entre la position en rejet de
Lyde ici et de Lyden
en II, 11, le premier étant situé au troisième vers, et le
second au troisième avant la fin (v. 22), dans leur pièce respective. Significatif
aussi, l’écho, relevé en son lieu, entre ce même Lyden
et le uxor de l’ode II, 14,
également en rejet, et aussi au vers 22, qui désignait l’épouse de « Postumus »,
c’est-à-dire Terentia.
L’énonciateur se démasque du même coup, et les mystères se dissipent. La
violence impatiemment enjointe contre l’amphore paresseuse du consul Bibulus
(« Biberon »), par allusion aux méthodes légales d’obstruction que M. Calpurnius Bibulus
utilisa contre César, son collègue au consulat (-59), à qui siérait-elle mieux
qu’à l’héritier du dictateur ? Ne doutons pas que c’est ainsi que le comprenait
le propre fils de ce consul, qu’Horace nomme quelque part au nombre de ses amis
et des initiés de son écriture (Sat. I, 10, 86).
Les divinités ici honorées ? Ce sont exactement celles que l’on s’attend à voir
anti-Ego honorer. Certes, Latone et Diane en font partie, mais on peut se demander
si c’est à bon escient, car il y a bien loin de la lyre d’une musicienne-prostituée à
celle du poète accompagnant l’hymne chanté solennellement par la jeunesse romaine
(I, 21), qui, elle, n’a garde d’oublier Apollon lorsqu’elle célèbre sa mère et sa sœur.
Un tel « oubli » en l’occurrence équivaut à une grossière injure envers le dieu de la
lumière. Car tout ici glorifie les ténèbres, et même Latone et Diane, dans un tel
contexte, sont tournées vers la nuit : spicula, 12, évoque la tueuse, et le nom de
Latone–Léto rappelle letum, « le trépas ». A travers des équivalences qui forment
le tissu même des Odes, telles que celle, scellée
par le masculin deo en I, 5, 16,
de Vénus (« marine », III, 26) à Neptune, celle aussi, abondamment attestée, de
Vénus à Libitine, cette divinité des cimetières, celle enfin de la Nuit à la Mort,
signalée ici par le vocable nenia sur lequel se clôt le poème, il semble que l’abîme
océanique, l’abîme érotique et l’abîme nocturne se fondent pour ainsi dire en
un seul tout, ou plutôt un seul néant.
De ce néant généreusement arrosé d’alcool et sombrement éclairé par le funeste
éclat des Cyclades (fulgentis, 14, qualificatif du Riche suprême en III, 16, 31,
reprend le nitentis de I, 14, 19, menace de naufrage), s’élèvera la « nénie que
mérite la Nuit », c’est-à-dire une plainte émanée d’on ne sait quelle bouche, et
qui ressemble à s’y méprendre à un chant funèbre, un thrène, puisque tel est le
sens normal de ce mot (II, 1, 37 ; II, 20, 21) : l’amour n’est-il pas une « petite mort »
(cf. mactata… hostia, « la victime assommée », I, 19, 16) ?
Inutile de préciser que ce charmant tête-à-tête ne ressemble ni de près ni de loin à la
célébration des Neptunalia, cette fête traditionnelle et populaire du calendrier romain :
on en déduira que la scène ne se déroule pas un 23 juillet, mais un 2 septembre,
date anniversaire de la bataille d’Actium en l’honneur de laquelle Auguste avait
institué une fête, SA fête, de Neptune.