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Œuvres complètes d'Horace, traduites par Henri Patin (1860)

ODES IV

 
I·À Vénus II·À Jule Antoine III·À Melpomène IV·Éloge de Drusus V·À Auguste VI·À Apollon VII·À Torquatus VIII·À C. Marcius Censorinus IX·À M. Lollius X·À Ligurinus XI·À Phyllis XII·À Virgile XIII·À Lycé XIV·À Auguste XV·Éloge d'Auguste

 

I — À Vénus

Cette guerre, depuis longtemps interrompue, tu la ranimes donc Vénus, tu m'y rappelles ? Grâce ! grâce ! je t'en conjure.
 
Je ne suis plus ce que j'étais sous le règne de la bonne Cinare. Cesse, mère cruelle des trop charmants amours, quand vient mon dixième lustre, de vouloir soumettre à ton aimable frein ma bouche devenue rebelle.
 
Va t'en, plutôt, où te rappellent les caressantes prières des jeunes gens. C'est dans la maison de Paulus, c'est chez Maximus, qu'il te faut maintenant, volant sur l'aile éclatante de tes cygnes, aller joyeusement t'ébattre, si tu veux trouver un cœur digne de tes feux.
 
Il est noble, il est beau, il a des paroles pour les accusés tremblants, il possède mille agréments divers ; tu auras en lui un soldat qui portera loin ton drapeau.
 
Si vainqueur d'un rival, il rit de ses riches dons méprisés, alors, près des lacs du mont Albain, sous un plafond de citronnier, il t'élèvera une statue de marbre. Là tu boiras à longs traits la fumée de l'encens ; là te charmeront les sons mêlés et de la lyre, et de la flûte phrygienne, et des rustiques pipeaux. Là, deux fois le jour, de jeunes garçons, de tendres vierges, célébrant ta divinité, feront, comme les Saliens, résonner par trois fois la terre sous leurs beaux pieds blancs.
 
Pour moi, plus d'objet qui m'attire, plus de confiant espoir en une affection mutuelle ; je ne dispute plus le prix du vin, je ne me couronne plus de fleurs nouvelles.
 
Mais pourquoi donc, hélas ! pourquoi, Ligurinus, ces rares pleurs qui coulent le long de mes joues ? Pourquoi ce silence qui, rompant la parole commencée, arrête ma langue autrefois si facile. Dans les songes de la nuit je crois te saisir ; je suis ta course légère sur le gazon du champ de Mars, et jusque dans ces flots du Tibre qui roulent autour de toi, cruel enfant.

 

II — À Jule Antoine

Entrer en lutte avec Pindare, c'est vouloir, ô Jule, se hasarder sur des ailes de cire, comme le fils de Dédale, et donner son nom à une autre mer.
 
Le fleuve qui descend des montagnes et qu'ont enflé les pluies se répand hors de ses rives; ainsi bouillonne et coule à flots immenses le profond et impétueux Pindare.
 
Il mérite le laurier d'Apollon, soit que dans ses audacieux dithyrambes il roule des mots nouveaux et s'emporte en des vers libres de toute loi ; soit qu'il chante les dieux, les rois rois enfants des dieux, par qui périrent d'une juste mort les insolents Centaures, par qui tomba la flamme de la redoutable Chimère ; soit qu'il dise les vainqueurs que la palme d'Élide renvoie égaux aux dieux, qu'il célèbre l'athlète, le coursier lui-même et les honore d'un prix au-dessus de cent statues ; soit enfin qu'il pleure avec l'épouse désolée le jeune époux qu'elle a perdu, et que sa force, son courage, ses mœurs dignes de l'âge d'or, il les élève jusqu'aux astres, il les dérobe aux ténèbres de Pluton.
 
Une aile puissante, Antoine, soutient dans les airs le cygne thébain quand il s'élance vers la région des nuages. Mais moi, comme l'abeille de Matine, qui se fatigue à recueillir les sucs embaumés du thym, je ne compose pas sans peine, sous les ombrages, près des eaux du frais Tibur, mes vers laborieux.
 
C'est à toi de chanter avant nous, sur un ton plus fort, ô poète, le vainqueur qui bientôt, le front orné d'un juste laurier, traînera vers les saints degrés du Capitole les fiers Sicambres ; ce prince, le plus grand, le meilleur, que les destins, les dieux propices aient accordé à la terre, dont on ne verra jamais l'égal, bien que le monde semble retourner au métal des premiers âges. C'est à toi de chanter cette allégresse, ces jeux, cette paix du barreau qui dans l'heureuse Rome vont célébrer le retour, enfin obtenu, d'Auguste.
 
Ma voix, alors, si elle mérite d'être entendue, osera se joindre à la tienne et chanter : Ô beau, ô fortuné jour, qui nous ramènes César !
 
Mais déjà il s'avance, et nous crions, et la ville entière répète : Triomphe ! triomphe ! Chacun, dans sa reconnaissance, offre aux dieux son encens.
 
Dix taureaux, autant de génisses, voilà ce que tu leur dois; moi, c'est une jeune victime, à peine séparée de sa mère, qui croît dans les pâturages, pour acquitter mes vœux. Ses cornes naissantes se courbent comme le croissant de la lune à son troisième lever, et la tache blanche de son front brille de l'éclat de la neige sur son poil fauve.

 

III — À Melpomène

Celui, ô Melpomène, que tu auras une fois, au moment de sa naissance, regardé d'un œil favorable, n'ira point chercher la gloire aux jeux isthmiques dans les luttes du pugilat ; d'ardents coursiers, attelés à son char de victoire ne le ramèneront point dans sa maison décoré des prix que donne la Grèce ; la guerre ne le couronnera point du laurier de Délos, pour avoir, général habile, humilié l'orgueil des rois, elle ne le montrera pas triomphant au Capitole. Mais Tibur, avec ces eaux qui baignent son sol fertile, avec l'épais ombrage de ses bois, fera de lui un glorieux disciple de la poésie éolienne.
 
Les enfants de Rome, cette reine des villes, daignent m'admettre dans l'aimable chœur des poètes. Déjà je sens moins les morsures de l'envie. Ô toi qui tires de si doux sons de ton luth d'or, vierge du mont Piérus, toi qui pourrais donner aux muets poissons la voix du cygne, c'est à ta faveur que je dois d'être montré du doigt par les passants comme le maître de la lyre latine; par toi je vis, par toi je plais, s'il est vrai que je plaise.

 

IV — Éloge de Drusus

Tel que l'oiseau qui porte la foudre, et à qui le roi des dieux a permis de régner sur les habitants de l'air, l'ayant trouvé fidèle à la servir, quand fut ravi le blond Ganymède : un jour, l'ardeur de l'âge, le sentiment de sa force native le précipitèrent hors de son aire, inhabile encore à ses nobles travaux, et les haleines du printemps, dissipant les tempêtes de l'hiver, lui apprirent, tout étonné, tout tremblant, à tenter d'une aile novice un essor inconnu : bientôt un généreux emportement lui fit attaquer les bergeries ; l'amour de la proie, du combat, l'engagea dans des luttes acharnées contre les serpents furieux : ou tel que le lionceau, quittant à peine la mamelle de sa mère, et que des pâturages où elle se plaît, aperçoit la biche destinée à périr la première sous sa jeune dent ; tel, sous les Alpes rhétiennes, où il portait la guerre, apparut Drusus aux Vindéliciens, ces peuples qui s'arment de la hache des Amazones; depuis quel temps ? pourquoi ? je ne l'ai point cherché, et nul ne peut tout savoir. Mais enfin leurs hordes longtemps et partout victorieuses, vaincues à leur tour par les conseils du jeune général, apprirent ce que pouvaient un génie, un cœur, formés sous d'heureux auspices, dans un divin sanctuaire, ce qu'avait su faire des jeunes Nérons la tendresse paternelle d'Auguste.
 
Les braves engendrent des braves; dans les taureaux, dans les coursiers se retrouve la vertu de leurs pères ; de l'aigle belliqueux ne peut naître la timide colombe : mais ce que la nature a mis en nous, l'éducation le développe; une bonne culture ajoute à la force de l'âme. Où manque cette discipline, des fautes honteuses déshonorent un heureux naturel.
 
Ô Rome, que ne dois-tu pas aux Nérons ? J'en atteste les eaux du Métaure, et Asdrubal vaincu, et ce beau jour, le premier qui ait éclairci les ténèbres du Latium par un rayon de gloire, depuis le temps où courait, à travers les villes de l'Italie, ce terrible Africain, comme la flamme dans une forêt de pins, comme l'Eurus sur les ondes de Sicile.
 
Désormais de plus heureux travaux ne cessèrent de rétablir la puissance de Rome, et, dans nos temples ravagés par l'invasion impie des Carthaginois, nos dieux se relevèrent.
 
Tant qu'enfin s'écria le perfide Annibal : « Que faisons-nous, cerfs débiles, proie des loups ravisseurs, en allant chercher nous-mêmes ceux que notre triomphe serait d'éviter et de fuir.
 
« Ce peuple qui, s'échappant des flammes d'Ilion, osa transporter ses dieux, ses fils, ses vieillards mourants, à travers les flots de la mer de Toscane, dans les villes de l'Ausonie, comme le chêne émondé par le dur tranchant de la hache aux noires forêts de l'Algide, au milieu de ses pertes, de ses désastres, reçoit du fer lui-même plus de force et de vie.
 
« Non, l'hydre ne renaissait pas plus redoutable sous les coups redoublés d'Hercule qui sentait avec douleur s'échapper sa victoire; non, jamais les champs de la Colchide, les champs de Thèbes, la ville d'Échion, n'enfantèrent de plus prodigieux adversaire.
 
« Plongez-le dans les eaux, il en ressort plus brillant ; luttez contre lui, il terrassera glorieusement son vainqueur, et rendra des combats, joyeux entretien des épouses.
 
« Carthage, hélas ! ne recevra plus de moi d'orgueilleux messages. C'en est fait, c'en est fait de mes espérances, de la fortune de mon nom, depuis qu'Asdrubal n'est plus !
 
« Rien désormais d'impossible aux mains des Claudius ; Jupiter leur prête sa puissance, et de prudentes pensées les dirigent à travers tous les périls de la guerre. »

 

V — À Auguste

Toi que firent naître les dieux favorables pour veiller, avant tous, à la garde du peuple de Romulus, depuis trop longtemps déjà tu restes éloigné de nous. Tu avais promis un prompt retour au vénérable conseil des pères de l'État ; consens enfin à revenir.
 
Rends, ô prince excellent, à ta patrie sa lumière : quand, semblable au printemps, ton visage éclaire les regards du peuple, les jours s'écoulent plus riants, le soleil brille d'un plus doux éclat.
 
La mère séparée de son fils qu'arrête le Notus, que retient son souffle ennemi, depuis plus d'une année, au delà de la mer de Carpathos, loin de ses doux foyers, l'appelle par ses vœux, par ses présages, par ses prières, sans jamais détourner les yeux du rivage : ainsi, percée comme d'un trait par ton fidèle souvenir, par le regret de ton absence, la patrie te redemande, ô César !
 
Grâce à toi, le bœuf peut sans crainte errer dans les campagnes ; les campagnes, Cérès les nourrit, avec la bienfaisante déesse de l'abondance. Sur les mers pacifiées volent de toutes parts les nautoniers. La crainte seule du soupçon alarme la bonne foi. La pureté du foyer domestique n'est plus souillée par l'adultère ; les mœurs, d'accord avec la loi, en ont effacé la tache, ont triomphé du crime. La mère retrouve avec orgueil sur le visage de son fils les traits de son époux. A la faute s'attache la peine, son inséparable compagne.
 
Qui pourrait craindre le Parthe, le Scythe errant sur ses bords glacés, les monstrueux enfants de la sauvage Germanie, quand vit encore César ? Qui songerait à la guerre contre la farouche Ibérie ?
 
Chacun est sûr d'achever le jour sur sa colline et dans son champ. L'heureux cultivateur, après avoir marié la vigne à l'ormeau, s'en revient le soir fêter son vin et ne finit point son repas sans y inviter ta divinité. Il élève vers toi ses prières, il t'offre le vin répandu de sa coupe, il te confond avec ses Lares, comme à ses demi-dieux mêle Castor et le grand Hercule la Grèce reconnaissante.
 
Oh ! puisses-tu, prince excellent, faire jouir longtemps l'Hespérie de pareils jours. Nous le disons, à jeun, le jour à peine commencé; nous le répétons, échauffés par le vin, quand le soleil se cache sous l'Océan.

 

VI — À Apollon

Dieu dont les traits punirent sur les enfants de Niobé la langue orgueilleuse de leur mère, réprimèrent l'attentat impie de Tityus, arrêtèrent dans sa victoire Achille presque maître de Troie, Achille plus fort que tous, mais inégal adversaire d'un dieu, bien que fils de la marine Thétis il ébranlât de sa lance terrible les tours de Dardanus.
 
Comme un pin entamé par la hache, comme un cyprès abattu par le vent, il couvrit au loin la terre de son corps et laissa tomber sa tête dans la poussière de Troie.
 
Il ne se fût point enfermé dans les flancs de ce cheval perfide, que les Troyens crurent consacré à Minerve, pour surprendre ce peuple fatalement abandonné aux jeux d'une fête, pour pénétrer furtivement dans le palais de Priam tout rempli de joyeux chœurs de danse.
 
Vainqueur à la clarté du ciel, il eût, plein de fureur, hélas ! livré aux flammes des Grecs les enfants encore bégayants, ou même encore cachés dans le sein de leurs mères; si, vaincu par tes prières, par celles de l'aimable Vénus, le père des dieux n'eût accordé à la fortune d'Énée des murs construits sous de plus heureux auspices.
 
Toi qui enseignes l'art de la lyre à l'harmonieuse Thalie, qui baignes tes cheveux dans le Xanthe, dont la statue parée de jeunesse décore les rues des villes, Phébus, sauve l'honneur de la muse daunienne.
 
Phébus m'a donné le souffle poétique, il m'a donné l'art des vers et le renom d'un poète. Nobles vierges, et vous jeunes fils d'illustres pères, sur qui veille la déesse dont l'arc atteint dans leur fuite rapide les lynx et les cerfs, observez bien les temps du mètre lesbien et le signal de ma main, tandis que vous chanterez, selon les rites antiques, le fils de Latone et ce divin flambeau de la nuit dont la croissante lumière favorise la moisson et précipite le cours des mois. Quelque jour, après ton hymen, tu diras, ô jeune fille : « Quand le renouvellement du siècle ramena la fête sacrée, j'étais de celles qui redisaient les chants aimés des dieux enseignés par le poète Horace. »

 

VII — À Torquatus

Les neiges ont fui; le gazon reparaît dans les champs, et sur les arbres le feuillage dont leur tête se couronne; la terre prend un nouvel aspect ; les fleuves baissent et se renferment dans leurs rives ; les Grâces toutes nues osent mener avec les Nymphes des chœurs de danse.
 
Rien d'immortel ici-bas; n'y compte point, Torquatus : c'est la leçon que te donne l'année et cette heure rapide qui emporte les plus beaux jours.
 
Le froid s'adoucit au souffle du zéphyr; sur le printemps passe l'été, qui doit disparaître à son tour, quand le fertile automne nous versera ses fruits. Après viendra la saison paresseuse.
 
La lune, il est vrai, répare chaque mois ses pertes ; mais nous, une fois précipités où nous ont précédés et notre père Énée, et Tullus, et le riche Ancus, nous ne sommes plus que de la poussière, une ombre vaine.
 
Qui sait si à la somme actuelle de nos jours les dieux voudront ajouter un lendemain ? On sauve des mains avides d'un héritier ce que l'on accorde libéralement à ses désirs.
 
Quand une fois tu te seras couché dans le tombeau, quand Minos t'aura soumis à son orgueilleux tribunal, ni ta noblesse, Torquatus, ni ton éloquence, ni ta vertu, ne te rendront à la vie.
 
Diane ne peut arracher aux ténèbres infernales le chaste Hippolyte, et Thésée n'a pas le pouvoir de faire tomber les chaînes des mains de son cher Pirithoüs.

 

VIII — À C. Marcius Censorinus

Des coupes, des vases d'airain, des trépieds, récompenses de la valeur chez les Grecs, tous ces objets précieux je les offrirais libéralement aux compagnons de ma jeunesse, Censorinus, et tu n'emporterais point les moindres de mes présents, si j'étais riche des chefs-d'œuvre de l'art qu'ont produits ou Parrhasius ou Scopas, habiles à exprimer, l'un sur la pierre, l'autre au moyen de liquides couleurs, tantôt un homme, tantôt un dieu. Mais telle n'est point ma fortune, et pour toi, ces fantaisies de luxe ne manquent ni à tes biens ni à tes désirs.
 
Les vers te plaisent, je puis t'offrir des vers et assigner un prix à mon présent. Non, ces marbres, avec leurs inscriptions décernées par l'État, où revivent, où respirent, après la mort, les bons généraux ; non, Annibal en fuite et rejeté hors de l'Italie malgré tant de menaces; Carthage elle-même, l'impie Carthage, livrée aux flammes, tout cela parle moins haut pour la gloire du grand homme qui rapporta de l'Afrique son glorieux surnom, que les Muses de Calabre. Quand les livres se taisent sur le mérite de tes actes, tu n'as plus de récompense. Que serait aujourd'hui le fils d'Ilia et de Mars, si un envieux silence nous eût dérobé ce que nous devons à Romulus ? C'est le génie, la langue, le crédit puissant des poètes qui a sauvé des flots du Styx Éacus, qui consacre son glorieux séjour dans les îles Fortunées. L'homme digne de la gloire, la Muse ne veut pas qu'il meure; la Muse le fait possesseur du ciel. Voilà pourquoi, à la table désirée de Jupiter, s'assied l'infatigable Hercule ; pourquoi l'astre brillant des Tyndarides arrache du fond de l'abîme les vaisseaux battus de la tempête; pourquoi le dieu à la verte couronne de pampres, Bacchus, exauce les vœux des mortels.

 

IX — À M. Lollius

Ne crois pas qu'elles doivent mourir les paroles qu'Horace, l'enfant de ces lieux où retentit l'Aufide, a, par un art nouveau, associées aux accords de sa lyre.
 
Si la première place est pour le chantre de Méonie, pour Homère, elles ne restent point dans l'ombre les Muses de Pindare, du poète de Céos, du menaçant Alcée, du puissant Stésichore. Ces vers où s'est joué Anacréon, le temps ne les a point effacés; elles vivent encore ces ardeurs amoureuses dont l'Éolienne a fait confidence à sa lyre.
 
Plus d'une femme a comme Hélène, cette fille de Sparte, brûlé d'amour pour l'élégante chevelure d'un adultère, admirant l'or semé sur ses vêtements, sa parure royale, l'éclat de son cortège. Teucer n'est pas le premier qui, maniant un arc de Crète, ait fait au loin voler les traits. D'autres villes qu'Illion ont été ravagées par la guerre; d'autres guerriers que le grand Idoménée, que Sthénélus ont livré des combats dignes d'être redits par les Muses. Quand le fier Hector, l'ardent Déiphobe s'exposaient généreusement aux coups pour les chastes épouses et les enfants des Troyens, ils n'étaient pas les premiers. Avant Agamemnon ont vécu bien des chefs valeureux, mais pour eux point de larmes, de souvenir; sur tous pèse une longue nuit, parce qu'il leur a manqué les louanges d'un chantre inspiré.
 
De la lâcheté qui s'ensevelit dans le silence diffère peu la vertu qui reste cachée.
 
Pour moi, Lollius, mes écrits ne tairont point injurieusement ton nom; je ne laisserai point tant de travaux devenir la proie de l'envieux oubli.
 
Tu as un esprit qui peut tout comprendre et tout conduire, que les faveurs ou les inconstances du sort n'écartent point de sa voie, sévère pour les fraudes de la cupidité, indifférent pour les richesses qui attirent tout à elles, toujours agissant en consul, non pas dans la seule année de son consulat, mais quand, fidèle à la justice, il met dans ses arrêts l'honnête avant l'utile, qu'il repousse, d'un front dédaigneux, les dons corrupteurs des coupables, qu'à travers la foule ennemie qui voudrait l'arrêter il fait briller ses armes victorieuses.
 
Avoir beaucoup n'est pas un titre pour mériter le nom d'heureux. Ce nom appartient à l'homme qui sait user sagement des dons que lui envoient les dieux, qui accepte et supporte la dure pauvreté, qui redoute plus que la mort la honte du mal. Celui-là, pour la cause de ses amis, pour celle de sa patrie, ne craindra pas de périr.

 

X — À Ligurinus

Enfant toujours cruel, toujours fier des dons de Vénus, quand sur ton orgueilleuse beauté aura jeté comme un voile inattendu le duvet de la jeunesse, quand cette chevelure qui maintenant flotte sur tes épaules sera tombée sous les ciseaux, quand à la place de ces fraîches couleurs qui l'emportent sur la pourpre des roses, Ligurinus, changé tout à coup, n'offrira qu'une face hérissée ; alors, hélas ! tu t'écrieras souvent, te voyant dans le miroir si différent de toi-même : « En quel état est aujourd'hui mon cœur ! Pourquoi n'était-il pas ainsi dans mon enfance, ou pourquoi avec ces sentiments, ne retrouvé-je point le pur éclat de mes joues ? »

 

XI — À Phyllis

J'ai dans mon cellier un baril de vin d'Albe qui passe déjà neuf années; dans mon jardin, Phyllis, de l'ache pour tresser des couronnes, et grande abondance de ce lierre, dont tu aimes à relever l'éclat de tes cheveux. L'argent brille dans ma demeure; l'autel, ceint religieusement de verveine, attend le sang d'un agneau dont on va l'arroser. La maison s'empresse; çà et là courent confusément et garçons et servantes; la flamme elle-même s'agite, élevant vers le ciel de noirs tourbillons, une colonne de fumée.
 
Tu veux savoir à quelle fête je t'invite ? Tu passeras avec moi les ides, qui partagent le mois d'avril, le mois de Vénus, celui où elle sortit de l'onde. Je dois solenniser, révérer, au delà peut-être de mon jour natal, un jour duquel Mécène date le commencement de ces années que je voudrais si nombreuses.
 
Télèphe, ce noble jeune homme, objet de tes indiscrètes poursuites, une autre te l'a ravi d'avance, une fille riche autant que folâtre, qui le retient dans ses agréables fers.
 
Elles doivent trembler au souvenir de Phaéton consumé par la foudre les espérances trop avides ; et Pégase, qui ne put souffrir sur ses flancs ailés son cavalier mortel, Bellérophon, t'enseigne par un exemple redoutable à rechercher seulement ce qui convient à ta fortune, et, t'interdisant sévèrement d'espérer au delà des bornes raisonnables, à fuir qui n'est point ton égal.
 
Toi donc, par qui vont finir mes amours, car nulle femme après toi n'échauffera mon cœur, apprends des accords que répète ta voix aimée : tes chants ôteront quelque chose à nos noirs soucis.

 

XII — À Virgile

Déjà les compagnons du printemps, ces vents de Thrace qui calment la mer, soufflent dans les voiles des vaisseaux ; les prés ne se hérissent plus de frimas ; les fleuves ne roulent plus à grand bruit, grossis par les neiges de l'hiver.
 
Voici le temps où construit son nid l'oiseau malheureux qui toujours pleure Itys ; Progné, l'éternel opprobre de la maison de Cécrops, par la vengeance barbare qu'elle a tirée des attentats d'un tyran.
 
Sur le tendre gazon, les gardiens des grasses brebis accompagnent de leur flûte leurs chansons, charmant le dieu à qui plaisent les troupeaux et les noires collines de l'Arcadie.
 
La saison de la soif est venue, ô Virgile. Mais si tu veux boire à longs traits le vin de Calès, il faut, client aimé de nos nobles princes, que tu l'achètes par un peu de nard. Une coquille de nard fera sortir des celliers de Sulpicius le baril, tout plein d'espérances, et si puissant contre les amers soucis. Si cette joie te tente, viens vite avec le prix que je te demande. Car je n'ai pas envie de t'abreuver pour rien dans mes coupes, comme ferait le riche maître d'une abondante maison. Point de retard donc, de sordide calcul ; songeant à la flamme du noir bûcher, mêle à tes graves pensées un peu de folie. La folie a ses moments où elle semble douce.

 

XIII — À Lycé

Les dieux, Lycé, m'ont entendu ; ils m'ont entendu, Lycé : tu deviens vieille et pourtant tu veux paraître belle ; tu n'as pas honte de folâtrer et de boire, et, ta coupe vidée, de chanter, d'une voix tremblante, l'amour paresseux à te répondre.
 
L'amour ! il habite les belles joues de Chia, encore dans sa verte jeunesse, et si habile à toucher les cordes de la lyre.
 
Le dieu superbe vole par-dessus les chênes desséchés, et il se retire de toi, dont les dents sont ternies, le front déshonoré par des rides, la tête parsemée de neige.
 
Ni la pourpre tissue dans l'île de Cos, ni l'éclat des pierreries ne te rendront ces jours qu'a emportés sur ses ailes le temps rapide, qu'il a consignés dans les fastes.
 
Hélas ! où sont allées ta beauté, digne de Vénus, les couleurs de ton visage, la grâce de tes mouvements ? Que te reste-t-il de celle, oui, de celle qui semblait respirer l'amour, qui m'avait ravi à moi-même, heureuse de succéder à Cinare et d'entendre célébrer comme elle ses charmes et ses talents ?
 
Mais à Cinare les destins n'ont accordé que de courtes années, et ils ont fait vivre Lycé à l'égal de la corneille décrépite, pour que la brûlante jeunesse pût la voir encore, non sans en rire aux éclats, se consumer, se réduire en cendres, comme le reste d'un flambeau.

 

XIV — À Auguste

Comment pourront le sénat, les Romains, égalant tes honneurs à tes vertus, en éterniser le souvenir dans leurs inscriptions et dans leurs fastes, ô prince, le plus grand de ceux qui règnent sur cette terre habitable, éclairée par le soleil ?
 
Longtemps étrangers aux lois de Rome, les Vindéliciens ont récemment appris à connaître quelle était dans les combats ta puissance.
 
Avec tes soldats a marché Drusus, et les Genaunes, cette race sans pitié, les agiles Breuniens, les forteresses placées par eux au sommet effrayant des Alpes, il les a renversés, précipités, faisant payer cher nos désastres.
 
Bientôt l'aîné des Nérons a livré une terrible bataille, et, sous d'heureux auspices, dissipé les redoutables peuples de la Rhétie.
 
On a pu voir, dans les luttes de Mars, de quels terribles assauts il fatiguait ces poitrines dévouées à la mort des hommes libres. Peu différent de l'Auster tourmentant les ondes indomptables, quand le chœur des Pléiades déchire les nuages, il harcelait sans relâche les escadrons ennemis, et lançait son coursier frémissant dans le feu même du combat.
 
Comme roule ses eaux l'Aufide, ce fleuve aux cornes de taureau qui borne le royaume de l'Apulien Daunus, quand, emporté par sa furie, il menace d'une affreuse ruine les champs et leurs cultures; ainsi Claudius, d'un choc puissant, a rompu les bataillons couverts de fer des barbares, et, moisonnant leurs premiers et leurs derniers rangs, en a jonché la terre, victoire qui n'a point coûté de perte, et que lui ont value tes soldats, tes conseils et tes dieux.
 
Car c'est le jour même où, autrefois, Alexandrie suppliante t'ouvrit son port, te reçut dans son palais abandonné, que la fortune prospère t'a rendu, après trois lustres, les mêmes succès guerriers ; que, comblant tes désirs, elle a ajouté une gloire nouvelle à toutes les victoires remportées sous tes auspices.
 
Maintenant le Cantabre, jusqu'alors indompté, le Mède et l'Indien, le Scythe vagabond admirent ta puissance, ô génie protecteur et visible de l'Italie, de Rome, cette maîtresse du monde. Le Nil qui dérobe aux hommes l'origine de ses eaux, l'Ister et le Tigre rapide, l'Océan peuplé de tant de monstres dont les vagues battent en mugissant les côtes lointaines de la Bretagne, la tere du Gaulois ardent à braver la mort, celle de l'Ibère infatigable au combat reçoivent tes ordres souverains; les Sicambres, amis du carnage, ont déposé les armes et te révèrent.

 

XV — Éloge d'Auguste

J'allais parler de combats et de sièges. Phébus, par le son bruyant de sa lyre, m'arrêta, et je me gardai de risquer sur la mer Tyrrhénienne mon frêle esquif.
 
Ton age, ô César, a fait renaître dans nos champs les fertiles moissons, a rendu au dieu de notre Capitole les enseignes dont se sont dépouillés les orgueilleux monuments des Parthes ; il a fermé ce temple de Janus, désormais inutile, que Romulus avait consacré à la guerre; il a mis un frein à la license égarée hors des voies de l'ordre et de la justice ; il a chassé le crime, et rappelé les maximes antiques, qui ont fait la grandeur du nom latin, la force de l'Italie, par qui notre gloire et notre puissance se sont étendues depuis les bords où se couche le soleil, jusqu'à ceux où il se lève.
 
Sous la garde de César nous n'avons rien à craindre pour notre repos des fureurs de la guerre civile, des violences de la guerre étrangère, de cette colère qui forge les épées et pousse à la discorde les villes malheureuses. Non, les lois de César ne seront point enfreintes par les peuples qui boivent l'eau profonde du Danube, par les Gètes, par les Sères, par les Perses perfides, par ceux qu'a vus naître le Tanaïs.
 
Et nous, aux jours de fête, et aux jours qui les précèdent, parmi les dons du joyeux Bacchus, invoquant d'abord, avec nos enfants et nos femmes, selon les rites sacrés, les dieux immortels, nous chanterons comme nos pères, dans des vers mêlés aux sons de la flûte lydienne, ces chefs illustres qui ont accompli les pénibles devoirs de la vertu, et Troie, et Anchise, et la postérité de la bienfaisante Vénus.

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