Sus debout, ma lyre!
Un chant je veux dire
Sur tes cordes d'or:
La divine grâce
Des beaux vers d'Horace
Me plaît bien encor...
Ronsard
(À la muse Calliope)
Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle,
Assise auprès du feu, dévidant et filant,
Direz, chantant mes vers, en vous émerveillant:
"Ronsard me célébrait du temps que j'étais belle."
Lors vous n'aurez servante oyant telle nouvelle,
Déjà sous le labeur à demi sommeillant,
Qui au bruit de Ronsard ne s'aille réveillant,
Bénissant votre nom de louange immortelle.
Je serai sous la terre, et fantôme sans os,
Par les ombres myrteux je prendrai mon repos;
Vous serez au foyer une vieille accroupie,
Regrettant mon amour et votre fier dédain.
Vivez, si m'en croyez, n'attendez à demain;
Cueillez dès aujourd'hui les roses de la vie.
Mignonne, allons voir si la rose
Qui ce matin avait déclose
Sa robe de pourpre au soleil,
A point perdu, cette vêprée,
Les plis de sa robe pourprée
Et son teint au vôtre pareil.
Las! voyez comme en peu d'espace,
Mignonne, elle a dessus la place,
Las, las! ses beautés laissé choir;
O vraiment marâtre Nature,
Puisqu'une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir!
Donc, si vous me croyez, mignonne,
Tandis que votre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez votre jeunesse:
Comme à cette fleur, la vieillesse
Fera ternir votre beauté.
O Fontaine Bellerie,
Belle Fontaine chérie
De nos Nymphes, quand ton eau
Les cache au creux de ta source
Fuyantes le Satyreau,
Qui les pourchasse à la course
Jusqu'au bord de ton ruisseau,
Tu es la Nymphe éternelle
De ma terre paternelle;
Pour ce en ce pré verdelet
Vois ton Poète qui t'orne
D'un petit chevreau de lait,
A qui l'une et l'autre corne
Sortent du front nouvelet.
L'été, je dors ou repose
Sur ton herbe, où je compose,
Caché sous tes saules verts,
Je ne sais quoi, qui ta gloire
Enverra par l'univers,
Commandant à la mémoire
Que tu vives par mes vers.
L'ardeur de la Canicule
Ton vert rivage ne brûle,
Tellement qu'en toutes parts
Ton ombre est épaisse et drue
Aux pasteurs venant des parcs,
Aux boeufs las de la charrue
Et au bestial épars.
Iô! tu seras sans cesse
Des fontaines la princesse,
Moi célébrant le conduit
Du rocher percé, qui darde
Avec un enroué bruit
L'eau de ta source jasarde
Qui trépillante se suit.
en Sabine
aux environs de la villa d'Horace ...
[ODES DE 1550 — Livre IV - Ode 18]
Plus dur que fer, j’ai fini mon ouvrage,
Que l’an dispost à demener les pas,
Ne l’eau rongearde ou des freres la rage
L’injuriant ne ruront point à bas :
Quand ce viendra que mon dernier trespas
M’asouspira d’un somme dur : à l’heure
Sous le tumbeau tout Ronsard n’ira pas
Restant de lui la part qui est meilleure.
Tousjours tousjours, sans que jamais je meure
Je volerai tout vif par l’univers,
Eternizant les champs ou je demeure
De mon renom engressés & couvers :
Pour avoir joint les deus harpeurs divers
Au dous babil de ma lire d’ivoire,
Se connoissans Vandomois par mes vers.
Sus donque Muse emporte au ciel la gloire
Que j’ai gaignée annonçant la victoire
Dont à bon droit je me voi jouissant,
Et de ton fils consacre la memoire
Serrant son front d’un laurier verdissant.
(extrait du second Livre des Poèmes)
À Marc-Antoine de Muret
(...)
Or sus, amis, puisque le vent commande
De démarrer, sus d'un bras vigoureux
Poussons la nef vers les champs bienheureux,
Au port heureux des îles bienheurées
Que l'Océan de ses eaux azurées,
Loin de l'Europe et loin de ses combats,
Pour nous, amis, emmure de ses bras.
Là, nous vivrons sans travail et sans peine...
Là, sans navrer comme ici notre aïeule
Du soc aigu, prodigue, toute seule
Fait hérisser en joyeuses forêts
Parmi les champs les présents de Cérès;
Là, sans tailler, la nourricière plante
Du bon Denys, d'une grimpure lente
S'entortillant, fait noircir ses raisins
De son bon gré sur les ormes voisins.
Là, sans mentir, les arbres se jaunissent
D'autant de fruits que leurs boutons fleurissent;
Et sans faillir, par la bonté du ciel,
Des chênes creux se distille le miel.
Par ses ruisseaux toujours le lait ondoie,
Et sur les bords toujours l'herbe verdoie
Sans qu'on la fauche, et toujours diaprés
De mille fleurs s'y peinturent les prés
Francs de la bise, et des roches hautaines
Toujours de lait gazouillent les fontaines.
Là, comme ici, l'avarice n'a pas
Borné les champs, ni d'un effort de bras
Avec grand bruit les pins on ne renverse
Pour aller voir d'une longue traverse
Quelque autre monde; ains jamais découverts
On ne les voit de leurs ombrages verts.
Par trop de chaud, ou par trop de froidure:
Jamais le loup, pour quêter sa pâture
Hurlant au soir, ne vient effaroucher
Le sûr bétail à l'heure de coucher...
Le vent poussé dedans les conques tortes
Ne bruit point là, ni les fières cohortes
De gens armés horriblement ne font
Leurs morions craquer dessus le front.
Là, les enfants n'enterrent point leurs pères,
Et là les soeurs ne lamentent leurs frères,
Et l'épousé ne s'adolore pas
De voir mourir sa femme entre ses bras...
Car leurs beaux ans entrecassés n'arrivent
A la vieillesse, ains d'âge en âge vivent
Par la bonté de la terre et des cieux
Jeunes et sains comme vivent les Dieux...