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Œuvres lyriques d'Horace, traduites par M. Anquetil (1850)

ODES I

 
I·À Mécène II·À César Auguste III·Au vaisseau de Virgile IV·À L. Sestius  V·À Pyrrha  VI·À M. Vipsanius Agrippa  VII·À Munatius Plancus VIII·À Lydie IX·À Thaliarque  X·À Mercure XI·À Leuconoé XII·À César Auguste XIII·À Lydie  XIV·Au vaisseau de l'État XV·Prédiction de Nérée XVI·Palinodie XVII·À Tyndaris  XVIII·À Quintilius Varus XIX·À Glycère  XX·À Mécène XXI·À Diane et Apollon XXII·À Fuscus Aristius XXIII·À Chloé  XXIV·À Virgile XXV·À Lydie  XXVI·À sa Muse XXVII·À ses convives XXVIII·Archytas et le Matelot XXIX·À Iccius XXX·À Vénus XXXI·À Apollon XXXII·À sa lyre XXXIII·À Albius Tibulle  XXXIV·Palinodie XXXV·À la Fortune XXXVI· Sur le retour de Numida  XXXVII·À ses amis XXXVIII·À son esclave

Édition "classique" : ≡ modification, censure partielle — ≡ censure totale


 

I — À Mécène

Généreux sang des rois tes antiques aïeux,
Mécène, ô mon appui, mon bonheur et ma gloire :
Les uns lancent, épris d'une illustre victoire,
Dans la poudreuse Elis un char audacieux ;
Par leur essieu brûlant une borne évitée,
Sur de nombreux rivaux une palme emportée
Dans leur triomphe altier les rapproche des Dieux.
L'un est fier des honneurs qu'à l'envi lui confère
Le suffrage inconstant des mobiles Romains ;
Un autre quand il voit ses greniers africains
Rompre sous le froment trituré dans son aire.
A qui de ses aïeux laboure en paix les champs
Du riche Attale offrez l'héritage splendide :
Sur la mer de Myrto jamais, nocher timide,
Il n'osera braver les écueils et les vents.
Le marchand consterné, quand sur la mer d'Icare
Le furieux autan bouleverse les flots,
De son heureux pays regrette le repos ;
Mais l'humble pauvreté pèse à son cœur avare,
Et ses mains sans délai radoubent ses vaisseaux.
Un autre volontiers savoure un vieux massique
Et dérobe au travail une part de ses jours,
Nonchalamment couché près d'une yeuse antique
Ou du ruisseau naissant qui murmure en son cours.
D'autres aiment les camps, le tumulte des guerres,
La trompette au clairon mêlant ses durs éclats,
Et les combats sanglants que maudissent les mères.
De sa jeune compagne oubliant les appas
Le chasseur, assailli par la bise cruelle,
Suit le faon dépisté par sa meute fidèle
Ou le sanglier marse aux toiles échappé.
Pour moi, d'un autre soin mon cœur est occupé :
Le lierre d'Apollon, les Faunes du bocage,
Les Nymphes avec eux se jouant sous l'ombrage
Me séparent du peuple et m'égalent aux Dieux,
Si de sa flûte Euterpe évoque l'harmonie,
Si de Lesbos encor l'auguste Polymnie
Daigne accorder pour moi le luth mélodieux.
De la lyre en mes vers reconnais le génie,
Et ma tête orgueilleuse atteindra jusqu'aux cieux.

 

II — À César Auguste

Assez et trop longtemps l'arbitre du tonnerre
Par la neige et la grêle a désolé la terre ;
Trop longtemps la tempête effraya les mortels ;
Cependant que sa main, de feux étincelante,
Dans la ville tremblante
Foudroyait les autels.
 
L'univers, à l'aspect de ces affreux présages,
Frémit de voir renaître, après tant de ravages,
Du siècle de Pyrrha les étranges fléaux:
Lorsque des monts altiers la cime épouvantée
Reçut du vieux Protée
Les monstrueux troupeaux ;
 
Lorsqu'aux lieux où jadis le ramier solitaire
Bâtissait de son nid l'asile tutélaire,
Les poissons se heurtaient aux ormes des forêts ;
Quand le chevreuil nageait parmi les daims timides
Sur les plaines humides
Qui couvraient les guérets.
 
Nous avons vu le Tibre, en son âpre furie,
Refoulant loin des mers qui baignent l'Étrurie
De ses flots jaunissants le cours injurieux,
Renverser de Vesta l'auguste sanctuaire
Et le toit séculaire
D'un monarque pieux.
 
Tendre époux, des sanglots et des larmes d'Ilie
Le fleuve trop ému, pour la venger, oublie
Du puissant Jupiter les saints commandements :
Détourné de sa route, il écume, et son onde,
En nos murs vagabonde,
Détruit nos monuments.
 
L'avenir le saura: pour égorger nos frères,
Nos mains ont aiguisé les armes meurtrières
Qui du Mède auraient dû punir les attentats.
Oh ! combien nos enfants décimés par nos crimes,
Innocentes victimes,
Maudiront nos combats !
 
Peuples infortunés ! oh ! quelle main divine
De l'empire ébranlé préviendra la ruine ?
Vesta n'accueille plus un sacrilège encens.
Vierges saintes, quels vœux, réveillant sa tendresse,
Fléchiront la Déesse
Sourde à nos vains accents ?
 
O Jupiter, à qui de nos guerres impies
Enjoins-tu d'expier les fureurs assoupies ?
Prophétique Phébus, ah ! nous t’en supplions,
Descends, il en est temps, revêtu de la nue
Qui cache à notre vue
Tes éclatants rayons.
 
O reine des Amours et des tendres mystères,
Que caressent les Jeux de leurs ailes légères,
Viens, ô Vénus; ou toi, Dieu des sanglants hasards,
Et prenant en pitié sa gloire humiliée,
Sur ta race oubliée
Abaisse tes regards.
 
Pour assouvir ta rage assez de funérailles
N'ont-elles point, hélas ! dépeuplé nos murailles,
Dieu qu'enivrent les cris, le glaive étincelant,
Et ce regard affreux que le cavalier maure
Renversé lance encore
Sur l'ennemi sanglant ?
 
Fils ailé de Maïa, c'est toi, divin Mercure,
Qui, d'un jeune héros empruntant la figure,
De notre empire enfin voulus guider le char ;
Et voilant les rayons de ta gloire immortelle,
Tu consens qu'on t'appelle
Le vengeur de César.
 
Volontaire exilé des domaines célestes,
O César, de nos maux anéantis les restes ;
Des fils de Quirinus relève les grandeurs :
Ne va point, maudissant nos fureurs criminelles,
Des voûtes éternelles.
Regagner les splendeurs.
 
Moissonne ici plutôt d'abondantes victoires ;
Triomphe, et de ton nom remplissant nos histoires,
Sois le chef de l'Etat, le père des Romains ;
Et si le Mède encore infestait notre empire,
O César, qu'il expire
Sous tes puissantes mains !

 

III — Au vaisseau de Virgile

Qu'ainsi la reine de Cythère
Et les frères d'Hélène, astres brillants des cieux,
Te dirigent sur l'onde amère !
Par leur père enchaînés, que les vents furieux
Au souffle constant de Zéphyre
Abandonnent ta voile, ô précieux navire !
Dépose aux champs athéniens
Virgile qu'aujourd'hui l'amitié te confie :
Mes jours sont suspendus aux siens ;
Sauve, en les conservant, la moitié de ma vie.
Il fut armé d'un triple airain
Le premier dont la nef, aux tempêtes livrée,
De l'onde osa fendre le sein ;
Que n'épouvanta point l'impétueux Borée
Se déchaînant contre l'Auster,
Ou l'orageuse Hyade, ou l'horrible furie
Du Notus qui de l'Illyrie,
Puissant dominateur, enfle ou calme la mer.
Quelles morts eût-il redoutées,
Celui qui sans pleurer vit les monstres des flots
Fendant les vagues irritées,
Et les Cérauniens, effroi des matelots ?
En vain la divine sagesse
Par l'Océan voulut diviser l’univers,
Si notre sacrilège adresse
En dépit des destins franchit les vastes mers.
D'un fatal orgueil emportée,
La race humaine osa braver l'ordre des Dieux ;
Le téméraire Prométhée
Pour l'offrir aux mortels ravit le feu des cieux.
Mais le monde expia son crime :
Des fléaux inconnus, ministres du trépas,
S'échappèrent du sombre abîme ;
Et, tardive autrefois à saisir sa victime,
La mort précipita ses pas.
Du ciel malgré les Dieux sur une aile rapide
Dédale affronta les déserts ;
L'Achéron fut forcé par le bras d'un Alcide.
Dans son égarement pervers
L'homme aspire à l'Olympe, et sa folle arrogance
Défend au roi de l'univers
De jamais déposer sa foudre et sa vengeance.

 

IV — À L. Sestius

L'hiver est désarmé; le retour de Zéphyre
Dans les champs attristés ramène le printemps ;
Et les nochers aux flots vont rendre le navire
Abrité contre les autans.
 
Le troupeau, libre enfin, quitte la bergerie ;
Le pâtre au coin du feu ne trouve plus d'appas ;
Tout renaît à la fois, et la verte prairie
Ne blanchit plus sous les frimas.
 
Aux clartés de Phébé, sous les bois de Cythère,
Déjà pendant la nuit Vénus conduit ses chœurs,
Où la Grâce riante et la Nymphe légère
Viennent s'ébattre avec leurs sœurs.
 
La terre sous leurs pas retentit en cadence,
Tandis que du Cyclope animant les travaux,
Le flamboyant Vulcain dans la fournaise immense
Allume des foudres nouveaux.
 
Que les fleurs du printemps, le myrte au vert feuillage
S'enlacent à nos fronts en ce jour solennel ;
Que la chèvre ou l'agneau, dans le sacré bocage,
De Faune ensanglante l'autel.
 
La Mort au front livide, en sa marche assurée,
Chaumières ou palais, heurte sans s'émouvoir.
La vie, ô Sestius, par sa courte durée,
Nous interdit le long espoir.
 
Bientôt du noir Pluton le palais sombre et vide,
Les Mânes fabuleux s'en vont peser sur toi :
Morne et lugubre empire où d'un banquet splendide
Le Sort ne t'élira plus roi.

 

V — À Pyrrha

(ode non traduite)

 

VI — À M. Vipsanius Agrippa

Varius redira, sur la lyre d'Homère,
O vaillant Agrippa, tes immortels lauriers,
Et les combats livrés sur l'onde et sur la terre
Par tes invincibles guerriers.
 
Je n'oserais prétendre à chanter tes conquêtes,
Ni d'Achille outragé les déplaisirs amers ;
La tragique maison d'Atrée, ou les tempêtes
Qu'Ulysse essuya sur les mers.
 
Ton triomphe réclame un plus digne interprète :
La Muse me défend de monter sur ton char,
Et de flétrir au gré d'une lyre indiscrète
Ta gloire et celle de César.
 
Comment peindre de Mars l'impénétrable armure,
Sous la poudre des camps Mérion glorieux,
Ou Diomède enfin dont Pallas même assure
Le bras qui va blesser les Dieux ?

 

VII — À Munatius Plancus

Laissons d'autres chanter Ephèse ou Mytilène,
Chanter Rhode ou Corinthe assise sur deux mers,
Thèbes chère à Bacchus, Delphe au Dieu d'Hippocrène,
Et d'Olympe et d'Ossa les vallons toujours verts.
 
Laissons d'autres, au gré d'une verve diffuse,
De la chaste Pallas exalter les remparts,
Et couronner leurs fronts des rameaux que leur Muse
A l'olivier sacré ravit de toutes parts.
 
Qu'en l'honneur de Junon, d'Argos ou de Mycènes
On chante l'opulence ou les nobles coursiers.
Que m'importent Larisse et ses fertiles plaines
Et la rigide Sparte et ses mâles guerriers ?
 
Je préfère et la grotte où murmure Albunée,
Et le bois de Tibur et ses riants coteaux,
Et sa cascade au fond de l'abîme entraînée,
Et de ses frais jardins les mobiles ruisseaux.
 
Comme au ciel obscurci par de sombres nuages
Souvent le Notus même a rendu son azur,
Loin de livrer ta vie à d'éternels orages,
Dissipe tes chagrins dans les flots d’un vin pur.
 
Ecoute enfin, Plancus, la voix de la sagesse,
Et demande à Tibur un paisible repos ;
Sous l'ombre de ses bois écarte la tristesse
Comme au milieu des camps pavoisés de drapeaux
 
Par son père exilé, Teucer avec courage
D'un sort injurieux défiant la rigueur,
De peuplier, dit-on, couronna sur la plage
Son front que de Bacchus arrosait la liqueur.
 
« La fortune aujourd'hui, meilleure que mon père,
« Nous appelle, dit-il à ses tristes amis :
« Teucer conduit vos pas, honte à qui désespère !
« D'autres champs à nos vœux par Phébus sont promis.
 
« Une autre Salamine attend notre infortune :
« Eprouvés avec moi par de si longs revers,
« Dans l'ivresse noyez la tristesse importune ;
« Demain la rame encor fendra les vastes mers. »

 

VIII — À Lydie

Pourquoi, dis-le nous, je t'en prie,
Au nom de tous les Dieux, veux-tu donc, ô Lydie,
Énerver Sybaris par ton fatal amour ?
Pourquoi, fuyant les feux du jour,
Craint-il du Champ de Mars la brûlante poussière ?
Parmi ses compagnons pourquoi, mâle guerrier,
Ne vient-il plus dans la carrière
Dompter avec le frein l'indocile coursier ?
Du Tibre aux flots dorés d'où vient qu'il fuit la rive
Et le suc de la verte olive
Plus que du noir serpent le venin malfaisant ?
De ses armes d'où vient que le fardeau pesant
Ne meurtrit plus son bras livide,
Son bras qui tant de fois, d'un effort vigoureux,
Jusqu'au delà du but a lancé dans nos jeux
Le fer ou le disque rapide ?
Pourquoi rester caché comme un autre Éacide,
Quand Thétis, d'Ilion présageant le malheur
Et les lugubres funérailles,
Tremblait que de son fils au milieu des batailles
Un viril vêtement n'entraînât la valeur ?

 

IX — À Thaliarque

Du Soracte blanchi vois resplendir la cime
Parmi ces monts lointains de neige couronnés ;
Vois plier la forêt sous le faix qui l'opprime ;
Vois sous d'épais glaçons les fleuves enchaînés.
 
Du rigoureux hiver conjurant l'inclémence,
Entasse des sarments dans ton vaste foyer ;
Épanche, ô Thaliarque, avec plus d'abondance
Ton vin depuis quatre ans mûri dans ton cellier.
 
Laisse aux Dieux tout le reste: à leur voix, la tempête
Sur les flots irrités s'apaise, et les autans
Dans leurs affreux combats n'ébranlent plus le faîte
Des cyprès ni des pins victorieux des ans.
 
Pourquoi du lendemain pénétrer le mystère ?
Ah ! plutôt du présent jouis sans réfléchir ;
Et consacre à la Muse, à la danse légère,
Les jours dont le destin voudra bien t'enrichir.
 
Oui, crois-moi, du printemps de ta verte jeunesse
Jouis, avant que l'âge ait blanchi tes cheveux :
Le jour au Champ de Mars fais briller ton adresse,
Le soir tu reviendras aux propos amoureux.

 

X — À Mercure

Fils de Maïa, Mercure, à la voix éloquente,
Qui, des premiers humains fléchissant la rigueur,
Assouplis dans les jeux d'une lutte élégante
Leur inculte vigueur ;
 
Sois l'objet de mes chants, inventeur de la lyre,
Messager de l'Olympe et du maître des cieux,
Dont les adroits larcins où la gaîté respire
Divertissent les Dieux.
 
Faible enfant, d'Apollon tu caches les génisses
«Rends-les moi, criait-il, rends-les, ou crains mes coups. »
Privé de son carquois, il sourit, les malices
Désarment son courroux.
 
Guidé par toi, Priam, abandonnant sa ville,
Put échapper aux yeux de ses fiers ennemis,
Et jusque dans son camp porter aux pieds d'Achille
La rançon de son fils.
 
Aux mânes vertueux que ta verge rassemble,
Les Champs Élysiens par tes soins sont ouverts ;
Ministre favori, tu charmes tout ensemble
Les cieux et les enfers.

 

XI — À Leuconoé

Que sert de t'enquérir du terme de nos âges ?
Laisse, ô Leuconoé, les Mages curieux
Importuner les cieux :
Se soumettre aux destins, c'est le devoir des sages.
 
Verrons-nous de nos ans se prolonger le cours ?
Ou Décembre, qui brise aux rochers d'Étrurie
Les vagues en furie,
N'apportera-t-il pas le dernier de nos jours ?
 
Arme-toi de sagesse et quitte un soin frivole ;
Renonce au long espoir, et la coupe à la main,
Sans croire au lendemain,
Saisis le jour qui fuit plus prompt que la parole.

 

XII — À César Auguste

Pour qui va résonner ton hautbois ou ta lyre ?
Quel mortel, ô Clio, quel auguste héros,
Quel Dieu chanté par toi vont aujourd'hui redire
Les folâtres échos ?
 
Quel nom répéteront du Pinde ou du Parnasse
Ou du sombre Hélicon les vallons toujours frais,
Ou l'Hémus dont jadis le chantre de la Thrace
Entraînait les forêts ?
 
Lui que sa docte mère instruisit à suspendre
Les torrents emportés et la fureur des vents ;
Lui dont les pins émus se pressaient pour entendre
Et la lyre et les chants.
 
Préludons, il le faut, par le Dieu du tonnerre,
Eternel souverain des mortels et des Dieux,
Arbitre des saisons, qui gouverne et la terre
Et la mer et les cieux.
 
Rien n'est créé par lui de plus grand que lui-même,
Rien qui l'égale, rien qui touche à sa grandeur ;
Après lui, mais de loin, Pallas du rang suprême
Reflète la splendeur.
 
T'oublierai-je, ô Bacchus, fougueux dans la mêlée ;
Toi, vierge redoutable aux monstres des déserts ;
Toi, Phébus, dont jamais en vain la flèche ailée
Ne siffla dans les airs.
 
Chantons encore Alcide, et vous, ô Dioscures,
Vous qui ceignez le ceste ou domptez les coursiers,
Fils de Léda, dont l'astre, au sein des nuits obscures,
Sauve les nautonniers.
 
Il brille, et des rochers tombe l'eau mugissante,
Le nuage s’enfuit, le ciel est sans éclairs,
La tempête se tait, la vague menaçante
S'incline sur les mers.
 
Redirai-je, ô Numa, ton règne pacifique,
Ou du Dieu des combats l'immortel rejeton ;
Les faisceaux de Tarquin, ou la mort héroïque
Du vertueux Caton ?
 
Muse, redis Scaurus, Régulus, Paul-Emile
Livrant sa noble vie au fer carthaginois ;
Redis Fabricius, et du vaillant Camille
Célèbre les exploits.
 
Chante aussi Curius, et ces guerriers austères
Qu'à ses rudes leçons, loin de la volupté,
Sous le chaume, au milieu des champs héréditaires,
Forma la pauvreté.
 
Ta gloire, ô Marcellus, par le temps assurée,
Chêne immortel, étend ses superbes rameaux ;
César, comme Phébé, de la voûte azurée
Eclipse les flambeaux.
 
Père du genre humain, Dieu par qui tout respire,
A qui par les destins César fut confié,
Règne, ô fils de Saturne, et de ton vaste empire
Commets-lui la moitié.
 
Soit que du nom latin sa valeur tutélaire
Sous un joug mérité traîne enfin les Persans,
Ou les Sères lointains que le soleil éclaire
De ses feux renaissants,
 
Sa justice en ton nom gouvernera la terre,
Cependant que ton char fera trembler les cieux,
Et sur les bois souillés éclater le tonnerre
Qui vengera les Dieux.

 

XIII — À Lydie

(ode non traduite)

 

XIV — Au vaisseau de l'État

O malheureux navire ! après tant de naufrages,
Quoi ! tu voudrais encor défier les autans !
Que fais-tu ? dans le port, à l'abri des orages,
Goûte enfin le repos et demeure longtemps.
 
Vois tes bancs dégarnis de nochers et de rames,
Tes vergues et tes mâts par l'Auster fracassés !
Tes câbles sont rompus, et, battu par les lames,
Tu cèderais bientôt sous les vents courroucés.
 
Tes voiles en lambeaux t’ont ravi l'espérance ;
De tes Dieux renversés n'invoque plus les noms.
C'est en vain que le Pont te donna la naissance
Dans les nobles forêts qui couronnent ses monts.
 
Tu vanterais en vain ta noblesse inutile :
Ta splendeur ne saurait rassurer les nochers.
Tremble, si tu ne veux, aux conseils indocile,
Jouet des vents, briser ta carène aux rochers.
 
Objet pour moi naguère et d'ennuis et de peines,
Aujourd’hui de mes soins, de mes vœux les plus chers,
Ne va plus, au milieu des Cyclades lointaines,
Affronter les écueils qui brillent sur les mers.

 

XV — Prédiction de Nérée

Le pâtre de l'Ida, vers la rive étrangère
Traînant l'impur objet de sa flamme adultère,
De Neptune fendait les abîmes lointains,
Lorsqu'enchaînant les vents sur la plaine azurée,
Soudain le vieux Nérée
Lui prédit ses destins.
 
« O sinistre présage ! ô jour fatal à Troie !
« Pour rompre ton hymen, pour t'arracher ta proie,
« La Grèce conjurée arme tous ses enfants :
« Du vieux Priam ils vont briser dans leur colère
« Le trône séculaire
« Sous leurs bras triomphants.
 
« O des fils d'Ilion lugubres funérailles !
« Que de sang va couler dans ces longues batailles !
« Armes, soldats, coursiers ruissellent de sueur ;
« Déjà Pallas apprête, aux combats intrépide,
« Son casque et son égide,
« Son char et sa fureur.
 
« En vain, fier de l'appui de ta belle déesse,
« Tressant tes longs cheveux dans une molle ivresse,
« Sur un luth énervé tu redis tes amours ;
« En vain, pour divertir les Troyennes timides,
« Aux combats homicides
« Tu dérobes tes jours ;
 
« En vain tu prétends fuir dans ta lâche retraite
« Les pesants javelots, les flèches de la Crête
« Et le rapide Ajax et ses traits importuns :
« De tes cheveux brillants la mort, hélas ! trop lente
« Dans l'arène sanglante
« Souillera les parfums.
 
« Eh quoi ! ne vois-tu pas le fléau de ta race,
« Ulysse frémissant qui bondit sur ta trace ?
« Le vieillard de Pylos te défie aux combats ;
« Le fils de Télamon, l'honneur de Salamine
« Teucer pour ta ruine
« S'élance sur tes pas.
 
« Tremble : vois Sthélénus dont le bouillant courage
« Anime ses coursiers ou sème le carnage ;
« Vois Mérion tout prêt à déchirer ton flanc ;
« Vois Diomède enfin, plus vaillant que son père,
« Et dont la rage espère
« S'abreuver de ton sang.
 
« Au loin dans un vallon de la biche éperdue
« Qu'un tigre furieux soudain frappe la vue,
« Oubliant les gazons, elle fuit sans repos :
« Tel, malgré tes serments, tu fuiras hors d'haleine,
« Lâche en qui ton Hélène
« Crut trouver un héros.
 
« D'Achille courroucé la retraite obstinée,
« Reculant d'Ilion la fatale journée,
« Aux Troyennes rendra l'espérance et la paix ;
« Mais les temps sont comptés, et l'antique Pergame
« Des Grecs verra la flamme
« Embraser ses palais.

 

XVI — Palinodie

Fille dont la beauté fait oublier ta mère,
Abolis à ton gré mes iambes mordants :
Engloutis-les dans l'onde amère,
Plonge-les, si tu veux, dans les brasiers ardents.
O fatale colère ! Oui, Phébus et Cybèle
Troublent moins le prêtre rebelle
Qui contre leurs assauts s'épuise en vains combats ;
Oui, le dieu des raisins trouble moins la Bacchante,
Et sous la main du Corybante
L'airain bruyant résonne avec moins de fracas.
Elle brave les mers fécondes en naufrages,
Le feu, le glaive étincelant,
Et Jupiter lui-même au milieu des orages
Fondant sur nous du haut de l'Olympe tremblant.
A notre limon Prométhée
Mêlant des animaux les divers éléments,
Du lion dans nos cœurs mit la rage indomptée
Et les fougueux emportements.
Entr'ouvrant sous ses pas un abîme funeste,
La colère autrefois précipita Thyeste,
Brisa les superbes remparts
Des villes dont le front se perdait dans la nue,
Et d'un vainqueur altier sur leurs débris épars
Guida l'insolente charrue.
Pour moi, si ma jeunesse a connu la fureur,
Si l'iambe sanglant t'a prodigué l'injure,
Aujourd'hui je hais mon erreur :
D'autres chants expieront un forfait que j'abjure,
Mais toi pardonne aussi, ton amant t'en conjure ;
Daigne enfin lui rendre ton cœur.

 

XVII — À Tyndaris

Pour le riant Lucrétile,
Faune, épris de nos climats,
Fuit souvent d'un pas agile
Le Ménale et ses frimas.
Par ce Dieu, qui me protége,
Mes troupeaux sont abrités
Contre les vents et la neige
Et les dévorants étés.
 
Sans péril, à l'aventure
Mes chèvres loin des sentiers
S'en vont chercher la verdure
Du saule ou des arboisiers ;
Et le chevreau téméraire,
Sans souci des verts serpents,
De la louve sanguinaire
Ne redoute plus les dents.
 
Dans mon domaine rustique
Tout fleurit, quand ses pipeaux
Font retentir de l'Ustique
Les vallons et les coteaux.
Le ciel, à mes vœux propice,
Daigne accueillir mon encens,
Et mon pieux sacrifice,
Et ma Muse et ses accents.
 
Viens dans ce réduit aimable
Où l'Abondance, à pleins bords,
De sa corne intarissable
Te versera les trésors;
Viens dans ma verte campagne,
A l'abri des feux du jour,
Aux échos de la montagne
Répéter des chants d'amour.
 
Là tu plaindras sur ta lyre
Et Pénélope et Circé,
Dont le triste cœur soupire
D'un rival amour blessé ;
Là tu pourras sous l'ombrage
De Lesbos sabler les vins,
Sans que le Dieu du carnage
Trouble nos joyeux festins.

 

XVIII — À Quintilius Varus

Que la vigne sacrée, au lieu d'arbres stériles,
De Tibur, ô Varus, orne les champs fertiles
Et les coteaux voisins des murs de Catilus.
A qui hait ses présents l'implacable Bacchus
Réserve ses rigueurs, et la joyeuse ivresse
Seule des noirs chagrins dissipe la tristesse.
Quel pauvre, quel soldat maudit dans un festin
Les durs travaux des camps ou les coups du destin ?
C'est toi dont il se plait à chanter les louanges,
Gracieuse Vénus, et toi Dieu des vendanges.
Mais Bacchus nous défend d'abuser de ses dons :
An Centaure brutal, au Lapithe laissons
Les farouches combats, fruit de l'intempérance ;
Craignons le châtiment qu'une juste vengeance
Dans son ivresse inflige au Thrace furieux
Quand il enfreint les lois des mortels et des Dieux.
Je ne veux point, ouvrant ta corbeille sacrée,
Au grand jour malgré toi traîner, ô Bassarée,
Tes symboles cachés sous un feuillage épais.
Tympanons phrygiens, trompes, dormez en paix,
Bruyants éclats que suit la Jactance effrontée
Dressant avec orgueil une tête éventée,
Et l'Égoïsme aveugle, et les mots indiscrets
Qui laissent comme un verre échapper les secrets.

 

XIX — À Glycère

(ode non traduite)

 

XX — À Mécène

Cher Mécène, avec moi tu goûteras demain
Dans une pauvre coupe un vin de pauvre espèce,
Un vin du Sabinum qu'en un vase de Grèce,
O noble chevalier, j'ai scellé de ma main,
 
En ce jour où le peuple, ébranlant le théâtre,
Salua ta présence, où le fleuve toscan
Et les joyeux échos du lointain Vatican
Répétèrent les cris d'une foule idolâtre.
 
De Falerne pour toi les raisins sont foulés,
Le Cécube t'abreuve, au lieu que sur ma table
Un généreux Formie, un Calès délectable
Dans la coupe à mon eau jamais ne sont mêlés.

 

XXI — À Diane et Apollon

Chantez, chantez Diane, ô vierges d'Hespérie ;
Chantez, jeunes Romains, Phébus aux longs cheveux ;
Puis à Latone aussi, de Jupiter chérie,
Offrez votre encens et vos vœux.
 
Des limpides ruisseaux, vierges, chantez l'amante
Que ravissent les bois et leurs ombrages frais,
Le verdoyant Cragus, et le noir Érymanthe,
Et l'Algide aux sombres forêts.
 
Et vous, jeunes Romains, prenez soin de redire
Délos berceau du Dieu qui fait luire le jour,
Les vallons de Tempé, le carquois et la lyre
Présent d'un fraternel amour.
 
Loin de Rome et d'Auguste, aux bornes de la terre
Phébus repoussera, touché de vos accents,
La cruelle famine et la peste et la guerre
Chez les Bretons et les Persans.

 

XXII — À Fuscus Aristius

Au mortel vertueux, dont l'innocence ignore
Les frayeurs des méchants au remords condamnés,
Qu'importent l'arc pesant, les javelots du Maure
Et son carquois rempli de traits empoisonnés ?
 
Sans leur secours, il peut du sauvage Caucase
Franchir impunément les glaciers périlleux,
Et les sables d'Ammon que le soleil embrase,
Et l'Hydaspe fertile en récits merveilleux.
 
Dans ma forêt sabine, un jour que sans alarmes,
Célébrant Lalagé qui m'enchaîne à sa loi,
Loin des sentiers battus j'errais seul et sans armes,
Une louve a soudain reculé devant moi.
 
Quel monstre cependant, valeureuse Apulie,
Dans tes vastes forêts sema plus de terreur ?
Les lions que nourrit l'aride Gétulie
Au voyageur tremblant inspirent moins d'horreur.
 
Au fond de ces pays dépouillés de verdure
Où Zéphyre jamais n'éveilla le printemps,
Où le stérile hiver assombrit la nature,
Où d'éternels frimas engourdissent les champs ;
 
Dans ces brûlants déserts que ferme à notre empire
Du soleil trop voisin le char tout brillant d'or,
Partout je veux, Fuscus, aimer le doux sourire,
Aimer de Lalagé la voix plus douce encor.

 

XXIII — À Chloé

(ode non traduite)

 

XXIV — À Virgile

Pleurons, ami, pleurons une tête si chère ;
Pleurons-la sans rougir ni contraindre nos pleurs.
Au luth harmonieux que t'a donné ton père
Marie, ô Melpomène, un hymne funéraire
Pour interpréter nos douleurs.
 
Quintilius n'est plus ! ô mort prématurée !
Sur lui pèse à jamais le sommeil infernal !
Jamais l'Honneur, jamais la Vérité sacrée,
Jamais la Probité, sœur auguste d'Astrée,
Ne retrouveront son égal.
 
Combien d'amis sa mort plonge dans la tristesse !
Que de larmes surtout vont couler de tes yeux !
Mais quoi ! le ciel a-t-il méconnu sa promesse ?
Non, rien ne fut promis, Virgile, et ta tendresse
En vain le redemande aux Dieux.
 
Nouvel Orphée, en vain ton luth irrésistible
Ravirait les forêts par ses divins concerts :
Rien ne peut ranimer un fantôme insensible
Que Mercure a poussé de sa verge terrible Parmi les hôtes des enfers.
 
Aux Mânes suppliants une heure d'indulgence
De la terre jamais ne rouvrit les chemins.
Inexorable loi ! Mais du moins la constance,
D'un destin rigoureux corrigeant l'inclémence,
Adoucit les maux des humains.

 

XXV — À Lydie

(ode non traduite)

 

XXVI — À sa Muse

Cher aux vierges du Parnasse,
Exempt des soucis amers,
Je les jette aux vents de Thrace
Pour les noyer dans les mers.
 
Qu'importe quel roi sarmate
Craignent les glaces du Nord ?
Les frayeurs de Tiridate
Ne sauraient troubler mon sort.
 
Douce amante du Permesse
Et des limpides ruisseaux,
Pour Lamia viens et tresse
La couronne des héros.
 
Sans toi que peut mon hommage ?
C'est à toi seule, à tes sœurs
De consacrer son courage
Par vos chants et vos honneurs.

 

XXVII — À ses convives

Quoi ! la coupe, instrument d'une aveugle colère,
Ne présiderait plus à de joyeux ébats !
Laissez dans ses banquets le Thrace armer son bras.
O mes amis ! Bacchus est jaloux du mystère :
Ne l'effarouchez point par de sanglants combats.
 
Je verrais des Persans le hideux cimeterre
Étinceler parmi les flambeaux et les vins !
De brutales clameurs troubleraient nos festins !
Arrêtez ; à vos jeux ne mêlez point la guerre,
Et laissez retomber vos bras sur vos coussins.
 
Voulez-vous qu’à mon tour dans la coupe écumante
De ce Falerne aussi je verse la liqueur ?
Que ton frère, ô Mégille, ouvre aujourd'hui son cœur.
Heureux amant, dis-nous le nom de ton amante,
Dis-nous qui dans ton sein plongea le trait vainqueur.
 
Tu prétends renfermer ton secret dans ton âme !
Dis-le nous : je le veux, et ne bois qu'à ce prix.
Ah ! quel que soit l'objet dont tes yeux sont épris,
Tu n'auras pas sans doute à rougir de ta flamme,
Et, ta faiblesse au moins ne craint pas nos mépris.
 
Réponds-moi, cher enfant : aimer n'est point un crime.
A ton discret ami parie enfin sans détours...
Malheureux ! que d'ennuis vont abreuver tes jours !
Charybde ouvre pour toi son effroyable abîme.
Ta candeur méritait de plus nobles amours.
 
Oui, pour te délivrer d'une impure vipère,
De leurs philtres puissants l'art des magiciens
Épuiserait en vain les champs thessaliens ;
Pégase et le vainqueur de la triple Chimère
T'arracheraient à peine à ces honteux liens.

 

XXVIII — Archytas et le Matelot

LE MATELOT.

De la terre et des mers et des sables sans nombre
Toi qui sondais l'immensité,
Au pied du mont Matin je vois près de ton ombre
Ton corps nu sans honneur jeté !
En vain, pour dérober les secrets d'Uranie,
Ta pensée osa parcourir
Les profondeurs des cieux ouverts à ton génie :
Archytas, il fallait mourir !

ARCHYTAS.

Tout périt : de Pélops la mort frappa le père
Admis à la table des Dieux,
Et des secrets divins Minos dépositaire,
Et Tithon ravi dans les cieux.
L'inexorable Orcus ne rend point Pythagore
Au tombeau descendu deux fois ;
Et, tu le sais, du monde aucun n'a mieux encore
Aux humains expliqué les lois.
Mais de l'Érèbe en vain son corps seul fut la proie ;
En vain il retrouva, dit-on,
L'armure qu'il portait dans les plaines de Troie ;
Rien n'échappe au sombre Pluton,
Et du trépas chacun sans retour suit la voie.
Les uns par l'affreuse Alecton
Sont à Mars immolés ; dans ses vastes abîmes
L'onde ensevelit les nochers ;
Vieillards et jeunes gens, innombrables victimes,
Sont confondus sur les bûchers.
Nul aux Dieux infernaux ne dérobe sa tête.
Moi-même, hélas ! j'ai vu l'Auster,
Au déclin d'Orion soulevant la tempête,
M'engloutir aussi dans la mer.
Ah ! ne refuse point une vile poussière
A mes restes abandonnés :
Loin des mers d'Hespérie ainsi par ma prière
Puissent les autans détournés
Courber, en t'épargnant, les forêts d'Apulie !
Que l'équitable roi des cieux,
Que Neptune, invoqué dans les murs d'Œbalie,
Récompensent tes soins pieux ! …
Pour des fils innocents préviens, je t'en supplie,
La peine d'un crime odieux ;
Crains pour eux, crains pour toi de justes représailles ;
Tremble : les châtiments sont prêts,
Ma voix te va maudire, et des Dieux que tu railles
Rien ne fléchira les arrêts.
Ah ! daigne un seul instant retarder ton voyage ;
Et, lorsque trois fois sur mon corps
Tes mains auront jeté le sable du rivage,
Libre, tu fuiras sans remords.

 

XXIX — À Iccius

Iccius, quoi ! ton avarice
De l'Arabe invaincu convoite les trésors !
Quoi ! dans tes belliqueux transports,
De la riche Saba tu vas, guerrier novice,
Dompter les monarques puissants,
Et courber sous tes fers les farouches Persans !
Dis-nous quelle aimable princesse
Le trépas d'un amant va ranger sous tes lois ;
Dis-nous quel noble sang des rois,
Quel Sère, à bander l'arc instruit dès sa jeunesse,
Du vainqueur ornera le char,
Et les cheveux baignés d'une myrrhe odorante,
Pour toi dans la coupe écumante,
Ganymède nouveau, versera le nectar.
Le Tibre, en sa course nouvelle,
Crois-moi, peut remonter jusqu'au sommet des monts,
S'il faut qu’à tes vœux infidèle,
Et de Panétius abjurant les leçons,
Pour les cuirasses dé l'lbère
Tu revendes, épris d’un moins bel avenir,
Ces traités d'une école austère
Qu'autrefois à grands frais je t'ai vu réunir.

 

XXX — À Vénus

Toi qu'à Paphos, à Cythère,
A Gnide, en Chypre on révère,
O Vénus, laisse ta cour :
Glycère aujourd'hui t'implore ;
L'encens fume ; ah ! viens encore,
Viens dans son riant séjour.
 
Avec toi viennent Mercure,
Et les Grâces sans ceinture,
Et l'Amour avec ses traits,
Et la Nymphe du Permesse,
Et la folâtre Jeunesse
Qui sans toi n'a plus d'attraits !

 

XXXI — À Apollon

Quels vœux doit à Phébus adresser le poète,
Lorsque la coupe, en ce jour solennel,
Épanche un vin nouveau sur son nouvel autel ?
Où sont les trésors qu'il souhaite ?
Ce n'est point la Sardaigne et ses belles moissons,
Ou ces nobles troupeaux qu'à l'abri de ses monts
Nourrit la Calabre brûlante,
Ou l'ivoire de l'Inde et son or précieux,
Ou cette campagne opulente
Qu'effleure du Liris le cours silencieux.
Taillez vos ceps féconds, vous à qui la fortune
De Calès donna les coteaux ;
Et toi riche marchand, favori de Neptune,
Dans l'or fais couler à grands flots
Les vins que tu payas des parfums de Syrie ;
Des vents affrontant la furie,
Sur tes intrépides vaisseaux,
Trois et quatre fois dans l'année
Revois impunément les abîmes d'Atlas :
Il suffit à mes vœux, quand ma table est ornée
De la mauve légère et du fruit de Pallas.
Fils de Latone, exauce ma prière ;
De ces trésors permets-moi de jouir ;
Laisse-moi ma santé, ma raison tout entière,
Et qu'au soir de ma vie égayant ma carrière,
Ma lyre vibre encore à mon dernier soupir.

 

XXXII — À sa lyre

Si tu daignas, sous l'ombrage,
M'inspirer dans mon loisir
Des chants qui dans un autre âge
Soient redits avec plaisir,
Lyre, aujourd'hui l'on m'appelle
A de plus nobles destins :
Viens, ô compagne fidèle,
M'inspirer des chants latins.
 
Cher aux vierges d'Hippocrène,
Un intrépide guerrier
A sa voix dans Mitylène
Te maria le premier :
Il chantait quand son courage
De près affrontait la mort ;
Ou quand, battu par l'orage,
Son vaisseau rentrait au port.
 
De la reine de Cythère
Il célébrait les appas,
Et l'Amour qui de sa mère
Ne quitte jamais les pas ;
Il chantait, sous son armure,
Et les Muses et Bacchus,
Et la noire chevelure
Et les yeux noirs de Lycus.
 
Toi dont la douce harmonie
Charme les banquets divins,
Toi qui des maux de la vie
Sais consoler les humains,
Toi qui du Dieu du Parnasse
Fais la gloire et les amours,
O Lyre, à la voix d'Horace
Daigne répondre toujours.

 

XXXIII — À Albius Tibulle

(ode non traduite)

 

XXXIV — Palinodie

Égaré sur la foi d'une folle sagesse,
Longtemps j'ai refusé d'encenser les autels ;
Revenu sur mes pas, aujourd'hui je m'empresse
D'abjurer mon erreur aux pieds des immortels.
 
Car Jupiter, au lieu d'assembler les nuages
Que sillonnent les feux de l'éclair flamboyant,
Naguère a promené dans un ciel sans orages
Et ses coursiers ailés et son char foudroyant.
 
Sous les bruyants éclats de l'horrible tonnerre
Tout s'ébranle, les champs, les fleuves, les déserts.
Le Ténare abhorré du ciel et de la terre,
Et le Styx et l'Atlas qui borne l'univers.
 
Les Dieux changent, au gré de leur pouvoir suprême,
La bassesse en grandeur et la gloire en affronts ;
La Fortune en son vol arrache un diadème
Dont bientôt son caprice ornera d'autres fronts.

 

XXXV — À la Fortune

O toi qui d'Antium protéges les murailles,
Qui, du rang le plus humble exaltant les humains,
A ton gré convertis en mornes funérailles
Leurs triomphes hautains ;
 
Le pauvre villageois de ses vœux t'importune ;
Souveraine des flots, les avares nochers
T'implorent quand ils vont sur les champs de Neptune
Affronter les rochers.
 
O Déesse, le Dace à nos armes rebelle,
Le Scythe vagabond s'inclinent devant toi ;
Des peuples, des cités, de la ville éternelle
Ta puissance est l'effroi.
 
Le tyran fastueux redoute ton caprice,
Et du monarque altier la mère craint de voir
Sous ton pied dédaigneux s'écrouler l'édifice
De l'absolu pouvoir.
 
Ils tremblent que soudain le peuple ne s'écrie :
« Aux armes ! trop longtemps c'est suspendre nos coups :
« Au sceptre qui l'opprime arrachons la patrie.
« Aux armes ! vengeons-nous ! »
 
Qui toujours devant toi marche le front rigide ?
C'est la Nécessité, sombre fille d'Enfer :
Les clous, les durs crampons, les coins, le plomb liquide
Arment sa main de fer.
 
Couverts de voiles blancs, I’Espoir et la Constance
Ne quittent point tes pas, lorsqu'en habits de deuil
Des palais habités par la fière opulence
Tu désertes le seuil.
 
Mais sitôt que les vins sont bus jusqu'à la lie,
Parjure et vil troupeau que disperse la peur,
Maîtresse, amis, tout fuit; aucun d'eux ne se plie
Au fardeau du malheur.
 
Contre les fiers Bretons de César qui t'implore
Aux limites du monde accomplis les desseins ;
De nos vaillants guerriers aux lieux où naît l'Aurore
Protége les essaims.
 
De nos discords enfin nous pleurons les victimes,
Et nos frères meurtris en d'horribles combats.
Age de fer, hélas ! parlez, devant quels crimes
Ont reculé vos bras ?
 
Quel frein put maîtriser votre fureur impie ?
Quels pleurs vous émouvoir ? Et des Dieux immortels
En quels lieux a-t-on vu votre rage assoupie
Épargner les autels ?
 
Fortune, à tes rigueurs que le calme succède ;
Retrempe, il en est temps, nos glaives émoussés ;
Que par toi dans le sang de l'Arabe et du Mède
Nos maux soient effacés.

 

XXXVI — Sur le retour de Numida

Que les sons de la lyre et l'encens d'Assyrie,
Que le sang d'un chevreau versé sur les autels
Acquittent notre dette envers les immortels :
Numida nous revient du fond de l'Hespérie.
 
Que de tendres baisers, doux garants de sa foi,
A Lamia surtout son amitié dispense !
Ensemble ils ont quitté la robe de l'enfance,
Et dans ses premiers jeux il n'eut point d'autre roi.
 
Marquons d'un caillou blanc cette belle journée ;
Que les vins enivrants ruissellent à grands flots ;
Et, nouveaux Saliens, livrons-nous sans repos
Aux fougueux tourbillons d'une danse effrénée.
 
Que Bassus, mieux qu'un Thrace et mieux que Damalis,
D'un trait vide la coupe et soudain la remplisse ;
Que l'ache toujours verte en nos banquets s'unisse
A l'éphémère éclat des roses et des lis.

 

XXXVII — À ses amis

Buvons, amis, buvons, sans que rien nous arrête ;
Ébranlons à l'envi la terre sous nos pas ;
Pour la table des Dieux il est temps qu'on apprête
De somptueux repas.
 
Sans crime aurions-nous pu, dans un péril immense,
Tirer de leurs celliers les vins de nos aïeux,
Lorsque du Capitole une reine en démence
Osait braver les Dieux ?
 
De notre empire éteint rêvant les funérailles,
Un servile troupeau de ministres flétris
A son espoir sans frein de nos vastes murailles
Promettaient les débris.
 
Mais le charme est rompu, la fortune se lasse ;
Ses vaisseaux embrasés ont calmé ses fureurs,
Et des vins de Pharos le vertige a fait place
Aux réelles terreurs.
 
Loin des bords qu'outrageait sa fatale insolence,
Un héros la poursuit sur l'abîme des mers :
Sur la faible colombe ainsi l'aigle s'élance
Et fond du haut des airs.
 
Comme à travers les champs de la froide Émonie
Du chevreuil éperdu le chasseur suit les pas,
César vole et du monstre, effroi de l'Ausonie,
Veut enchaîner les bras.
 
Mais un mâle trépas sourit à son courage ;
Le fer brille à ses yeux sans ébranler son cœur ;
Sa voile ne fuit point de rivage en rivage
Son rapide vainqueur.
 
Elle ose contempler sa grandeur terrassée,
Et le regard serein presser entre ses mains
Les noirs serpents qui vont dans sa veine glacée
Distiller leurs venins.
 
Ainsi la mort soutient son âme raffermie ;
Reine encore, elle échappe aux vaisseaux de César,
Et d'un triomphe altier notre fière ennemie
Ne suivra point le char.

 

XXXVIII — À son jeune esclave

Épargne-moi, je l'ordonne,
Le vain luxe des Persans :
Qu'ai-je besoin de rubans
Pour attacher ma couronne,
Et qu'importe où dans l'automne
Croît la rose du printemps ?
 
Fi d'une peine pareille !
Mettons-y moins de façon :
Pour égarer sa raison,
Pour s'enivrer sous la treille,
Le myrte sied à merveille
Au maître, à son échanson.

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