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Œuvres lyriques d'Horace, traduites par le comte de Séguier (1883)

ÉPODES

 
I·À Mécène II·Alfius III·À Mécène IV·Contre Védius Rufus V·Contre la magicienne Canidie VI·Contre un poète méchant VII·Aux Romains VIII·(***) IX·À Mécène X·Contre Mévius XI·À Pettius XII·(***) XIII·À ses amis XIV·À Mécène XV·À Néère XVI·Au peuple romain XVII·Horace et Canidie

 

I — À Mécène

Donc, cher Mécène, au péril de la vie
De César défendant les jours,
Tu vas lancer tes nefs de Liburnie
Sur des vaisseaux armés de tours.
Moi, que ferai-je, heureux quand tu subsistes,
Infortuné si tu péris ?
A des loisirs qui sans toi seront tristes
Dois-je résigner mes esprits,
Ou partager ces fatigues sublimes,
Comme il sied aux gens valeureux ?
Partageons-les : sur les alpestres cimes,
Dans le Caucase rigoureux,
Aux derniers bords de la Bretagne humide
Je te suivrai d'un cœur dispos.
Demandes-tu comment, faible et timide,
Je puis seconder tes travaux ?
A tes côtés, j'aurai moins d'amertumes,
Car l'absence accroît nos tourments:
Ainsi l'oiseau pour ses petits sans plumes
Redoute plus les noirs serpents,
Lorsqu'il s'éloigne, et pourtant sa présence
Ne leur serait d'aucun soutien.
Dans tous les camps, oui, je suivrai ta chance,
Afin de mieux devenir tien,
Et non pour voir ma terre plus fournie
De socs puissants, de vifs taureaux,
Voir de Calabre aux bois de Lucanie,
Avant l’été, fuir mes troupeaux,
Puis ma villa se dérouler splendide
Jusqu'aux murs du fils de Circé.
Assez de biens me valut ton égide:
Je ne veux point d'or amassé
Pour l'enfouir, comme un Chrémès sordide,
Ou le perdre en jeune insensé.

 

II — Alfius

Heureux qui, loin du tracas des affaires,
Et semblable aux premiers humains,
Guide ses bœufs dans le champ de ses pères
Sans s'occuper de tristes gains !
Comme soldat nul clairon ne l'appelle ;
Il nargue les flots courroucés,
Fuit le Forum et la porte rebelle
Des citoyens trop haut placés.
Tantôt il joint des ceps encor fragiles
Au tronc propice des ormeaux,
Et, serpe en main, court aux branches stériles
Pour enter de meilleurs rameaux;
Tantôt il voit, dans le vallon sonore.
Errer ses troupeaux mugissants;
Ou de miel pur il remplit mainte amphore.
Ou tond ses agneaux innocents.
Lorsque l'automne élève son trophée
De fruits brillants et savoureux.
Que bien il cueille et la poire greffée
Et le raisin aux tons pourpreux !
Ô bon Priape, ô Sylvain tutélaire,
Il vous les offre avec raison.
Veut-il l'abri d'un chêne séculaire,
Préfère-t-il l'épais gazon:
L'eau qui bondit entre ses hautes rives,
Le chant des oiseaux bocagers,
Quelque fontaine à cadences plaintives,
Tout l’invite aux sommes légers.
Dès que l'hiver ramène pluie et neiges,
Au gré de Jupiter tonnant,
Lâchant sa meute, il pousse dans ses pièges.
Le sanglier entreprenant.
D'amples réseaux sur de fines baguettes
Lui livrent le tourde glouton;
En ses lacets tombent, douces conquêtes,
Grue errante et lièvre poltron.
Parmi ces jeux qu'enfante la campagne,
Amour, qui n'oublierait tes maux ?
Que, d'autre part, une chaste compagne
Soigne le toit et les marmots,
Comme en Sabine ou dans l'actif ménage
De l'Apulien basané ;
Que du bois sec s'allume au foyer sage,
Quand l'époux rentre surmené ;
Du troupeau gras, au parc qui le recueille,
Qu'elle vide les seins lestés,
Au dolion puise un vin d'une feuille,
Serve des mets inachetés :
Non, de Lucrin les parfaits coquillages,
Ni le turbot, ni le sarget,
Si d'Orient jusques à nos rivages
Une tempête en dirigeait ;
Non, la pintade et le coq d'Ionie
Ne seraient pas plus succulents
Pour mon palais - que l'olive fournie
Par le plus riche de mes plants,
L'oseille née en terres prairiales,
La mauve d'un effet si doux,
L'agneau qu'on tue aux fêtes Terminales,
Ou le chevreau sauvé des loups.
Et quel plaisir de compter, de sa table,
Les moutons repus et lassés,
De voir ses bœufs revenir à l'étable,
Cou languissant, socs renversés,
Puis ses valets, capital respectable,
Autour du feu rire pressés ! »
 
Ainsi parlait, rêvant terre et provendes,
L'aimable usurier Alfius :
Il fit rentrer aux Ides ses écus....
Pour les replacer aux Calendes.

 

III — À Mécène

Si jamais fils, d'une exécrable main,
Étrangla sa mère chenue,
Qu'il goûte à l'ail pire que la ciguë.
Ô moissonneurs ! boyaux d'airain !
De quel toxique en moi court l'incendie ?
Dans cette herbe a-t-on infusé
Du sang d'aspic ? Est-ce un plat composé
A mon insu par Canidie ?
Lorsque Médée eut distingué Jason
Parmi l'élite de ses hommes,
Pour qu'il domptât les taureaux ignivomes
Elle l'oignit de ce poison.
Ainsi des dons offerts à sa rivale,
En fuyant sur un monstre ailé.
Jamais le sol en Pouille n'a brûlé
Sous plus de chaleur sidérale.
Jamais l'enduit d'un trop jaloux présent
N'embrasa mieux l'actif Hercule.
Si, quelque jour, pareil mets te stimule,
Je veux, ô Mécène plaisant,
Qu'à tes baisers ta belle s'opposant
Jusqu'au bord du lit se recule.

 

IV — Contre Védius Rufus

Autant l'agneau par instinct hait les loups,
Autant pour toi j'ai de la haine,
Esclave au dos stigmatisé de coups,
Aux pieds encor noirs de la chaîne.
Dans ta richesse en vain tu t’es carré;
L'or ne refait pas les personnes.
Lorsque tu vas sur le chemin sacré,
Traînant ta robe de six aunes,
N'entends-tu pas le concert de haros
Que soulève un dégoût suprême?
« Lui, qu'ont cinglé les fouets triumviraux
Jusqu'à lasser le crieur même,
A dans Falerne aujourd'hui mille arpents,
Galope en la voie Appienne,
Siège au milieu des chevaliers pimpants,
Malgré notre loi Roscienne.
Pourquoi lancer tant de braves rameurs
De nefs à proue éperonnée,
Contre un ramas de serfs et d'écumeurs,
Quand il est, lui, tribun d'armée? »

 

V — Contre la magicienne Canidie

« Au nom des dieux qui de là-haut gouvernent
Et la terre et le genre humain,
Que veut ce bruit, ce groupe féminin
Dont les visages me consternent ?
Toi, par tes fils, si Lucine jamais
A béni tes couches réelles,
Par cette pourpre, égide des plus frêles,
Par Jovis vengeur des méfaits,
Dis, pourquoi donc ces prunelles malignes
De marâtre, d'ours acculé ? »
L'enfant, qui tremble, ayant ainsi parlé,
Est dépouillé de ses insignes.
Ce tendre corps, pris dans un guet-apens,
Eût amolli le cœur d’un Thrace.
Mais Canidie, à la hideuse face,
Au front garni de courts serpents,
Fait préparer un bûcher d’ifs funèbres,
De caprifiguiers sépulcraux,
Mêle a des œufs teints du sang des crapauds
L'aile d'un oiseau de ténèbres,
Joint aux poisons que produit Iolcos,
A ceux dont l'Ibérie abonde,
Des os repris à quelque chienne immonde:
Tout s'embrase aux feux de Colchos.
Sagane alors, robe troussée, hispide
Comme un oursin, un sanglier
Serré de près, dans le logis entier
De l'Averne épand l'eau fétide.
Véia, toujours insensible aux remords,
Maniant une lourde bêche,
En haletant creusait la terre fraîche
Où plongé, le menton dehors,
Tel qu'un nageur dont la tête s'élève
Au-dessus du large courant,
L'enfant doit voir, trois fois le jour durant,
Des mets servis fuir comme en rêve.
Et quand la mort enfin clora ses yeux
Las de l'horrible duperie,
Son foie aride et sa moelle appauvrie
Formeront un philtre amoureux.
Naples l'oisive et les cités voisines
Disent qu'à ce drame inouï
Vint Folia, rebut de Rimini,
Un monstre d'ardeurs masculines,
Qui ferait choir, d'un mot thessalien,
Lune et soleil sur notre sphère.
Que ne dit point Canidie, en l'affaire,
Tout en rongeant son pouce ancien,
D'une dent noire ? « Ô vous, de mes pratiques
Les témoins sans cesse discrets,
Diane, ô Nuit, qui de voiles secrets
Entourez les œuvres magiques,
Venez, venez, sur des toits ennemis
Tournez votre ire et vos justices !
Aux bois affreux alors qu'avec délices
Gisent les fauves endormis,
De leurs abois que les chiens de Subure
Suivent l'adultère vieillard,
Hué par tous, et parfumé d'un nard
De ma recette la plus sûre.
Qu’arrive-t-il ? Est-ce là ce poison
Dont Médée, à l'âme infernale,
Tua de loin sa superbe rivale,
La fille du puissant Créon,
Lorsque sa robe, amer présent de noces,
A de tels sucs prit feu soudain ?
Pourtant point d'herbe échappée à ma main,
Nul arbre aux lieux les plus atroces.
Il dort tranquille en un lit saturé
Du morne oubli de toute amante.
Ah ! ah ! il marche... une autre, plus savante,
De mes chaînes l'a délivré.
Ô fier Varus, quels pleurs tu vas répandre
Par des philtres inusités
Tu reviendras, et tes sens hébétés,
Point de Marse pour te les rendre.
J'apprêterai, ma main te versera
Une mixture souveraine,
Et sous les mers je veux que le ciel traîne,
Tandis qu'aux cieux la terre ira,
Si ton cœur sec ne se brûle à mes flammes
Comme ce bitume à ces feux ! »
Ici l'enfant n'adressa plus de vœux
Ni de soupirs à ces infâmes;
Mais, concentrant son âme dans sa voix,
Il éclate en nouveau Thyeste:
« Tous vos poisons d'un Destin manifeste
Ne changeront jamais les lois.
Je vous maudis, femmes ! par nulle hostie
L'anathème n'est détourné.
Oui, dans ce bouge à peine exterminé,
J'accourrai, nocturne Furie.
Mon ombre ira vous déchirer les chairs,
C'est le privilège des Mânes;
Je m'assiérai sur vos gorges profanes,
L'horreur tiendra vos yeux ouverts.
De rue en rue, ô vieilles avilies,
Le peuple vous lapidera.
Sur vos lambeaux le loup s"acharnera,
Avec l'oiseau des Esquilies ;
Et ma famille, en ses mélancolies,
De ce spectacle jouira ! »

 

VI — Contre un poète méchant

Pourquoi vexer des étrangers paisibles,
Chien sans vigueur devant les loups?
Tourne vers moi tes menaces risibles,
Mords, si tu peux, qui rend les coups.
Tel qu'un molosse, un laconien fauve,
Solide appui des pastoureaux,
L'oreille droite, et par monts et par vaux
J'atteins la bête qui se sauve.
Toi, quand tes cris ont effrayé les champs,
A l'os qu'on t'offre tu t'arrêtes.
Garde toi bien, car j'ai des cornes prêtes
A transpercer tous les méchants,
Comme l’a fait le gendre de Lycambe
Ou l'ennemi de Bupalus.
Si quelque chien me déchire la jambe,
Crois-tu que je geigne en perclus?

 

VII — Aux Romains

Où courez-vous, cruels ? Pourquoi ces glaives,
Hier en paix dans vos logis?
De sang romain les champs, l'onde et les grèves
Ne sont-ils pas assez rougis?
Vous n'allez point de Carthage abhorrée
Escalader les fières tours,
Mener captif, sur la route Sacrée,
Le Breton rebelle toujours,
Mais faire voir, le Parthe le souhaite,
Rome-expirant grâce aux Latins.
Jamais entre eux de rage si complète
Loups ni lions ne sont atteints.
Qui vous entraîne? Une aveugle démence?
L'enfer? Vos crimes? Répondez !
Chacun se tait, la stupeur est immense,
Tous pâlissent intimidés.
N'en doutons plus: pour un noir fratricide
Le Sort accable les Romains.
Oui, de Rémus l'assassinat perfide
Au meurtre encor pousse nos mains !

 

VIII — ***

(épode non traduite)

 

IX — À Mécène

Dans ton palais, ô fortuné Mécène,
Pour célébrer César vainqueur,
Quand boirons-nous —Zeus l'approuve sans peine—
Ce cécube, ton vin d'honneur,
Aux doux accords des flûtes de Pergame
S'unissant au luth dorien ?
Ainsi fut fait, quand, ses vaisseaux en flamme,
S'enfuit le chef neptunien
Qui menaçait nos bras des mêmes chaînes
Qu'il ôtait aux serfs ses amis.
Las ! des Romains, ô fabuleuses scènes !
D’une femme soldats soumis,
Osent porter et le casque et l'épée,
Sous des castrats à flasques peaux,
Et le soleil près d'un vil conopée
Voit se balancer nos drapeaux !
N'y tenant plus, lors deux mille Galates
Tournent bride, acclamant César,
Et sur la gauche aussitôt les pirates
Cherchent un port à tout hasard.
Io triomphe ! où sont tes chars d'ivoire,
Tes bœufs que le joug respecta ?
Io triomphe ! Octave a plus de gloire
Que le dompteur de Jugurtha,
Que l'Africain qui fonda sur Carthage
Sa renommée et son tombeau.
Notre ennemi, vaincu sur toute plage,
Change sa pourpre en noir manteau.
Peut-être il court vers la Crète aux cent villes,
Jouet constant des vents amers ;
Peut-être il fuit jusqu'aux Syrtes mobiles,
Ou bien sans but il bat les mers.
Apporte, enfant, de plus larges calices,
Puis du Chio, puis du Lesbos;
Pour que l'ivresse ait des suites propices,
Verse le cécube à propos.
Je veux, Bacchus, noyer dans tes délices
Mes alarmes pour mon héros.

 

X — Contre Mévius

Ce vaisseau part sous un mauvais auspice:
Il porte l'infect Mévius.
Ne manque pas, Auster, de courir sus;
Contre ses flancs que l'eau bondisse.
Que l’Eurus noir sur les flots turbulents
Disperse rames et cordages.
Que le Nord souffle ainsi qu'aux monts sauvages
Lorsqu'il brise les pins tremblants.
Que, dans la nuit, nul astre ne le guide,
Au coucher du triste Orion.
Qu'il ait le sort qu'aux vainqueurs d'Ilion
Réserva le gouffre liquide,
Quand des remparts Pallas tourna ses coups
Sur Ajax et sa nef impie.
Oh! par tes gens la fatigue subie!
Et toi, quel deuil, quels regards fous,
Quels vœux abjects, quelle prière vaine
A Jupiter n'écoutant rien,
Dès qu'aux récifs du golfe ionien
Le Notus rompra ta carène !
Va, que ton corps, d'une roche pendant,
Offre aux plongeons de grasses fêtes,
Et, de ma main, je dévoue aux Tempêtes
Une brebis, un bouc ardent.

 

XI — À Pettius

Ô Pettius, je ne saurais écrire,
Comme autrefois, des chansons:
Vénus me tient sous son empire,
 
Et me choisit, entre ses nourrissons,
Pour aimer avec délire
Jeunes beautés, tendres garçons.
 
Trois fois décembre a séché la verdure,
Depuis que j'ai secoué
D'Inachia la chaîne impure.
 
Combien je fus dans Rome bafoué !
J'en porte encor la blessure.
A quel repentir m'ont voué
 
Tous ces banquets où langueur et silence,
Et soupirs jetés soudain
Trahissaient mon ardeur intense !
 
« Du pauvre, eh quoi ! le dévouement certain
Contre l'or est sans puissance ? »
Disais-je, en pleurant sur ton sein,
 
Lorsque Bacchus, troublant ma faible tête
De sa plus chaude liqueur,
Déliait ma langue indiscrète.
 
Oh ! si jamais bouillonne dans mon cœur
Un courroux que rien n'arrête,
Et si je livre au vent moqueur
 
Mes désespoirs, remèdes inutiles,
Honteux de pareils rivaux,
Je finis ces luttes stériles ! »
 
Après l’éclat de sentiments si beaux:
« Rejoins tes lares tranquilles »,
M’ordonnais-tu. Moi, d'un pied faux,
 
Je retournais à la porte mutine,
Au seuil rude où j'ai meurtri
Mon flanc en vain et ma poitrine.
 
Or, maintenant, Lycisque est mon chéri,
Lui, de grâce féminine
Plus qu'aucune femme pétri.
 
Ce doux lien, il n'est rien qui le tranche,
Ni les conseils généreux,
Ni la censure la plus franche:
 
Rien, si ce n'est un autre amour fougueux
Pour quelque vierge à peau blanche,
Ou quelque éphèbe aux longs cheveux.

 

XII — ***

(épode non traduite)

 

XIII — À ses amis

Une horride tempête a contracté les cieux ;
Jupiter fond en pluie, en neige.
Sous Éole et son cortège
Mugissent mer et bois. Amis, saisissons mieux
L'occasion au vol rapide:
Tant que la jambe est valide,
Et qu'il nous sied, laissons la tristesse aux fronts vieux.
Toi, sers le vin qui de Torquate,
Mon consul, porte la date.
Quant au reste, il suffit. Peut-être un dieu clément
Sauvera la chose romaine.
Ores du nard d' Achémène
Il faut nous parfumer, puis dissiper gaîment,
Aux sons des cordes mercuriques,
Nos soucis patriotiques.
Du Centaure au Phtien c'était l'enseignement:
« Héros fait pour mainte prouesse,
Fils mortel d'une déesse,
Un sol nouveau t'attend, le sol d'Assaracus
Qu'arrose le faible Scamandre,
Où Simoïs court s'épandre.»
Mais la Parque te nie, en ses fils exigus,
Le retour: ta mère azurée,
N’en charmera ta contrée.
Là, soulage du moins les chagrins trop aigus
Par du vin, des chansons fleuries
Et d’aimables causeries.

 

XIV — À Mécène

Ami, c'est me tuer que demander sans cesse
Pourquoi la molle oisiveté
M'ôte le souvenir de ma vieille promesse,
Comme si du morne Léthé
J'avais tari d'un coup les eaux soporifiques.
Un dieu seul, un dieu m'interdit
D'amener à sa fin le recueil d’ïambiques
Dont ma verve te répondit.
Ainsi brûla, dit-on, pour le Samien Bathylle
L'amoureux vieillard de Téos,
Qui sur sa lyre courbe, en un mètre facile,
Soupira tant de doux propos.
Las ! tu brûles toi-même, et plus bel incendie
N'embrasa Troie antiquement.
Bénis donc ton destin: moi,j'aime une affranchie,
Phryné, qui veut plus d'un amant.

 

XV — À Néère

C'était la nuit, Phébé dans le clair firmament
Brillait parmi de moindres sphères,
Quand toi, près d'offenser les dieux, témoins sévères,
Tu répétais ce mien serment,
Tes bras mieux enlacés à ma taille fébrile
Qu'un lierre au tronc d'un svelte ormeau:
« Tant qu'Orion, l'hiver, sera rude au vaisseau,
A tout bercail le loup hostile,
Tant que Phébus au vent livrera ses cheveux,
Notre flamme vivra sincère. »
Que tu vas regretter mon courage, ô Néère,
Car si Flaccus est vigoureux,
Il ne souffrira point qu'un autre use ta couche
Et courra se pourvoir ailleurs.
Ne crois pas que je cède à tes charmes trompeurs,
Quelque peine enfin qui te touche.
Et toi, qui que tu sois, émule préféré
Qui marche fier de sa déveine,
Tu peux avoir troupeaux et maint vaste domaine ;
Par le Pactole être doré
D'Euphorbe-Pythagore en familier t'inscrire,
Vaincre en prestance Niréus,
Bientôt tu pleureras tes amours disparus:
Lors ce sera mon tour de rire.

 

XVI — Au peuple romain

Encore un âge en proie aux guerres domestiques,
Rome périt sous sa propre grandeur.
Elle qui triompha de ses voisins Marsiques,
Des noirs Toscans de Porsenne en fureur,
Du Capouan jaloux, de Spartaque aux mains rudes,
De l’Allobroge aisément factieux;
Elle qui des Germains chassa les multitudes,
Même Annibal, effroi de nos aïeux,
C'est nous qui la perdons, race impie et maudite,
Et son beau sol aux fauves reviendra.
Un barbare vainqueur, dans la ville détruite,
Sur notre cendre au galop passera,
Et du grand Quirinus — ô comble des outrages ! —
Hors du sépulcre il balaiera les os.
Vous cherchez tous peut-être, ou du moins les plus sages,
Par quel moyen échapper à ces maux ?
Eh bien, que nul avis sur le mien ne prévale:
Comme jadis, en leur mâle courroux,
Les Phocéens ont fui, laissant terre natale,
Temples et dieux aux sangliers, aux loups,
Cheminons au hasard, voguons, n'importe l'onde,
Au gré des vents ou du Sud ou du Nord.
Est-ce bien ? A-t-on mieux ? L'augure nous seconde:
Pourquoi tarder de s'élancer à bord ?
Mais faisons ce serment: « Quand sur l'algue marine
Les rocs tiendront, rentrer sera permis.
Vers Rome l'on pourra cingler, lorsque Matine
Sous l'Eridan noiera son front soumis ;
Lorsque de l'Apennin la mer joindra le faîte;
Qu'un rut terrible, un monstrueux élan
Au tigre accouplera la biche satisfaite ;
Quand la colombe aimera le milan;
Que les bœufs aux lions se mêleront d'eux-mêmes ;
Que boucs sans poils boiront aux flots salés. »
Après ce pacte fier, cent autres anathèmes
Qui du retour nous confisquent les clés,
Partons tous, ou du moins les meilleurs; que le reste,
Troupeau sans âme, erre aux foyers maudits.
Vous les hommes de cœur, trêve au chagrin funeste,
Et loin du Tibre allez, colons hardis !
L’Océan nous attend. Gagnons ces champs superbes,
Ces champs féconds, ces îles de bonheur
Où Cérès sans effort étale mille gerbes,
Où le cep croît, vierge du sécateur,
Où l’arbre de Pallas prodigue son olive,
Où du figuier le fruit est incessant,
Où le chêne distille un doux miel, où l'eau vive
Du haut des monts tombe en retentissant.
La chèvre, dans ces lieux, s'offre à qui doit la traire ;
Le bon troupeau revient, les seins bénis.
L'ours du soir au bercail n'accourt pas sanguinaire ;
Point de couleuvre exhaussant d'affreux nids.
Quels miracles encor ! Là, d'une pluie intense,
Jamais l'Eurus n'abîme les moissons.
Jamais un sol brûlant n'y flétrit la semence:
Le roi des cieux sourit aux deux saisons.
Là n'abordèrent point la nef des Argonautes,
Ni de Colchos l'impudique beauté.
Les marins de Sidon n'ont pas fouillé ces côtes,
Pas même Ulysse et son camp ballotté.
Nulle contagion, aucun astre contraire
Ne sévit là sur le bétail serein.
Jupiter aux cœurs purs réserva cette terre,
Quand l'âge d'or fit place aux jours d'airain.
L'âge de fer suivit, mais l'on peut s'y soustraire
En pratiquant mon avis souverain.

 

XVII — Horace et Canidie

HORACE

Enfin je cède à ton art tout-puissant !
Canidia, par la reine des Ombres,
Par la déesse au terrible croissant,
Par ces recueils dont les formules sombres
Peuvent du ciel détacher les flambeaux,
Grâce, fais trêve à ta nénie hostile ;
Tourne au rebours, tourne tes prompts fuseaux.
Jadis Télèphe émut le cœur d'Achille,
Et cependant ses Mysiens jaloux
Avaient sur lui fait pleuvoir mille coups.
Lorsque Priam, sortant de ses murailles,
Eut embrassé les genoux du Phtien,
Hector reçut d'honnêtes funérailles,
Lui qu'attendaient le vautour et le chien.
D'un crin soyeux les compagnons d'Ulysse
Virent leurs corps délivrés par Circé :
Langue et cerveau reprirent leur office ;
Sur chaque front revint l'honneur passé.
Assez longtemps j'éprouvai ta vengeance,
Ô toi l'amour des marins, des commis.
De mes os secs émigre la jouvence ;
Ma peau se ride, et mes traits sont blêmis.
Sous tes odeurs blanchit ma chevelure,
Aucun repos n'allège mon tourment ;
Le jour paraît, la nuit retombe obscure,
Et mon sein reste oppressé constamment.
Va, je crois tout ; mon orgueil capitule:
Un chant samnite évoque les chagrins,
La tête éclate aux marsiques refrains.
Es-tu contente ? Ô terre ! ô mer ! Je brûle
Comme jamais sur son bûcher Hercule,
Ni dans l'Etna la lave en rugissant
N'ont pu brûler. Sorcière de Colchide,
Tu n'éteindras ton creuset menaçant
Qu'aux vents moqueurs n'ait fui ma cendre aride.
Quand cessera ma misère ? A quel prix ?
Parle : aussitôt je subirai ma peine
Fidèlement. Faut-il une centaine
De taureaux noirs ? Veux-tu des chants fleuris
Et mensongers ? Ô chaste et sainte femme !
Étoile d'or, tu vas briller aux cieux.
Les fiers Gémeaux, qu'aigrit un vers infâme
Contre leur sœur, au chantre audacieux
Qui s'amenda rendirent ses deux yeux.
Imite-les: rends-moi mon âme entière !
Car tu le peux, toi, noble par le sort,
Vieille inhabile à ravir la poussière
Des indigents, neuf jours après leur mort.
Ton bras est pur, ta douceur recherchée;
Tes fils sont tiens: oui, c'est ton propre sang
Que la matrone enlève au drap récent,
Quand hors du lit tu cours, leste accouchée.

CANIDIE

De vains appels pourquoi me fatiguer ?
Les rocs battus en hiver par l'orage
Seraient moins sourds aux clameurs d'un naufrage.
Impunément, quoi ! tu pourrais narguer,
Trahir Cotys, le rit de l'amour libre,
Et, juge altier du magique Esquilin,
Faire mon nom odieux sur le Tibre ?
Que servirait d'acheter mon venin
Au Pélignum, d'en doubler la puissance ?
La mort sera moins prompte que tes vœux :
Tu traîneras une lourde existence,
Pour voir tes maux sans cesse plus affreux.
C'est le repos qu'invoquent et Tantale,
Dupe éternel d'un attrayant festin,
Et Prométhée, au vautour intestin,
Et ce Sisyphe à sa roche fatale
Toujours poussant: Souffrez ! dit le Destin.
Dans les dégoûts de ta vie anémique,
Toi, tu voudras t'élancer d'un sommet,
Ou te percer d'une lame norique,
Ou, mais en vain, t'étrangler au lacet.
Moi, cavalier enfourchant ton épaule,
Le monde alors me semblera petit.
Quoi ! sous ma main la cire marche et vit, —
Tu le sais bien, argus ! — du divin pôle
Je peux, d'un cri, jeter la lune à bas,
Je puis des morts animer les reliques,
Élaborer mille agents cupidiques,
Et sur toi seul mon art n'agirait pas !

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