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Œuvres lyriques d'Horace, traduites par M. Anquetil (1850)

ÉPODES

 
I·À Mécène II·Alfius ou la vie champêtre III·À Mécène contre l'ail  IV·Contre Védius Rufus V·Contre Canidie VI·Contre un détracteur VII·Aux Romains VIII·À une vieille débauchée  IX·À Mécène X·Contre Mévius XI·À Pectius  XII·À une vieille mégère  XIII·À ses amis XIV·À Mécène  XV·À Néère  XVI·Au peuple romain XVII·Horace et Canidie 

Édition "classique" : ≡ modification, censure partielle — ≡ censure totale


 

I — À Mécène

Sur nos Liburnes, quoi! tu vas de la Libye,
O Mécène, affronter les monstrueux vaisseaux,
Et du vaillant César au péril de ta vie
Partager la fortune et suivre les drapeaux !
 
Que deviendrai-je alors, moi pour qui ta présence
Seule embellit la vie et la remplit d'appas;
Qui, loin de mon ami, maudirais l'existence,
Et dont la mort suivrait promptement ton trépas ?
 
Le loisir ! mais sans toi peut-il avoir des charmes ?
En vain tu me prescris de goûter le repos :
Je veux désobéir, je veux prendre les armes
Avec la fermeté qui sied aux vrais héros.
 
Rien ne m'arrêtera : mon fidèle courage
Des Alpes franchirait les horribles déserts,
Les glaciers du Caucase et ce lointain rivage
Où les feux du soleil s'éteignent dans les mers.
 
Tu me vas demander en quoi peut ma faiblesse
Prêter à ta valeur un utile concours.
L'absence, tu le sais, alarme la tendresse ;
Horace à tes côtés craindra moins pour tes jours.
 
Pour sa couvée ainsi la tendre Philomèle
Redoute en s'éloignant les reptiles affreux ;
Présente, elle craint moins leur approche mortelle,
Et faible cependant que peut-elle contre eux ?
 
Mais si mon dévouement, jaloux de te complaire,
Aspire à partager tes belliqueux travaux,
Crois-tu qu'à ma charrue, épris d'un vil salaire,
Je désire atteler de plus nombreux taureaux ;
 
Voir mes troupeaux passer avant la Canicule
Des monts de la Calabre aux monts Lucaniens ;
Ou mon brillant palais près des murs de Tuscule
Étaler fièrement des marbres phrygiens ?
 
Non : tes bienfaits déjà passent mes espérances.
Je n'entasserai point l'or d'un Achéménès,
Ou pour le dissiper en de folles dépenses.
Ou pour l'ensevelir comme un nouveau Chrémès.

 

II — Alfius ou la vie champêtre

« Heureux qui loin du bruit, sans soucis, sans affaires,
« Ainsi qu'au premier âge ont vécu les humains,
« Laboure avec ses bœufs les champs héréditaires,
« Et de la triste usure ignore les chagrins ;
 
« Que jamais n'éveilla la trompette guerrière,
« Qui jamais ne frémit sur les flots irrités,
« Qui toujours du Forum évita la carrière,
« Et les palais des grands par l'orgueil habités !
 
« Voyez-le donc tantôt, quand la saison l'invite,
« Aux nubiles provins marier les ormeaux,
« Ou d'un arbre émonder le luxe parasite
« Pour enter en son lieu de fertiles rameaux ;
 
« Tantôt suivre des yeux dans un vallon tranquille
« Ses troupeaux mugissants épars sur le gazon,
« Ou déposer le miel dans une pure argile.
« Ou dépouiller l'agneau de sa blanche toison ;
 
« Puis, au milieu des champs quand l'Automne se dresse
« Le front paré des fruits qu'a mûris le soleil,
« Pour prix de ses travaux, cueillir avec ivresse
« La poire savoureuse et le raisin vermeil !
 
« A Priape, à Sylvain, tuteur de son domaine,
« Jamais sa piété ne refuse leur don;
« Sur les gazons moelleux, sous l'ombre d'un vieux chêne,
« Il aime à reposer dans un mol abandon.
 
« Là, dans un lit profond coule un ruisseau rapide ;
« Sous la verte forêt gazouillent les oiseaux ;
« Et du rocher voisin la fontaine limpide
« Le convie à dormir au murmure des eaux.
 
« Puis quand l'hiver, docile au maître du tonnerre,
« A ramené la pluie et l'Aquilon glacé,
« Il assemble sa meute et déclare la guerre
« Au sanglier fougueux dans ses toiles poussé.
 
« Sur un glissant appui d'autres fois il préfère
« Pour la grive gourmande élever ses filets ;
« Et le lièvre timide ou la grue étrangère,
« Délicieux butin, se prend à ses collets.
 
« Comment n'oublier pas dans l'heureuse campagne
« Les chagrins dont l'amour abreuve les esprits,
« Si, partageant mes soins, une chaste compagne
« Veille sur ma maison, sur mes enfants chéris ;
 
« Si, comme la Sabine ou la robuste femme
« Qu'aux champs apuliens brunit l'astre du jour,
« Elle entasse au foyer les sarments dont la flamme
« De l'époux fatigué saluera le retour ;
 
« Si dans le parc d'osier la brebis ramenée
« De sa pleine mamelle épanche un lait exquis ;
« Si, tiré du tonneau, le doux vin de l'année
« Relève encor des mets que l'or n'a point acquis ?
 
« En quoi dès lors pourraient tenter ma fantaisie
« Les huîtres du Lucrin, les mulets, les turbots,
« Les sargets que parfois des rives de l'Asie
« Rejettent sur nos bords et les vents et les flots ?
 
« Les poules de l'Atlas, les faisans d'Ionie
« Pour flatter mon palais me semblent moins friands
« Que ces fruits savoureux qu'au sein de l'Ausonie
« Pallas daigna mûrir sur nos coteaux riants,
 
« Ou l'oseille qui croit dans l'humide vallée,
« Ou la mauve salubre au suc rafraîchissant,
« Ou la brebis à Terme en sa fête immolée,
« Ou le chevreau lâché par le loup ravissant.
 
« Puis, durant le festin qui finit la journée,
« J'aime à voir des moutons le retour empressé,
« Et les taureaux qui, las et la tête inclinée,
« Ramènent la charrue et le soc renversé;
 
« Trésor de la maison qui jadis l'a vu naître,
« J'aime à voir cet essaim de serviteurs joyeux
« Qui, pêle-mêle assis à côté de leur maître,
« Entourent le foyer où rayonnent ses Dieux. »
 
Ainsi dit Alfius : à ses travaux sordides
L'usurier pour les champs est prêt à renoncer ;
Mais l'or que dans sa caisse il fait rentrer aux Ides,
Aux Calendes bientôt il cherche à le placer.

 

III — À Mécène, contre l'ail

Si quelque jour un fils étrangle son vieux père,
Que l'ail, pour expier le plus noir des forfaits,
Remplace la ciguë, à mon gré moins amère !
Que n'ai-je, ô moissonneurs, vos robustes palais ?
Quel poison dans mon sein fermente et me torture ?
Le sang d'une vipère impure
Fut-il à mon insu distillé dans ces mets ?
Ou l'exécrable Canidie
D'un repas fatal à ma vie
A-t-elle ordonné les apprêts ?
Entre tous les héros descendus sur la plage,
Quand Médée eut choisi le jeune et beau Jason,
Pour enchaîner au joug des taureaux pleins de rage,
Sa main dut le frotter de cet affreux poison ;
L'ail avait imprégné les présents homicides
Qui de son lâche époux vengeaient la trahison
Tandis qu'elle fuyait sur ses dragons rapides.
Phébus embrase moins les plaines de Daunus
Lorsque sévit la Canicule ;
Jamais par de tels feux la robe de Nessus
N'a consumé les flancs du valeureux Hercule.

 

IV — Contre Védius Rufus

Oui, j'ai conçu pour toi toute l'antipathie
Que jamais pour les loups les agneaux ont sentie,
Toi qui portes empreints à tes pieds, à tes flancs,
De la verge et des fers les stigmates brûlants.
Va, promène partout ta superbe opulence :
La fortune jamais ne changea la naissance.
D'un pas majestueux mesurant les chemins,
Quand ta robe traînante insulte aux vrais Romains,
Vois le peuple indigné qui détourne la tête,
Vois de l'horreur publique éclater la tempête :
« Le voilà donc celui que le fouet des bourreaux
« Naguère déchirait à lasser les hérauts !
« Mille arpents à Calès sont devenus sa proie ;
« D'Appius par son train il fatigue la voie ;
« Puis, au mépris d'Othon, orgueilleux chevalier,
« Entre tous au théâtre il siège le premier !
« Ah ! contre des brigands et des bandes serviles
« N'armons plus désormais des flottes inutiles :
« Que sert de déployer l'appareil des combats,
« Quand cet homme, oui cet homme est tribun des soldats ? »

 

V — Contre la magicienne Canidie

« Arbitres des humains, qui des voûtes célestes
« Sur la terre daignez abaisser vos regards,
« Dieux ! d'où vient qu'au milieu de ces apprêts funestes
« Ces mégères sur moi fixent des yeux hagards ?
 
« Et toi, par tes enfants, si vraiment tu fus mère,
« Si Lucine t'aida dans tes enfantements,
« Par ces brillants tissus, par ces vains ornements,
« Par Jupiter enfin, si tu crains sa colère,
« Ne m'envisage plus de cet œil courroucé,
« Ainsi qu'une marâtre impie
« Ou le tigre d'Éthiopie
« Que le fer mortel a blessé.
 
C'est ainsi qu'un enfant, d'une voix lamentable,
Tout tremblant vers le ciel exhalait sa douleur ;
Devant ses membres nus un Thrace inexorable,
Attendri par sa grâce, eût pleuré son malheur.
Vains efforts ! Sur le front de l'horrible sorcière
Sifflent de courts serpents noués à sa crinière :
Les sauvages figuiers arrachés des tombeaux,
Les noirs rameaux des ifs et des cyprès funèbres,
Les plumes et les œufs des oiseaux de ténèbres
Pétris avec le sang des immondes crapauds,
Les herbes qu'à foison la nature a semées
Dans les champs d'Ibérie et dans ceux d'Iolcos,
Les os ravis aux crocs de chiennes affamées
Sont jetés par son ordre aux brasiers de Colchos.
 
Cependant Sagana, la robe retroussée,
Dressant d'un poil hideux sa tête hérissée,
Répand dans la maison l'eau du lac de l'enfer :
Tel court un sanglier quand la meute est lancée,
Tel présente ses dards un hérisson de mer.
 
Véia, que nul remords ne détourne du crime,
Véia, la bêche en main, gémissant sous l'effort,
Creuse la fosse humide où, promis à la mort
Et longtemps enfoui comme au sein de l'abîme
Le nageur dont la tête apparaît sur les eaux,
Deux et trois fois le jour, innocente victime,
A jeun l'enfant verra fumer des mets nouveaux,
Sur ces mets interdits sans relâche attachée,
Quand sa prunelle enfin s'éteindra sans retour,
La poudre de son foie et sa moelle séchée
Serviront à former un breuvage d'amour.
 
Folia vint tremper dans cette orgie impure
(De Parthénope ainsi le peuple curieux
Le dit à ses voisins, le publie en tous lieux),
Fléau de Rimini, vrai monstre de luxure,
Dont les enchantements, renversant la nature,
Font descendre la lune et les flambeaux des cieux.
 
Redirai-je en quels mots, sous sa dent jaune et creuse
De son pouce crochu rongeant la corne affreuse
Et du sombre appareil envisageant l'horreur,
Canidie exhala sa lubrique fureur ?
 
« Fidèles dépositaires
« De mes terribles secrets,
« Qui de ces sacrés mystères
« Sous des voiles tutélaires
« Enveloppez les apprêts ;
« O Nuit, reine du silence,
« O Phébé, du haut des cieux
« Prêtez-moi votre assistance,
« Et secondez ma vengeance
« Contre un vieillard odieux.
 
« Aux sarcasmes livrez sa grotesque luxure ;
« Ameutez après lui les chiennes de Suburre :
« Tapis au fond des bois tandis qu'un doux sommeil
« Engourdit les monstres sauvages,
« Mes mains, pour prix de ses outrages,
« L'ont couvert tout entier d'un philtre sans pareil.....
 
« Mais quoi ! le succès trompe, ô barbare Médée,
« Mon espérance en vain sur tes charmes fondée !
« Au jour de ton exil, n'est-ce pas ce poison
« Dont ta rage imprégna la tunique fatale
« Qui, dans le palais de Créon,
« Mortel présent, brûla ta superbe rivale ?
 
« Herbes, simples cachés dans les âpres déserts,
« Ne m'ont-ils pas fourni leurs sucs les plus amers ?
« Et, sur un lit charmé, de ses autres maîtresses
« N'a-t- il pas, même en songe, oublié les caresses ?
« Ah ! des enchantements plus puissants que les miens
« Ont vaincu ma science et rompu ses liens !. . . . .
« O Varus, oh ! combien tu verseras de larmes !
« Des breuvages nouveaux te rendront à mes vœux.
« Pour guérir ta raison, pour éteindre tes feux,
« En vain le Marse épuiserait ses charmes :
« D'un philtre plus puissant, distillé par mes mains,
« La vertu punira tes insolents dédains.
 
« La terre montera vers la céleste voûte ;
« Détourné de sa route,
« Le ciel s'abaissera sous les flots écumants ;
« Ou je t'embraserai comme le noir bitume
« Que la flamme consume
« Sur les brasiers fumants. »
 
Aux sinistres accents de cet hymne funeste,
L'infortuné suspend ses supplications ;
Dans son égarement, comme un autre Thyeste,
Il éclate et vomit ces imprécations :
 
« De l'impérissable justice
« Le plus horrible maléfice
« N'anéantira point les lois :
« Je vous maudis ; nulle victime
« Ne peut expier votre crime
« Ni prévaloir contre mes droits.
 
« En vain vous m'arrachez la vie ;
« Mon spectre, nocturne furie,
« Saura s'échapper de l'enfer ;
« C'est le privilège des Mânes,
« Je viendrai sur vos fronts profanes
« Imprimer des ongles de fer.
« Ainsi, présent à vos pensées,
« De vos poitrines oppressées
« L'effroi bannira le repos ;
« Et les passants à coups de pierres,
« Vieilles et lubriques sorcières,
« Sans pitié vous broieront les os.
 
« Abandonnés sans sépulture,
« Vos corps deviendront la pâture
« Des vautours, des loups dévorants ;
« Et de la rançon qui m'est due
« Les Dieux n'envieront point la vue
« Au désespoir de mes parents. »

 

VI — Contre un détracteur

Chien hargneux au passant paisible et sans défense,
Lâche devant les loups, tourne enfin contre moi
De tes vains aboiements la chétive insolence :
Je mords; ose attaquer un moins poltron que toi.
Vois ce fidèle appui des pâtres du Lycée,
Ce chien de Laconie intrépide aux combats :
Tel je poursuis sans peur, et l'oreille dressée,
La bête carnassière à travers les frimas.
Mais toi, quand les éclats de ta voix formidable
Ont troublé les échos des monts et des forêts,
Soudain tu viens flairer un appât misérable.
Tremble, pour les méchants ma haine est implacable ;
Tremble, à les déchirer mes crocs sont toujours prêts.
Avant moi tels, armés de l'homicide iambe,
Sur l'insolent Bupale et le traître Lycambe
Archiloque, Hipponax ont vengé leurs douleurs.
Crois-tu que, si jamais une bête hargneuse
Osait me déchirer de sa dent venimeuse,
J'irais, débile enfant, me borner à des pleurs?

 

VII — Aux Romains

Où courez-vous, maudits ? faut-il que pour la guerre,
A peine déposé, le glaive arme vos bras ?
Quoi ! le sang des Latins sur l'onde et sur la terre
N'a-t-il pas trop longtemps coulé dans vos combats ?
 
Verrons-nous, O Byrsa, ton orgueilleuse enceinte
Et tes remparts altiers dans les flammes tombés ?
Ou descendre du haut de la montagne sainte
Les farouches Bretons sous nos chaînes courbés ?
 
Non, Rome, de ses mains renversant ses murailles,
Du Parthe qui la brave accomplira les vœux !
Ah ! jamais, des lions déchirant les entrailles,
Les lions africains ne s'égorgent entre eux.
 
Qui donc éveille en vous ces fureurs homicides ?
Répondez. Quel forfait ? quel délire ? Insensés !
Ils se taisent; l'horreur pâlit leurs fronts livides,
Et d'un stupide effroi leurs esprits sont glacés.
 
Ah ! le Destin sans doute en sa juste colère,
Pousse à s'exterminer les fils de Romulus,
Depuis le jour fatal où, versé par un frère,
La terre a bu le sang de l'innocent Rémus.

 

VIII — À une vieille débauchée

(épode non traduite)

 

IX — À Mécène

D'un Cécube gardé pour les joyeuses fêtes
Quand viendrai-je, ô Mécène, en ton brillant palais
M'abreuver en chantant César et ses conquêtes
Et du grand Jupiter les éclatants bienfaits ?
 
Que la flûte phrygienne,
Pour seconder nos transports,
A la lyre dorienne
Mêle ses fougueux accords.
 
Ainsi nous chantions naguères,
O Neptune, quand ton fils
De ses fumantes galères
Abandonnait les débris :
 
Lui qui de traîtres esclaves
Se plut à briser les fers
Pour charger de leurs entraves
Les maîtres de l'univers.
 
Siècles, le croirez-vous ? Dans sa bassesse infâme
Un Romain dégradé, pour servir une femme,
Sous leurs pesants fardeaux courba nos bataillons ;
Des eunuques ridés ont régné sur un homme,
Et le soleil a vu près des aigles de Rome
L'étrangère dresser ses hideux pavillons !
 
Mais deux mille Gaulois de leur honte s'irritent,
Leurs escadrons soudain vers nous se précipitent,
César est salué par des soldats nouveaux,
Cependant que du Nil les timides vaisseaux
Cinglent vers l'Orient et dans le port s'abritent.
 
Divin Triomphe, viens, monte sur ton char d'or ;
La brillante génisse
Attend le sacrifice :
Divin Triomphe, viens! pourquoi tarder encor ?
 
Viens de ta pompe splendide
Viens environner César :
Moins grand parut sur ton char
Le vainqueur du roi numide ;
 
Moins grand parut ce héros
A qui son bouillant courage
Fit des cendres de Carthage
Le plus noble des tombeaux.
 
Notre ennemi vaincu sur la terre et sur l'onde
Change la pourpre altière en vêtements de deuil :
Peut-être aura-t-il fui vers cette île féconde
Dont les cent villes font l'orgueil ;
Peut-être sa nef malheureuse
Aura-t-elle vogué vers les sables mouvants
De la Syrte orageuse ;
Peut-être il s'abandonne à la merci des vents.
 
Esclave, en des coupes plus grandes
De Chio, de Lesbos verse-nous la liqueur,
Et pour nous raffermir le cœur
Mesure le Cécube au gré de nos demandes :
Trop longtemps alarmés pour les jours de César
Noyons tous nos ennuis dans ce joyeux nectar.

 

X — Contre le poète Mævius

L'ancre est levée, il part sous de tristes auspices
Le navire chargé du hideux Mævius !
Contre ses flancs impurs soufflez, sombres Eurus,
Et soulevez les flots à ma haine propices !
 
Des rames et des mâts dispersant les tronçons,
Fiers Aquilons, autans, bouleversez l'abîme,
Terribles comme aux jours où vous brisez la cime
Des chênes orgueilleux qui tremblent sur les monts !
 
Que pas un astre ami durant les nuits profondes
N'apparaisse au déclin du funeste Orion ;
Qu'il soit, comme les Grecs au retour d'Ilion,
Jouet des ouragans déchaînés sur les ondes,
 
Quand la chaste Pallas, en sa juste rigueur,
De Pergame fumante abandonnant la cendre,
Vengeait, la foudre en main, l'outrage de Cassandre
Sur l'odieux vaisseau d'un profane vainqueur !
 
Oui, je crois voir déjà la sueur qui ruisselle
Sur le front des rameurs éperdus, consternés,
Ton effroi qui s'exhale en cris efféminés,
Et ton visage empreint d'une pâleur mortelle.
 
Mais Jupiter se rit de tes vœux impuissants ;
Sa haine se repaît de ta lente agonie ;
Ta carène se brise, et la mer d'Ionie
Ouvre pour t'engloutir ses gouffres mugissants.
 
Si ton cadavre alors, étendu sur la plage,
Offre aux oiseaux de mer un succulent repas,
Les Dieux de la tempête, auteurs de ton trépas,
D'un bouc et d'un agneau mériteront l'hommage.

 

XI — À Pectius

(épode non traduite)

 

XII — À une vieille mégère

(épode non traduite)

 

XIII — À ses amis

Le ciel est rétréci par les sombres tempêtes ;
La pluie et les frimas escortent Jupiter ;
Et l'Affreux Aquilon, déchaîné sur nos têtes,
Fait mugir tour à tour les forêts et la mer.
 
Amis, le plaisir sied à la verte jeunesse,
Saisissons le moment qui peut fuir loin de nous ;
De nos fronts attristés écartons la vieillesse :
Le temps n'a point encor fait trembler nos genoux.
 
D'un tonneau qu'avec moi Torquatus a vu naître
Qu'on nous verse aujourd'hui l'enivrante liqueur :
Ne parlons plus du reste; un jour viendra peut-être
Où le ciel daignera désarmer sa rigueur.
 
Faisons couler sur nous les parfums d'Assyrie ;
Marions notre lyre aux joyeuses chansons ;
Dissipons les chagrins dont notre âme est flétrie,
Et du noble Centaure écoutons les leçons :
 
« O mortel rejeton d'une mère immortelle, »
« Criait-il au héros enfanté par Thétis,
« Aux champs d'Assaracus va, le destin t'appelle ;
« Va triompher aux bords où fuit le Simoïs.
 
« Ta gloire ennoblira les rives du Scamandre ;
« Mais tes jours sont comptés, tu ne reviendras pas :
« Les Parques l'ont voulu, la mère la plus tendre
« Ne ramènera point son fils dans ses États.
 
« Qu'importe ? ô mon ami, sous les remparts de Troie
« Que la lyre et le vin rendent tes jours sereins,
« Au lieu d'abandonner ta vie entière en proie
« A la morne tristesse, aux dévorants chagrins. »

 

XIV — À Mécène

(épode non traduite)

 

XV — À Néère

(épode non traduite)

 

XVI — Au peuple romain

Un nouvel âge s'ouvre à nos sanglants discords ;
Rome va s'écrouler sous ses propres efforts,
Rome que ne dompta ni le Marse en furie,
Ni le camp menaçant du tyran d'Étrurie,
Ni la fière Capoue ou l'ardent Spartacus,
Ni les traîtres Gaulois vendus à Lentulus,
Ni du cruel Germain les hordes sanguinaires,
Ni l'affreux Annibal abhorré par les mères,
Sang maudit, nous saurons la détruire, et ses murs
Redeviendront l'abri des reptiles impurs.
Un vainqueur étranger va fouler ses ruines,
Sous de lourds escadrons ébranler ses collines,
Et, d'une main profane ouvrant ses monuments,
De Quirinus au vent jeter les ossements !
Peut-être tous ensemble, ou du moins les plus sages,
Cherchez-vous les moyens d'éviter ces outrages ;
Eh bien ! écoutez-moi: maudissant leurs foyers,
On vit les Phocéens aux loups, aux sangliers
Abandonner leurs champs et leurs Dieux et leurs temples :
De ces peuples suivons les généreux exemples ;
Précipitons nos pas; intrépides nochers,
Affrontons le Notus, les autans, les rochers.
Le voulez-vous ? qui donne un conseil préférable ?...
Que tardons-nous ? voguons, l'augure est favorable ;
Mais qu'un serment nous lie et fixe nos destins.
Avant que nos vaisseaux rentrent aux ports latins,
Les écueils soulevés nageront sur l'abîme ;
L'Éridan du Matin viendra laver la cime ;
L'Apennin de son front menacera les eaux,
Vénus, donnant le jour à des monstres nouveaux,
Unira par les nœuds d'un étrange adultère
La colombe au milan, le cerf à la panthère ;
L'agneau ne craindra plus le lion des déserts,
Et le bouc écaillé se jouera dans les mers.
Partons, et, s'il le faut, qu'un serment plus horrible
Rende à de vains regrets le retour impossible ;
Fuyons tous, ou laissons les cœurs abâtardis
S'attacher sans espoir à des foyers maudits.
Mais vous, mâles héros, dont l'âme est aguerrie,
Volez, volez delà les mers de l'Étrurie :
L'Océan nous appelle, et ces fertiles champs
Que Cérès sans culture enrichit tous les ans :
Iles des bienheureux, demeure fortunée,
Où la vigne fleurit sans être ébourgeonnée,
Où jamais l'olivier n'abuse un vain espoir,
Ni le figuier toujours paré de son fruit noir ;
Où le miel sort du chêne, où du haut des montagnes
Le ruisseau murmurant bondit dans les campagnes !
La chèvre, la génisse y livrent à souhait
Leur pendante mamelle à la main qui la trait ;
Point d'ours grondant le soir autour des bergeries,
Ni de serpents cachés sous les herbes fleuries.
O climat tempéré par le maître des Dieux !
Heureux champs, où jamais par l'autan pluvieux
Le laboureur ne vit la plaine désolée,
Ni sous la glèbe en feu le semence brûlée !
Là, jamais n'ont paru les nochers d'Iolcos
Ni l'impure Médée, opprobre de Colchos ;
Jamais les nautoniers de Tyr ou de Carthage,
Ni ceux d'Ulysse errant de rivage en rivage.
De la peste jamais parmi les gras troupeaux
Le brûlant Sirius n'épandit les fléaux.
Pour les mortels pieux, au cœur pur et docile,
Jupiter dès longtemps réserva cet asile
Quand le siècle d'airain souilla le siècle d'or.
A l'airain succéda le fer plus dur encor.
Ah ! croyez mon oracle, et sous d'heureux auspices
Cherchez pour la vertu des climats plus propices.

 

XVII — Horace et Canidie

HORACE

Oui, c'en est fait, je me prosterne
Devant ton magique savoir :
Au nom d'Hécate, au nom de son sacré pouvoir,
Au nom de Proserpine et des Dieux de l'Averne,
Par ces recueils mystérieux
Qui détachent la lune et les flambeaux des Cieux,
Daigne enfin, daigne, ô Canidie,
Suspendre ton charme puissant ;
Ramène en tes mains, je t'en prie,
Le ruban qui s'enroule au rhombe menaçant.
Télèphe désarma par ses humbles prières
Le héros, effroi des Troyens,
Contre qui son orgueil arma les Mysiens
Et décocha des flèches meurtrières ;
Et ce vaillant Hector qu'un vainqueur en courroux
Aux vautours dévorants, aux chiens laissait en proie,
Hécube l'embauma quand son royal époux,
Franchissant les remparts de Troie,
De l'intraitable Achille embrassa les genoux.
A la voix de Circé, les compagnons d'Ulysse,
Éprouvé par de longs malheurs,
Recouvrent, dépouillés du poil qui les hérisse,
La raison, la parole et leurs nobles couleurs.
J'ai trop bien ressenti ta vengeance rigide,
Idole des marchands et des durs matelots :
Ma jeunesse, mon teint sont flétris, et mes os
Ne sont plus recouverts que d'une peau livide.
Tes philtres avant l'âge ont blanchi mes cheveux ;
Nul répit n'interrompt mes tourments douloureux ;
La nuit succède au jour, et le soleil se lève
Sans que ma poitrine, soulève
De mes tristes ennuis le fardeau rigoureux.
C'en est fait, je me rends, vaincu par la souffrance ;
J'en crois ces prodiges nouveaux :
Du Marse et du Sabin la magique puissance
Fait palpiter les cœurs et brise les cerveaux.
Que veux-tu davantage ? ô terre ! ô mer ! je brûle :
La robe du Centaure embrasa moins Hercule,
Du sulfureux Etna les feux sont moins ardents :
N'importe, je verrai les poisons de Colchide
Bouillir dans tes fourneaux tant que ma cendre aride
Ne sera point livrée aux injures des vents.
Quand finiront mes maux ? Pour expier mes crimes
Que veux-tu ? Je suis prêt à payer ma rançon :
Parle, j'immolerai d'innombrables victimes,
Et ma lyre menteuse exaltera ton nom,
Je chanterai ton air modeste,
Ton incorruptible pudeur ;
Flambeau de la voûte céleste,
Rien n'égalera la splendeur,
Du calomniateur d'Hélène
Quand Pollux et Castor obscurcissent les yeux,
Le poète frappé les implore et sans peine.
Recouvre la clarté des cieux.
Et toi, pardonne aussi, fais cesser ma démence,
Toi qui d'un sang illustre as reçu la naissance ;
Toi qu'on ne vit jamais, profanant les tombeaux,
Sorcière décrépite, au sein des nuits obscures,
Du pauvre après neuf jours disperser les lambeaux ;
Toi dont le cœur est tendre et dont les mains sont pures !

CANIDIE

Trève à d'inutiles discours ;
Suspends ta prière importune :
Battus par l'orageux Neptune,
Aux cris des naufragés les écueils sont moins sourds.
Crois-tu, de Cotytto divulguant le mystère,
Railler impunément la reine des Amours,
Du Pontife usurper le sacré ministère,
Jeter sur l'Esquilin un regard téméraire,
Et de mon nom flétri remplir les carrefours ?
A de vieilles enchanteresses
Aurais-je donc sans fruit prodigué mes largesses,
Et d'un poison rapide apprêté les ferments ?
Non: la mort viendra, lente au gré de ton envie ;
Tu vivras malgré toi, tu vivras et la vie
Renouvellera tes tourments.
Consumé par la faim, le perfide Tantale
Aspire au terme de ses maux ;
Sisyphe au haut du mont, pour goûter le repos,
Veut asseoir la roche infernale ;
Prométhée échapper aux serres du vautour ;
Mais le crime à la peine est lié sans retour.
Dans ton morne chagrin, hâtant tes funérailles,
Tantôt du nœud fatal tu voudras t'enlacer ;
Tantôt du haut des tours tu voudras t'élancer,
Tantôt avec le fer arracher tes entrailles.
Indocile coursier, tu connaîtras le frein ;
Je bondirai sur toi, superbe, triomphante,
Tandis que la terre tremblante
S'humiliera devant mon pouvoir souverain.
Eh quoi ! j'animerais des images de cire ;
(Il n'est point de secret pour ton œil curieux)
Phébé, soumise à mon empire,
A ma voix descendrait des cieux ;
Des morts j'évoquerais la cendre ;
L'amour obéirait à mes philtres vainqueurs ;
Et toi, seul contre moi, tu pourrais te défendre,
El sur mon art vaincu je verserais des pleurs !

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