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Œuvres lyriques d'Horace, traduites par Pierre Daru (1796)

ODES I

 
I·À Mécène II·À Auguste III·Au vaisseau de Virgile IV·À Sextus V·À Pyrrha VI·À Agrippa VII·À Munatius Plancus VIII·À Clycère (*) (Ad Lydiam) IX·À Thaliarque X·À Mercure XI·À Leuconoé XII·À Auguste XIII·À Lydie XIV·Au Vaisseau de la République XV·Prédiction de Nérée à Pâris XVI·À Tyndaris (Palinodia) XVII·À Tyndaris XVIII·À Quintilius Varus XIX·À Glycère (*) XX·À Mécène XXI·À Diane et Apollon XXII·À Fuscus Aristius XXIII·À Chloé XXIV·À Virgile XXV·À Lydie XXVI·À Ælius Lamia XXVII·À ses amis XXVIII·L'ombre d'Archytas XXIX·À Iccius XXX·À Vénus XXXI·À Apollon XXXII·À sa lyre XXXIII·Au poète Tibulle XXXIV·Sur l'existence des Dieux XXXV·À la Fortune XXXVI· À Plotius Numide XXXVII·À ses amis XXXVIII·À son jeune esclave

(*) = "J'ai quelquefois substitué un nom à un autre, quand cela a été sans conséquence." (Note de Pierre Daru)


 

I — À Mécène

Mécène, fils des rois que célèbre l'histoire,
Je dois à vos bienfaits mon bonheur et ma gloire.
Que du laurier de Pise un autre ambitieux,
Sur un essieu brûlant franchissant la carrière,
Dans des flots de poussière
Vole, évite la borne, et monte au rang des Dieux !
 
Ceux qu'aux triples honneurs porte un peuple volage,
Celui qui, labourant son paisible héritage,
Des moissons du Numide augmente sa moisson,
Vous ne les verrez point sur une onde fatale,
Pour les trésors d'Attale,
Timides nautoniers, affronter l'aquilon.
 
Ce marchand effrayé, que la tempête égare
Sur les flots de la mer qui vit tomber Icare,
Regrette alors ses champs, sa ville, son repos :
Bientôt, impatient du joug de l'indigence,
De la rive il s'élance,
Et sa nef réparée affronte encor les flots.
 
Les uns, le verre en main, près d'une source pure,
Couchés le long du jour sous un dais de verdure,
D'un Massique vieilli s'enivrent à longs traits.
D'autres aiment les camps, la trompette bruyante,
Dont la voix effrayante
A la mère sensible annonce des regrets.
 
De la froide saison bravant l'intempérie,
Le chasseur, oubliant une épouse chérie,
Poursuit le daim pressé par ses chiens belliqueux.
Pour moi, j'aime les bois, j'évite le vulgaire,
Et le bandeau de lierre,
Ce prix des doctes fronts, me rapproche des Dieux.
 
J'aime la paix des champs, les danses du Satyre.
Si les sœurs d'Apollon daignent monter ma lyre,
Et si votre suffrage, encor plus glorieux,
Parmi les favoris des nymphes du Parnasse
Daigne marquer ma place,
De mon front couronné j'irai toucher les cieux.

 

II — À Auguste

Assez et trop longtemps, désolant ce rivage,
Jupiter envoya les torrents et l'orage ;
Assez sur les lieux saints son bras puissant tonna :
Rome en fut alarmée, et l'univers encore
Craignit de voir éclore
Les prodiges affreux du siècle de Pyrrha.
 
Protée et ses troupeaux franchirent les montagnes.
Tous les peuples de l'onde, errant dans les campagnes,
Arrêtèrent leur course au faîte des ormeaux ;
Là, jadis, la colombe avait chanté ses peines.
La mer couvrit les plaines,
Et les hôtes des bois nagèrent dans les flots.
 
Nous avons vu le Tibre, écumant dans sa course,
Du rivage des mers remonter vers sa source,
Menacer d'engloutir palais, temple, rempart,
Et malgré Jupiter, dans sa fureur jalouse,
Venger sa tendre épouse
Des pleurs que lui coûta le meurtre de César.
 
Les faibles rejetons des familles romaines,
Ces restes échappés à nos fatales haines,
Sauront de leurs aïeux les coupables exploits.
Ils apprendront que Rome, en sa fureur extrême,
Tourna contre elle-même
Ces glaives dont le Parthe eût dû sentir le poids.
 
Pour cet empire, hélas ! au bord du précipice,
Quel Dieu nous prêtera sa faveur protectrice ?
Qu'espérer de vos pleurs, ô filles de Vesta ?
Sourd à nos vœux tardifs et lassé de nos crimes,
Quelles sont les victimes
Que le maître des Dieux parmi nous choisira ?
 
Accourez à nos vœux, venez, Dieu des présages,
Blond Phœbus, paraissez, le front ceint de nuages ;
Ou bien, si tu le veux, descends avec ton fils,
Toi que l'on voit toujours des Grâces entourée,
Divine Cythérée,
Amène sur tes pas l'indulgence et les ris.
 
Et toi, Dieu des combats, Dieu de sang et d'alarmes,
Qui chéris le tumulte et le fracas des armes,
Et du Marse vainqueur le visage hideux ;
Sur tes fils oubliés, qu'opprime leur misère,
Jette un regard de père,
Et sois rassasié de nos coupables jeux.
 
Sera-ce vous enfin, favorable Mercure,
Qui, d'un jeune héros empruntant la figure,
De César immolé vengerez le trépas ?
Oubliez parmi nous les demeures célestes ;
Que nos crimes funestes
Sur les ailes des vents ne vous éloignent pas.
 
De lauriers en ces lieux la gloire vous couronne ;
Aimez, aimez les noms que notre cœur vous donne :
Prince, soyez le chef, le père des Romains,
Et ne permettez pas qu'une horde étrangère
Franchisse la barrière
Des états dont le sceptre est remis en vos mains.

 

III — Au vaisseau de Virgile

O vaisseau, de Paphos puisse l'aimable reine,
Puisse l'astre brillant des deux frères d'Hélène
Te guider sur les mers !
Aborde, sans danger, le rivage d'Épire :
Que le père des vents permette au seul zéphire
De régner dans les airs.
 
Des jours de mon ami frêle dépositaire,
Conserve de mon cœur la moitié la plus chère ;
Rends-le nous, tu le dois.
Il eut un cœur d'airain celui qui de l'orage
Affronta le premier l'impétueuse rage
Sur un fragile bois.
 
Il méprisa ces vents des plaines boréales,
Ce fougueux aquilon ; ces étoiles fatales,
Terreur des matelots ;
Les autans élancés des rivages d'Afrique,
Et celui qui toujours du golfe Adriatique
Trouble à son gré les flots.
 
Put-il craindre la mort, lui qui d'un œil tranquille
Vit des écueils briser cette mer indocile
Et les monstres bondir ?
C'est donc, c'est donc en vain que par des mers profondes
La prudence des Dieux a séparé les mondes ?
L'homme ose les franchir.
 
L'homme des immortels méprise la défense.
Des enfants de Japet la coupable insolence
Ravit le feu des cieux :
Soudain fondit des maux la troupe dévorante,
Et la mort, qui jadis était tardive et lente,
Accourut avec eux.
 
Hercule du Ténare a forcé la barrière :
Se frayant une route aux humains étrangère,
Dédale a fendu l'air.
Nous attaquons le ciel. Est-il rien que l'on n'ose ?
Nous ne permettons pas que la foudre repose
Aux mains de Jupiter.

 

IV — À Sextus

L'hiver cède au retour de Flore et du printemps :
On lance le navire enfoncé dans le sable ;
L'homme vole au travail, le troupeau fuit l'étable ;
La neige du matin ne blanchit plus nos champs.
La reine de Cythère
Conduit sa jeune cour
Dans un vallon qu'éclaire
La sœur du Dieu du jour,
Et les Grâces décentes
De leur pied tour à tour
Foulent les fleurs naissantes.
Cependant que Vulcain dans ses ardents fourneaux
Du Cyclope difforme anime les travaux.
 
Nos têtes, maintenant de parfums arrosées,
Se pareront de myrtes verts.
Couronnons-nous des fleurs que les hivers
A nos jardins flétris ont longtemps refusées ;
Et qu'on immole à Pan, sous l'ombre des rameaux,
D'innocentes brebis ou de jeunes chevreaux.
 
La mort, la pâle mort, cette déesse altière,
Foule d'un pas égal le trône et la chaumière.
Heureux Sextus, nous ne vivons qu'un jour ;
L'espoir lointain n'est que chimère :
Pluton déjà t'appelle en son triste séjour.
 
Quand tu mettras le pied dans la barque fatale,
Adieu les festins et les jeux !
Adieu les tendres feux
Que t'inspire le beau Céphale,
Qui des jeunes Romains fixe à présent les yeux,
Et pour qui nos beautés feront bientôt des vœux !

 

V — À Pyrrha

Quel est ce jeune amant à la tresse odorante,
Pyrrha, qui, dans le fond d'une grotte charmante,
Sur un tapis de fleurs, vous presse dans ses bras ?
Pour lui vous relevez cette boucle flottante ;
Pour lui vous affectez, en ornant vos appâts,
Une négligence élégante.
 
Hélas ! qu'il va pleurer quand, trahi par les Dieux,
Abandonné de vous et battu par l'orage,
Pour la première fois il verra le naufrage,
Lui qui, trop jeune encore et déjà trop heureux,
Pense vous voir toujours favorable à ses vœux,
Toujours tendre et jamais volage !
 
Malheureux le mortel de vos charmes épris,
Qui vous crut un instant sincère autant que belle !
J'en fis moi-même, hélas ! l'épreuve trop cruelle.
Mais par mes vœux enfin les cieux furent fléchis,
Et j'ai de mon vaisseau consacré les débris
Au Dieu de cette onde infidèle.

 

VI — À Agrippa

Que le cygne rival du chantre d'Aonie
Célèbre vos combats :
Sur la terre et les eaux votre puissant génie
A conduit nos soldats.
 
Ma Muse n'oserait chanter du fier Achille
L'implacable douleur ;
Ni du fils de Laërte, en ruses si fertiles
Conter le long malheur.
 
A mon luth amoureux les filles de Mémoire
Ont donné peu de sons,
Et Phœbus me défend de ternir votre gloire
Par mes faibles chansons.
 
Qui peindra le Dieu Mars, dont le casque étincelle,
Ou Mérion poudreux,
Ou Diomède enfin, qu'une auguste immortelle
Rendit égal aux Dieux ?
 
Pour moi, libre, amoureux, je veux chanter la table
Et le joyeux Hylas,
Menacé par Chloé d'un ongle redoutable
Mais qui ne blesse pas.

 

VII — À Munatius Plancus

D'autres loueront Éphèse, ou Rhodes, ou Mitylène ;
Corinthe que deux mers embrassent de leurs flots ;
Les vallons de Tempé, les murs du fils d'Alcmène ;
Ou l'île d'Apollon, la charmante Délos :
 
Il en est dont les vers ne célèbrent qu'Athènes
Et l'arbre de Pallas aux flexibles rameaux :
Pour honorer Junon d'autres chantent Mycènes,
Et Sparte la guerrière, et les coursiers d'Argos.
 
Pour moi j'aime bien mieux cette charmante rive
Où l'Anio murmure à travers les bosquets,
Et ces vergers qu'arrose une onde fugitive,
Que des Thessaliens les fertiles guérets.
 
Comme un zéphyr léger dissipe les nuages,
Ainsi, soit que de Mars vous suiviez les drapeaux,
Soit que de Tivoli vous habitiez l'ombrage,
Bacchus vous versera l'oubli de tous les maux.
 
La sagesse l'ordonne. A travers la tempête
Jadis Teucer fuyait son père et son pays;
Inspiré par Bacchus, il couronne sa tête,
Et s'adresse en ces mots à ses tristes amis :
 
« La fortune est pour nous moins cruelle qu'un père ;
« Suivons-la, compagnons, ne désespérons pas :
« Phœbus nous a promis une terre étrangère ;
« Teucer en est garant, Teucer conduit vos pas.
 
« Nous verrons s'élever une cité nouvelle.
« Vous avez avec moi souffert de plus grands maux.
« Noyez dans le nectar la tristesse cruelle :
« Demain, dignes amis, nous braverons les flots. »

 

VIII — À Clycère * (Ad Lydiam)

Au nom de tous les Dieux, pourquoi, jeune Clycère,
Veux-tu de ton amant la honte et le malheur ?
Pourquoi, loin de braver une noble poussière,
Fuit-il le champ de Mars ouvert à sa valeur ?
 
Nous ne le voyons plus, parmi ceux de son âge,
Soumettre aux lois du frein l'indocile coursier.
Que n'ose-t-il du Tibre affronter le rivage,
Ou se montrer aux yeux dans l'appareil guerrier ?
 
Il semble redouter, comme un poison funeste,
L'huile de nos lutteurs. Pourquoi ses bras nerveux
Ne sont-ils plus brunis par le disque ou le ceste,
Lui dont le javelot a vaincu dans nos jeux ?
 
Il se cache ; et pourquoi ? Pour imiter Achille,
Qui, trompant les destins sous de honteux habits,
D'une mère craintive esclave trop docile,
Semblait fuir les lauriers à ses armes promis.

 

IX — À Thaliarque

Vois l'Apennin chargé de la neige brillante
Qu'ont sur ses vastes flancs soufflé les aquilons ;
Vois les arbres pliant sous le poids des glaçons,
Et du Tibre captif la surface glissante.
 
Près du chêne enflammé, défiant les hivers,
Brave dans ton foyer la saison rigoureuse ;
Verse ton vieux nectar d'une main généreuse,
Et laisse aux Dieux le soin de régir l'univers.
 
Ces tyrans orageux qui des humides plaines
Par leurs bruyants combats osent troubler la paix,
Cesseront d'agiter le vaste front des chênes
Et le sommet aigu des antiques cyprès.
 
Evite de porter des regards indiscrets
Sur l'avenir douteux que le sort te prépare ;
Les instants que te laisse un destin trop avare,
Apprends à les compter comme autant de bienfaits.
 
Thaliarque, préviens la vieillesse livide :
Aime le champ de Mars, les danses et l'amour ;
Ces rendez-vous surtout où la bouche timide
S'exprime à demi-voix, vers le déclin du jour.
 
C'est maintenant qu'il faut, dans un coin, en silence,
Poursuivre la beauté que décèlent ses ris ;
Dérober ses bijoux à la jeune Doris,
Et vaincre de sa main la molle résistance.

 

X — À Mercure

Neveu d'Atlas, divin Mercure,
Quand les hommes sortaient des mains de la nature,
Tu polis leur rudesse et les rendis heureux
Par les beaux arts et l'éloquence.
O père de la lyre, ô messager des Dieux,
Qui sais du vieil Argus tromper la vigilance,
Je t'adresse, en ce jour, et mes chants et mes vœux.
 
Quand, devenu berger, le beau Dieu du Permesse
Te demandait ses bœufs dérobés en jouant,
Et croyait de ses traits effrayer un enfant,
Il se vit sans carquois, et rit de ton adresse.
C'est par toi que chargé d'une immense richesse,
Priam, pour racheter les restes de son fils,
Au milieu des feux ennemis
Traversa le camp de la Grèce.
 
C'est toi qui dans des lieux chéris
Amènes les pieuses ombres
Que d'un sceptre d'or tu conduis,
Également aimé dans les demeures sombres
Et sous les célestes lambris.

 

XI — À Leuconoé

Crédule à l'art trompeur de l'augure et du mage,
Gardez-vous de chercher à lire dans les cieux
Le terme qu'à nos jours ont assigné les Dieux ;
Quel que soit notre sort, l'attendre est le plus sage :
 
Soit qu'un dieu bienfaisant vous garde cent hivers ;
Soit que ce triste jour, où l'Eurus en furie
Aux bords Étruriens fait bouillonner les mers,
Doive être le dernier de votre courte vie.
 
Consultez la sagesse, épuisez votre vin,
Modérez vos désirs, bornez votre espérance ;
Saisissez le moment, qui fuit sans qu'on y pense,
Et ne comptez pas trop sur votre lendemain.

 

XII — À Auguste

Quel homme ou quel héros va chanter votre lyre,
Nymphe de l'Hélicon ?
Clio, quel est le Dieu dont l'écho va redire
Et célébrer le nom ?
 
Irez-vous dans les bois qui couvrent le Parnasse
Irez-vous sur l'Hémus,
Où des puissants accords du chantre de la Thrace
Les rocs furent émus ?
 
Instruit par Calliope, il retint les haleines
Des rapides autans :
Les fleuves s'arrêtaient, il conduisait les chênes
Sensibles à ses chants.
 
Je veux, de l'univers je veux chanter le père ;
C'est le premier des Dieux,
L'arbitre des saisons, le maître de la terre
Et des flots écumeux.
 
Il n'a point de rival dans la nature entière,
Les Dieux sont ses enfants.
Après lui, cependant, à sa fille guerrière
Nous devons notre encens.
 
Je ne t'oublierai point, Dieu charmant de la table,
O courageux Bacchus,
Ni vous, chaste Diane, aux forêts redoutable,
Ni les traits de Phœbus.
 
Je veux chanter Alcide et les frères d'Hélène,
Ces illustres gémeaux :
L'un domptait les coursiers, et l'autre sur l'arène
Abattait ses rivaux.
 
Dès que leurs feux amis brillent pendant l'orage,
L'eau coule des rochers,
Les flots sont apaisés, et le ciel sans nuage
Rassure les nochers.
 
Chanterai-je Romule et sa ville fameuse,
Ou le sage Numa ;
Les faisceaux des Tarquins, ou la mort glorieuse
Que Caton se donna ?
 
Muse reconnaissante, enflamme mon génie,
Pour chanter Régulus,
Et ce fameux guerrier qui prodigua sa vie
Pour ses soldats vaincus.
 
Viens peindre Curius sous sa toge grossière,
Et ce Fabricius
Qu'en son humble foyer la pauvreté sévère
Élevait aux vertus.
 
Ta gloire, ô Marcellus, s'élève comme un plane ;
L'astre des Jules luit,
Comme l'on voit briller le flambeau de Diane
Parmi ceux de la nuit.
 
Père et conservateur de tout ce qui respire,
César est sous ta loi :
Relève ses destins ; Qu'il soit dans ton empire
Le second après toi.
 
Soit qu'il ait triomphé dans une juste guerre
Du Parthe ou de l'Indus,
Qu'il reste sous tes lois le maître de la terre :
Il ne veut rien de plus.
 
Ton char tonnant pourra de la voûte azurée
Ébranler le palais,
Et ta foudre embraser cette enceinte sacrée
Que souillent nos forfaits.

 

XIII — À Lydie

Quand je t'entends louer, Lydie,
Les traits d'Hylas et ses beaux yeux,
Le levain de la jalousie
S'élève en mon cœur furieux.
 
Ma raison s'égare et chancelle
Mon teint paraît plus animé,
Et mon trouble secret décèle
Le feu dont je suis consumé.
 
Je frémis de penser qu'il ose
Meurtrir tes charmes ravissants,
Et sur une bouche de rose
Imprimer des baisers brûlants.
 
Ne crois pas fixer, ô Lydie,
Cet amant qui dans sa fureur
Mêle du fiel à l'ambroisie
Dont il s'enivre sur ton cœur.
 
Heureux qui, dans sa douce ivresse,
Exempt de tout jaloux transport,
Entre les bras de sa maîtresse,
Sans y penser attend la mort !

 

XIV — Au vaisseau de la République

Où vas-tu cher Vaisseau ? quel orage t'entraîne ?
Veux-tu des flots encore affronter les fureurs ?
Ah ! plutôt dans le port que ton ancre t'enchaîne.
Ne vois-tu pas tes bancs dégarnis de rameurs ?
Vois-tu contre tes mâts les autans qui frémissent ?
Tes cordages rompus, tes antennes gémissent.
Tu ne peux résister aux vents impétueux ;
Tu ne peux déployer qu'une voile inutile,
Et tu n'as plus de Dieux vers qui ta voix débile,
Dans un si grand danger, puisse porter tes vœux.
 
Issu de ces vieux pins dont le faîte domine
Du royaume de Pont les rivages fameux,
Tu vanteras en vain cette illustre origine :
Tremble d'être battu par les vents furieux.
Tous ces Dieux dont ta poupe en vain porte l'image
Ne rassureront point, au milieu de l'orage,
Ton pilote à l'œil sombre et tes pâles nochers.
O toi qui dès longtemps fais ma sollicitude,
Objet de mes regrets, de mon inquiétude,
Des Cyclades surtout évite les rochers.

 

XV — Prédiction de Nérée à Pâris

Le berger Phrygien conduisait sur les mers
La beauté criminelle à son hôte ravie,
Quand Nérée, enchaînant les autans dans les airs,
Lui prédit les malheurs qui menaçaient sa vie.
« C'est sous des astres ennemis
« Que tu conduis cette étrangère :
« Bientôt tous les Grecs réunis
« Viendront te l'arracher, briser vos nœuds chéris,
« Et renverser le trône où règne ton vieux père.
« Hélas ! que de guerriers inondés de sueur !
« Dans les champs paternels, ô ravisseur perfide,
« Tu répands le meurtre et l'horreur ;
« Déjà Pallas apprête son égide
« Et ses coursiers et sa fureur.
« Fier des faveurs de Dionée,
« Tu tresseras en vain l'or de tes blonds cheveux,
« Et charmant les beautés par tes chants amoureux,
« Tu toucheras en vain ta lyre efféminée ;
« En vain dans ton palais tu fuiras les combats,
« Les javelots et la colère
« De ce rapide Ajax qui vole sur tes pas :
« Un jour viendra, trop tard hélas !
« Où ta chevelure adultère,
« Dégouttante de sang, souillera la poussière.
« Tu connaîtres bientôt le brave Mérion,
« Et le roi de Pylos, et le fils de Laërte.
« Ne vois-tu pas Teucer, l'ennemi de ton nom ?
« Et ces mille guerriers acharnés à ta perte ?
« Et ce fier Sthénélus, dont l'homicide bras
« Sait conduire les chars et semer le trépas ?
« Ici c'est Diomède, armé par la colère,
« Plus redoutable encor que son terrible père ;
« Furieux, il t'appelle, il brûle de te voir :
« Tu fuis à son aspect, comme le faon timide
« Quitte les prés fleuris pour fuir le loup avide
« Qu'au loin dans les vallons il vient d'apercevoir.
« Sont-ce là les serments que reçut ton Hélène ?
« Le repos d'Achille irrité
« Retarde les malheurs de la race Troyenne ;
« Mais encor quelques ans, dont le nombre est compté,
« Et des torches des Grecs la dévorante flamme
« Vengera Ménélas et punira Pergame. »

 

XVI — À Tyndaris qu'il avait offensée dans ses vers (Palinodia)

D'une mère charmante enfant plus belle encore,
Mes vers sont criminels, que le feu les dévore ;
Ordonnez, et qu'ils soient emportés par les flots.
Non, Bacchus ni Cybèle, en leur affreux mystère,
L'airain du Corybante ébranlant les échos,
Et les divins transports des prêtres de Délos,
Non, rien n'égare autant que l'aveugle colère.
 
Rien ne peut l'arrêter ; ni les flots orageux,
Ni les feux dévorants, ni les traits du Numide.
Ni même Jupiter fondant du haut des cieux,
Au milieu du fracas de sa foudre rapide.
On dit que de ce Dieu le rival intrépide,
Des éléments divers formant notre limon,
Embrasa notre cœur des fureurs du lion.
 
La colère des maux est la source funeste.
La colère apprêta le festin de Thyeste :
C'est elle qui détruit les remparts orgueilleux
De ces fières cités qui menaçaient les cieux ;
Elle amène le jour fatal à leur mémoire,
Où l'insolent vainqueur, abusant de sa gloire,
Fait passer sur leur cendre un soc injurieux.
 
De la colère aussi j'ai ressenti l'ivresse :
O belle Tyndaris, de grâce apaisez-vous.
Elle put arracher à ma faible jeunesse
Des vers qui méritaient votre juste courroux ;
Mais par de nouveaux chants ma muse les expie.
Reprenez, comme moi, des sentiments plus doux ;
Rendez-moi votre cœur, rendez-moi mon amie.

 

XVII — À Tyndaris

Faune quitte souvent les monts de l'Arcadie,
Pour revoir Lucrétile et son bois enchanté ;
Il défend mes chevreaux des autans, de la pluie
Et des feux de l'été.
 
Sitôt que des doux sons de sa flûte rustique
Ce Dieu qui me protège a charmé les coteaux,
Ou qu'il fait par ses chants des rochers de l'Ustique
Résonner les échos,
 
La chèvre, impunément errant dans les bocages,
Sans craindre ni les loups ni le cruel serpent,
Va chercher l'arboisier caché sous les feuillages,
Ou le thym odorant.
 
Tu le vois, Tyndaris, les Dieux aiment mon zèle,
L'indulgence des Dieux daigne accueillir mes chants :
La terre va t'offrir, à tous nos vœux fidèle,
Ses plus riches présents.
 
Ici, dans ce vallon qu'habite le zéphire,
Tu pourras, sur le luth du vieillard de Téos,
Célébrer Pénélope et Circé qui soupire
Pour le même héros.
 
Ici, le vin léger que donne Mytilène
Viendra sous une treille égayer nos repas.
Nous ne verrons point Mars et le fils de Silène
Se livrer des combats.
 
Ne crains pas qu'en ces lieux, outrageant ta faiblesse,
L'impatient Cyrus, de jalousie épris,
T'arrache ta couronne et de sa main traîtresse
Déchire tes habits.

 

XVIII — À Quintilius Varus

Sur la colline agréable
De Tibur, de Catilus,
N'élevez, poète aimable,
Que l'arbre cher à Bacchus.
Les Dieux se montrent sévères
Pour ceux qui ne boivent pas :
Mais qui craint, parmi les verres,
La misère ou les combats ?
Dieux de Gnide et de la treille,
C'est vous qu'implore un buveur.
Eh ! qui mieux que la bouteille
Bannit le souci rongeur ?
Mais n'usons qu'avec sagesse
Des doux présents de ces Dieux.
Les Centaures dans l'ivresse
Ensanglantèrent leurs jeux.
Les Thraces dans une orgie
Virent Bacchus irrité
Punir ce délire impie
Par qui rien n'est respecté.
Dieu, ne crains pas que je veuille
Sonder tes divins secrets,
Ni faire tomber la feuille
Qui cache certains objets.
Point de tambour, de trompette,
De sistre ni de clairon :
Ce bruit, qui nous rompt la tête,
Nous fait perdre la raison,
Inspire l'orgueil stupide
Et ce babil indiscret,
Qui, comme un cristal limpide,
Laisse voir notre secret.

 

XIX — À Glycère (*)

La cruelle mère des jeux,
Le fils de Sémelé, la licence folâtre,
De mon cœur rallument les feux.
Je brûle pour Éphyre à la gorge d'albâtre,
Qui ternit de Paros les marbres orgueilleux.
Je brûle pour la jeune Éphyre ;
J'adore la gaîté qui brille dans ses yeux,
Même son dangereux sourire.
 
Vénus, quittant des bords chéris,
Fond sur moi toute entière et défend à ma lyre
De chanter nos fiers ennemis,
Et tout ce qui n'est pas soumis à son empire.
Esclaves, apportez le vin vieux et l'encens,
Parez cet autel de verveine ;
Peut-être que Vénus, sensible à nos présents,
Se montrera moins inhumaine.

 

XX — À Mécène

Mon vin vieux vous attend : il est de peu de prix,
Cher Mécène, et ma main le donne à petits verres ;
Mais je l'ai cacheté dans des pots qui naguère
D'un fameux vin de Grèce avaient été remplis.
 
Chez vous nous savourons les bons vins de Candie :
Chez moi jamais le fruit des vignes de Calès
Ne paraît sur ma table, et ma coupe jamais
Ne reçut le nectar des pressoirs de Formie.
 
Le mien date du jour où sur cet heureux bord
De vos nobles vertus tout un peuple idolâtre
Fit, en vous revoyant, de son joyeux transport
Retentir les échos du Tibre et du théâtre.

 

XXI — À Diane et Apollon

Chantez Diane, ô charmantes Romaines,
Chantez, jeunes Romains, Phœbus aux longs cheveux,
Et Latone si chère au souverain des Dieux.
Chantez Diane : elle aime les fontaines
Et du noir Apennin les épaisses forêts,
La fraîcheur de l'Algide et les jeunes bosquets.
Vous, célébrez Tempé, cette plaine charmante,
Et Délos, ce rivage où Phœbus vit le jour ;
Ce carquois d'or, parure éblouissante,
Et cette lyre si puissante,
Gage chéri d'un fraternel amour.
Il chassera la faim livide.
Il chassera la peste et la guerre homicide.
De César et de nous détournant ces fléaux,
Touché par vos accents, sur l'odieux Numide
Il fera retomber ces maux.

 

XXII — À Fuscus Aristius

Sans crainte et sans remords, fort de son innocence,
Le sage laisse aux Dieux le soin de sa défense.
Qu'a-t-il besoin du fer, de l'arc, des javelots,
Ou des traits abreuvés de poisons homicides,
Dont les noirs habitants des campagnes Numides
Remplissent le carquois qui pèse sur leur dos ?
Sans crainte il voit d'Hammon les plaines sablonneuses,
Et les bords où l'Indus roule ses eaux fameuses.
 
Du Caucase désert il franchit les sommets.
Un jour je m'égarai sous l'ombre des forêts ;
Je chantais ma Phyllis, et j'errais sans alarmes :
Un loup fuit devant moi, bien qu'il me vît sans armes ;
C'était un monstre horrible et tel que l'Apennin
N'en a jamais nourri dans son aride sein,
Tel que n'en vit jamais cette plaine brûlante
Où répandent l'effroi les lions qu'elle enfante.
 
Placez-moi dans ces champs tristes et paresseux
Où Zéphir n'a jamais caressé la verdure,
Dans ces climats lointains où gémit la nature
Sous des monceaux de neige et la haine des Dieux ;
Placez-moi vers l'Atlas, lieux où rien ne respire,
Où le char du soleil semble arrêter son cours :
Je veux toujours chanter, je veux aimer toujours
Phyllis au doux parler, Phyllis au doux sourire.

 

XXIII — À Chloé

Tu m'évites, Chloé : tel court un faon rapide,
Qui sur les monts déserts suit sa mère timide
Et tremble au moindre bruit du feuillage et des vents.
Soit qu'à travers les bois le zéphir s'insinue,
Soit que dans les buissons un faible oiseau remue,
Voilà son cœur qui bat et ses genoux tremblants.
Suis-je un lion d'Afrique, un énorme panthère,
Qui veut te déchirer de son ongle inhumain ?
Il est temps, ô Chloé, de quitter à la fin,
Pour celles d'un amant, les traces d'une mère.

 

XXIV — À Virgile sur la mort de Quintilius Varus

Quel temps pourrait tarir les pleurs
Qu'on doit à cette ombre si chère ?
O Muse aux accords enchanteurs,
Préparez un chant funéraire.
Il est donc vrai: Quintilius,
Orné de toutes les vertus,
Descend dans la nuit infernale !
Quand pourront l'humble probité,
La justice et la vérité,
Trouver un mortel qui l'égale ?
 
Sa mort doit arracher des pleurs à tous les yeux,
A toi surtout, à toi, trop sensible Virgile !
Mais tant de piété n'est, hélas ! qu'inutile ;
Tu demandes en vain Quintilius aux Dieux.
 
Quand tu saurais vaincre la lyre
Qui jadis entraînait les bois,
Ne crois pas que du sombre empire
Une âme revînt à ta voix,
Lorsqu'aux bords où le Styx murmure
Le sceptre odieux de Mercure
Chez les morts vient de la ranger.
Loi fatale ! Mais la constance
Calme seule la violence
Des maux qu'on ne peut corriger.

 

XXV — À Lydie

Déjà l'on ne voit plus la jeunesse enflammée
Assiéger ta maison de ses coups redoublés ;
Tes moments de sommeil ne sont jamais troublés,
Et ta porte est toujours fermée,
Ta porte qui souvent vit ses gonds ébranlés.
 
Déjà tu n'entends plus chanter sous ta fenêtre :
« Hélas ! je veille ici brûlant pour vos appâts,
« Lydie, et le sommeil vous retient dans ses bras. »
Toi-même on te verra peut-être
Bientôt de la nuit sombre affronter les frimas :
 
Vieille, de tes amants sans cesse rebutée,
Et le cœur ulcéré de fureur et d'amour,
Nous te verrons pleurer et courir à ton tour,
Comme une cavale indomptée,
Qui trouble de ses cris les échos d'alentour.
 
Tu te plaindras en vain que la fleur printanière
N'obtienne après un temps que de honteux mépris,
Que la rose nouvelle ait seule quelque prix,
Et que la jeunesse légère
Offre au Dieu de l'hiver les vieux myrtes flétris.

 

XXVI — À Ælius Lamia

Toujours favorisé des nymphes du Permesse,
J'abandonne aux autans la crainte et la tristesse,
Qu'ils noieront dans les mers.
Que m'importe ce roi qui tremble sur le trône,
Et les terreurs de ceux que l'orage environne
Sous les pôles déserts ?
Muse, qui de Pimplée aimes les flots tranquilles,
Cueille pour Lamia, dans ces plaines fertiles,
Des couronnes de fleurs.
Mes chants n'ont point de prix si tu ne les inspires ;
Mais un si beau sujet est digne de nos lyres,
Et digne de tes sœurs.

 

XXVII — À ses amis

Combattre avec les pots destinés aux festins,
C'est imiter le Thrace et ses fureurs cruelles.
Abjurez, mes amis, ces barbares desseins ;
Loin du sage Bacchus les sanglantes querelles !
Quel crime d'allier le glaive et les bons vins !
Apaisez ces clameurs, cette haine coupable,
Et demeurez ici les coudes sur la table.
 
Voulez-vous que d'un vin fumeux
Je trouble à mon tour ma cervelle ?
Que mon voisin nomme la la belle
Qui l'a blessé d'un trait heureux.
 
Tu refuses la confidence ?
Je ne veux boire qu'à ce prix.
Sans doute que l'objet dont ton cœur est épris
Ne te fait point rougir par sa naissance ?
Dépose ton secret dans le cœur d'un ami.
Parle... Mais que dis-tu ? Grands Dieux ! j'en ai frémi.
 
Dans quel abîme de misère
Te voilà plongé, malheureux !
Tu méritais un sort moins rigoureux.
Quel enchanteur, quelle sorcière
Éteindra ces indignes feux ?
Non, le vainqueur de la Chimère
Ne pourrait pas briser tes nœuds.

 

XXVIII — L'ombre d'Archytas

LE VOYAGEUR

Toi qui de la nature as sondé le mystère,
Toi dont l'art sut compter jusqu'au sable des mers
Repoussé par les flots sur ces rochers déserts,
Tu restes sans honneur, faute d'un peu de terre.
Vainement ton génie, élevé jusqu'au ciel,
Parcourut l'univers ; tu n'étais qu'un mortel.
 

L'OMBRE D'ARCHYTAS

Le convive des Dieux, le fameux roi Tantale,
Et Tithon, que l'Aurore enleva dans les cieux,
Et le sage Minos, ce confident des Dieux,
Ont aussi du trépas subi la loi fatale.
Le Tartare a revu, pour la seconde fois,
Ce fils de Panthoüs, fameux par sa sagesse,
Qui sut de la nature interpréter les lois.
Vainement, pour prouver qu'il suivit autrefois
Sous les murs d'Ilion les guerriers de la Grèce,
Il montre un bouclier, témoin de ses exploits :
Vainement prétend-il qu'à la Parque sévère
Il livra seulement sa dépouille grossière.
La nuit nous attend tous, telle est la loi du sort ;
Il faut suivre une fois le sentier de la mort.
L'un aux fureurs de Mars est livré par Mégère ;
L'avare, qui franchit le liquide élément,
Trouve au milieu des flots le trépas qui l'arrête ;
Les jeunes et les vieux au fond du monument,
Pêle-mêle entassés, tombent confusément :
Nul au cruel Pluton ne dérobe sa tête.
L'autan, qui d'Orion suit toujours le déclin,
M'a jeté dans les flots d'un bras inévitable.
Toi, daigne, voyageur, d'une obligeante main,
Sur ma tête et mes os jeter un peu de sable.
Pour prix de ce bienfait, que les vents orageux,
L'Eurus et l'Aquilon, respectant ton navire,
Déchargent leur fureur sur les forêts d'Épire :
Que le Dieu de Tarente et le maître des cieux
Chez toi de toutes parts amènent l'abondance.
Eh quoi ! tu ne crains pas de commettre un forfait,
Dont tu crois que tes fils porteront seuls l'effet ?
Mes vœux appelleront la céleste vengeance ;
Tu subiras ta peine, un pareil sort t'attend :
Rien ne pourra des Dieux obtenir la clémence.
Mais qu'as-tu qui te presse ? il ne faut qu'un instant ;
Daigne trois fois sur moi jeter un peu d'arène,
Et tu fuiras soudain sur la liquide plaine.

 

XXIX — À Iccius

Maintenant Iccius, tu portes donc envie
Aux riches habitants des plaines de Saba ?
Tu prépares la guerre aux rois de Gétulie,
Et le Mède indompté dans tes fers gémira ?
 
Quand verrai-je à ta suite une veuve charmante ?
Quel est le jeune prince à la tresse odorante,
Dont la main exercée à manier le dard
Viendra dans les festins te verser le nectar ?
 
Un torrent peut monter à sa source première,
Puisque, trompant encor l'espoir de tes amis,
Tu viens d'abandonner pour le fer de l'Ibère
L'asile de Socrate et tes livres chéris.

 

XXX — À Vénus

O toi qui de Paphos aimes les bords charmants,
Vénus, reine de Gnide, abandonne Cythère,
Accours dans ces beaux lieux, où t'appelle Glycère,
Où s'élève pour toi ce nuage d'encens.
 
Déesse, amène-nous les Grâces sans ceinture.
Que les nymphes des bois accompagnent tes pas,
Avec l'enfant ailé, l'ingénieux Mercure,
Et la Jeunesse enfin, qui te doit ses appâts.

 

XXXI — À Apollon

Quels vœux fait le poète au temple d'Apollon ?
Que lui demande-t-il, lorsque sa main fidèle
Répand en son honneur une liqueur nouvelle ?
Ce n'est point d'Olbia l'abondante moisson,
L'ivoire de l'Indus, ni les champs de Sicile,
Ni ceux que le Lyris ronge d'un flot tranquille.
 
Qu'ils taillent les rameaux des vignes de Calès,
Ceux à qui la fortune accorda ce domaine :
Qu'un marchand enrichi des trésors d'Orchomène,
Boive en des coupes d'or, qu'il s'enivre à longs traits ;
Qu'il soit chéri des Dieux, et que sa nef heureuse
Quatre ou cinq fois par an fende l'onde orageuse.
 
Pour moi, j'aime la mauve et l'arbre de Pallas.
Accorde à mes souhaits, divin fils de Latone,
L'art de jouir des biens que ta bonté me donne :
Que mon corps, mon esprit ne s'affaiblissent pas :
Écarte loin de moi la pesante vieillesse,
Et que ma lyre enfin me console sans cesse.

 

XXXII — À sa lyre

Si dans mes doux loisirs, sous l'ombrage des bois,
Je t'ai fait en jouant résonner sous mes doigts,
Seconde mes transports, ô ma fidèle lyre ;
Inspire-moi ces chants que l'univers admire
Et qu'Alcée à Lesbos fit entendre autrefois.
 
Sous les drapeaux du Dieu qui préside au carnage,
Ou bravant dans le port et Neptune et l'orage,
Le poète chantait les Muses et Bacchus,
Et les beaux cheveux noirs et les yeux de Lycus,
Et Cypris dans ses bras fixant un Dieu volage.
 
O gloire d'Apollon, dont les accords heureux
Enchantent Jupiter, à la table des Dieux,
Charme de nos ennuis, consolatrice aimable,
Daigne, lyre sacrée, à mes vœux favorables,
Daigne unir à ma voix tes sons mélodieux.

 

XXXIII — Au poète Tibulle

Cher Tibulle, calmez l'excès de vos douleurs,
Oubliez la fierté de l'ingrate Glycère ;
N'allez point dans vos vers soupirer vos malheurs,
S'il est un jeune amant que son cœur vous préfère.
 
La charmante Chloé brûle pour Calaïs,
Calaïs pour Lidé ne fut point invincible ;
Mais les loups ravisseurs s'uniront aux brebis,
Avant qu'un tel amant rende Lidé sensible.
 
Ainsi Vénus se fait un barbare plaisir
D'unir sans choix des cœurs malheureux l'un par l'autre,
Et sous son joug d'airain elle veut asservir
Au cœur le plus volage un cœur tel que le vôtre.
 
Moi-même, quand Doris m'offrait un sort heureux,
Je restai dans les fers de l'ingrate Mirtile,
Plus rebelle cent fois que les flots écumeux
Qui creusent en grondant les bords de la Sicile.

 

XXXIV — Sur l'existence des Dieux

De ces sages trompeurs, dont la voix nous égare,
Je n'ai que trop suivi les conseils imprudents ;
J'offrais aux immortels d'une main trop avare
Un encens sacrilège et d'indignes présents.
 
Je reviens sur mes pas, il faut changer de route :
Jupiter d'un nuage a sillonné les flancs ;
Du ciel le plus serein faisant trembler la voûte,
Je l'ai vu qui pressait ses coursiers foudroyants.
 
La masse de la terre et l'empire de l'onde,
Et le Styx, et des morts le séjour odieux,
Tout en est ébranlé jusqu'aux bornes du monde :
Notre destin fragile est dans la main des Dieux.
 
Le sort peut abaisser une tête insolente,
Illustrer l'homme obscur, ternir un nom fameux,
Et pour porter ailleurs sa faveur inconstante,
Disperser les débris d'un pouvoir orgueilleux.

 

XXXV — À la Fortune

Déesse d'Antium, tu peux de la poussière
Élever un mortel au faîte du bonheur,
Et changer un triomphe en pompe funéraire.
Le pauvre à tes autels s'incline avec ferveur ;
L'avare nautonier qui des mers de Tyrrhène
Sur un frêle vaisseau fend le sein écumant,
T'implore comme reine
Du liquide élément.
 
Tout tremble à ton seul nom, les peuples et les villes,
Le Romain, le barbare et les mères des rois.
Comme le Scythe errant dans ses déserts stériles,
Le tyran sous la pourpre est soumis à tes lois.
Ils tremblent, ces tyrans, de voir contre le trône
Tous les peuples armés, et que ton pied vengeur
N'ébranle la colonne
De leur frêle grandeur.
 
Toujours devant tes pas, d'un front inexorable,
Marche le Sort fatal, qui porte dans ses mains
L'airain, le plomb liquide et le coin formidable,
Armes des durs travaux imposés aux humains.
L'Espérance te suit : la Candeur ingénue
Reste fidèle encor quand, d'un vol inconstant,
De lambeaux revêtue,
Tu sors de chez un grand.
 
Mais au premier revers, nos indignes maîtresses,
Et le faible vulgaire, et les amis trompeurs,
Fuiront après avoir dévoré nos richesses,
Trop lâches pour porter le poids de nos malheurs.
O Fortune ! à César daigne être plus fidèle :
Soumets-lui les Bretons ; seconde ses soldats,
Qui du Parthe rebelle
Font trembler les états.
 
Hélas ! nous rougissons de nos maux, de nos crimes.
O siècle malheureux ! Que d'autels dévastés !
Nos frères, nos amis ont été nos victimes.
Quels Dieux et quels devoirs avons-nous respectés ?
Ah ! forgez de nouveau nos glaives parricides,
Et ne tournons jamais l'acier étincelant
Que contre les Numides
Ou l'Arabe insolent.

 

XXXVI — À Plotius Numide

Que l'encens, que des chants joyeux,
Que le sang d'un agneau timide,
Nous acquittent envers les Dieux :
Du fond de l'Hespérie ils ramènent Numide.
 
Il presse dans ses bras ses plus tendres amis.
A Lamia surtout il prouve sa constance ;
Il n'a point oublié, malgré sa longue absence,
Qu'au même gouverneur tous deux furent soumis,
Qu'ensemble ils ont quitté la robe de l'enfance.
 
Marquons, marquons ce jour parmi les jours heureux.
Que le nectar coule à flots écumeux :
Dansons pour célébrer la fête :
Qu'à longs traits Damalis avale un vin fumeux,
Et que Bassus lui tienne tête.
 
Esclaves, apportez les lauriers et les lys,
Et la rose qui passe avec tant de vitesse.
Tous les regards, remplis d'ivresse,
Se tourneront vers Damalis.
 
Mais elle, que l'amour enchaîne
Auprès de son nouvel amant,
L'embrassera plus ardemment
Que le lierre aux cent mains ne ceint le tronc d'un chêne.

 

XXXVII — À ses amis

Amis, c'est maintenant qu'il faut boire à plein verre ;
Venez, c'est aujourd'hui qu'il faut frapper la terre
D'un pied libre et joyeux.
Enfin, voici le jour des festins délectables ;
Venez, ô mes amis, venez orner vos tables
Et les autels des Dieux.
 
Hélas ! nous n'osions pas, avant ces jours prospères,
Tirer le vieux Cécube enfermé par nos pères
Au fond de nos celliers,
Tandis qu'osant nourrir une espérance folle,
Une reine guidait contre le Capitole
Ses infâmes guerriers.
 
Ivre d'ambition, ivre de sa fortune,
Quand de ses mille nefs elle en vit à peine une
Échapper aux flambeaux,
Son aveugle fureur à l'instant fut calmée,
Et ce trop juste effroi dissipa la fumée
Du nectar de Pharos.
 
Tel que le daim pressé par le chasseur rapide,
Ou comme on voit l'oiseau fuir d'une aile timide
Devant le roi des airs,
Ce monstre déploya ses voiles fugitives,
Aussitôt que César s'élança de nos rives
Pour lui donner des fers.
 
De son sexe pourtant abjurant la faiblesse,
A l'aspect de la mort, qui l'assiégeait sans cesse,
Elle n'a pas tremblé ;
Et sans daigner chercher quelque honteux asile,
Elle a voulu périr, d'un visage tranquille,
Sur son trône ébranlé.
 
Cette mort résolue élevant son courage,
Ses mains contre elle-même excitèrent la rage
D'un livide serpent ;
Et son orgueil ravit au vainqueur qu'elle brave
L'honneur de la traîner, comme une vile esclave,
A son char triomphant.

 

XXXVIII — À son jeune esclave

Je hais du Perse barbare
Le faste trop orgueilleux,
Et ces couronnes qu'on pare
D'un tilleul voluptueux.
Ne va point chercher des roses,
Après la saison écloses ;
Cueille le myrte amoureux :
Lorsque je bois sous la treille
Et que tu tiens la bouteille,
Le myrte sied à tous deux.

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