Nos troubles datant de Métellus consul,
Les causes, le cours de luttes inhumaines,
Puis les jeux du Sort, l'âpre calcul
De chefs ligués, et les armes romaines
Couvertes d’un sang encore inexpié,
Voilà tes récits, matière périlleuse
S'il en fut, car tu foules du pié
Des feux que cache une cendre trompeuse.
Que ta Melpomène, à sévère maintien,
Quitte un peu la scène : une fois notre histoire
Achevée, en cothurne athénien,
Tu reprendras ton labeur plein de gloire,
Fameux Pollion, rempart des accusés,
Toi dans ses conseils, flambeau de la Curie,
Front certain d'honneurs éternisés
Pour ton triomphe au sol de Dalmatie.
Déjà par tes mains le clairon menaçant
M'étourdit ; déjà les trompettes s’irritent,
Et déjà, mille éclairs jaillissant,
Chevaux fuyards et cavaliers palpitent.
Je crois déjà voir, fulminant à l’envi,
Les grands chefs souillés d'une noble poussière:
Ici-bas tout me semble asservi,
Tout, excepté de Caton l'âme altière.
Junon et ces dieux du Maure adulateurs,
D'Afrique exilés sans fournir la riposte,
Ont voulu des fils de ses vainqueurs
À Jugurtha faire un large holocauste.
Grâce au sang latin fumé plus grassement.
Quel champ ne dit pas, en ses tombeaux tout tièdes,
Nos fureurs, et cet effondrement
De l’Hespérie entendu chez les Mèdes ?
Quels gouffres, quel fleuve ont pu vous ignorer,
Lugubres combats ? Par nos veines ouvertes
Quelle mer ne se vit colorer ?
Où sont les bords non témoins de nos pertes
Muse, assez d'orgueil !... Ne va pas, loin des Jeux,
Toucher de Céos la lyre élégiaque:
Avec moi, d'un plectre plus joyeux,
Cherche des sons sous l'antre Cypriaque.
L'argent caché dans une terre avare
Est sans couleur, et tu hais ce métal,
Salluste, à moins qu'un usage loyal
De clartés ne le pare.
Proculéius dans les siècles vivra:
Il eut un cœur paternel pour ses frères.
La Renommée en ses ailes prospères
Toujours le portera.
D'accumuler dompte la male rage,
Tu vaudras plus qu'en régnant de Gadès
Aux bords du Nil, que si tu possédais
L'une et l'autre Carthage.
Tout hydropique est fol en s'abreuvant;
Sa soif renaît: pour qu'elle se dissipe,
Il faut chasser la lymphe, aqueux principe,
D'où ce blême vivant.
Phraate en vain reconquiert son beau trône
Contrairement au peuple, la Vertu
Du nom d’heureux ne l’a point revêtu.
Elle défend qu'on prône
Des titres faux, et n'accorde un haut rang,
Un sceptre sûr, un laurier frais sans cesse
Qu'au seul mortel qui voit toute richesse
D'un air indifférent.
Au sein des revers souviens-toi de nourrir
Une humeur égale, et jamais ne déploie
Dans la chance une insolente joie,
Ô Dellius, puisque tu dois mourir,
Soit que le malheur sans répit te consterne,
Soit qu'aux jours chômés pressant un doux gazon,
À l'écart, de sa vieille prison
Ta main ravie épanche un gai falerne.
Vois-tu ce pin svelte et ce blanc peuplier
Aimant à confondre, en voûte hospitalière,
Leurs rameaux ? Vois-tu cette onde claire
Précipitant son cours irrégulier ?
Que là, par tes soins, vins et parfums s'apprêtent,
Mêlés à la rose, éphémère ornement,
Tant que l'âge et l'horizon clément
Et les fils noirs des trois Sœurs le permettent.
Il faudra quitter ces beaux parcs, ce palais,
Et cette villa que baigne l'or du Tibre:
Tout quitter ! un héritier sans fibre
S'emparera de ces trésors complets.
Riche, et descendant de l'Inachus antique,
Ou bien, sur la paille, infime rejeton
D'indigents, il n'importe: Pluton
Te rangera sous son sceptre horrifique.
Chacun va poussé vers le même séjour,
Le nom de chacun tourne en l'urne fatale:
Qu'on l'appelle, et la barque infernale
Mène à l'exil qui n'a point de retour.
Ne rougis point d'aimer ta chambrière,
Ô Xanthias le Phocéen ! Jadis
Le fier Achille adora Briséis,
Sa blanche prisonnière.
De même Ajax, le fils de Télamon
Chérit la belle et captive Tecmesse.
Dans son triomphe, une vierge en détresse
Conquit Agamemnon,
Quand le Phtien des barbares cohortes
Fut le vainqueur, et que le noir trépas
Du grand Nestor, enfin, aux Grecs si las
De Troie ouvrit les portes.
Peux-tu savoir si la blonde Phyllis
N'est pas d'un père à t'illustrer toi-même ?
Certes, elle pleure un ancien diadème
Et ses dieux pleins d'oublis.
Ne crois donc pas que celle qui t'enflamme
Soit d'un sang vil: fidèle à son amant,
Rebelle au lucre, elle n'a pu vraiment
Naître de mère infâme.
Je loue à froid ses épaules, son air.
Sa jambe ronde; épargne-toi la peine
De soupçonner un galant que refrène
Son quarantième hiver.
Elle ne saurait plier encor la tête
Au joug, ni traîner à deux un soc nouveau;
Son doux flanc ne pourrait du taureau
Subir le poids, en l'amoureuse fête.
Ta tendre génisse aux terrains verdoyants
Borne ses désirs, tantôt d'un flot limpide
S'abreuvant, tantôt au bord humide
D'une saulaie, avec les veaux bruyants
Courant folâtrer. Du raisin âpre encore
Détourne ta soif: l'Automne, au riche écrin,
Avant peu, d'un éclat purpurin
Teindra pour toi cette grappe incolore.
Tu l'auras bientôt, car le Temps fuit jaloux
Et la dotera des beaux ans qu'il t'enlève
Dans son cours; bientôt, pleine de sève,
Ta Lalagé va briguer un époux, —
Éclipsant dès lors Pholoé, la rigide,
Et même Chloris, dont l'épaule reluit
Comme l'astre argenté de la nuit
Sur l'Océan, ou ce Gygès de Gnide,
Qui, par ses traits fins, ses beaux cheveux épars,
Placé dans un chœur de vierges sous les armes,
Tromperait, au sujet de ses charmes,
Des étrangers les plus malins regards.
Septime, ô toi qui me suivrais demain
Jusqu'à Gadès, chez le Cantabre adverse,
Aux Syrtes même, où l'onde bouleverse
Le rivage africain,
Puisse Tibur, aux argiennes murailles,
À ma vieillesse assurer un abri,
Être mon terme, à moi qu'ont tant meurtri
Mers, voyages, batailles !
Si les Destins m'en tiennent éloigné,
Du Galésus cher au mouton pellite
Gagnant les bords, j'atteins le sol d'élite
Où Phalante a régné.
Il me sourit, ce petit coin de terre,
Par-dessus tous: son miel vaut en tout point
Celui d'Hymette; à Vénafre il n'est point
D'huile plus salutaire.
Le ciel propice y donne un printemps long,
Un tiède hiver; puis Bacchus, l'œil paterne,
Y met des ceps, dignes du mont Falerne,
Sur les coteaux d'Aulon.
Voilà le site et l'heureuse retraite
Faits pour nous deux: là, d'un pleur mérité,
Tu flatteras, sous son marbre écarté,
Ton ami le poète.
Du temps de Brutus, ô toi qui, dans le rang,
Souvent comme moi crus ton heure accomplie,
Quel miracle en Quirite te rend
Aux dieux romains, au ciel d'Italie,
Varus, le premier compagnon de mes jeux,
Avec qui j'aimai tant de fois à m'ébattre,
Coupe en main, des fleurs dans nos cheveux
Tout reluisants de syrien malobathre ?
Phllippe aux fuyards nous vit mêlés tous deux,
Ma parmule, hélas ! restant dans la carrière,
Quand périt la vertu, quand nos preux
Eurent mordu la honteuse poussière.
Mais le prompt Mercure, au sein des bataillons,
M'enleva, tremblant, parmi d'épais nuages:
Toi, la mer, rouverte à tes sillons,
Te ramena vers de nouveaux carnages.
Donc à Jupiter offre les mets prescrits
Et, sous mon laurier retraitant ta vaillance
Lasse enfin des combats entrepris,
N'épargne pas ces vins de circonstance.
Remplis vivement d'un massique oublieux
Ton ciboire entier ; des profonds coquillages
Verse à flots les onguents précieux.
Garçons, qui court nous tresser les feuillages
De l'ache ou du myrte ? A qui, de par Vénus,
Le sceptre du boire ? Oh ! moi, tout comme un Thrace
Je prétends me livrer à Bacchus
Retour d'ami fait délirer Horace.
Barine, si quelque peine notoire
Eût châtié tes trahisons un jour,
Si l'on voyait t'affliger en retour
Ongle terne ou dent noire,
Je te croirais. Mais dès que les serments
Ont engagé cette tête frivole,
Plus belle encor, tu t'avances, l'idole
D'innombrables amants.
Il te convient d'insulter de ta mère
La cendre éteinte, et les soleils discrets
Des nuits, le ciel entier, les dieux soustraits
À la faux mortifère.
Vénus sourit elle-même à ce jeu,
Et l'humble nymphe, avec l'Amour hostile
Qui sur un grès sanglant toujours affile
Ses sagettes de feu.
Pour toi grandit toute notre jeunesse,
Tribut nouveau, quand les premiers en droit,
Jurant de fuir, s'éternisent au toit
D'une indigne maîtresse.
Mères, barbons, pour leurs taureaux chéris
Te craignent tous, et les vierges qu'enchaîne
Un nœud récent tremblent que ton haleine
N'emporte leurs maris.
La pluie à torrents n'inonde point sans cesse
Les champs attristés; sur le flot caspien
Neptunus à toute heure n'abaisse
Un noir trident; au sol arménien
Douze mois complets, ne gît la glace morne,
Ami Valgius, et toujours l'ouragan
N'étreint pas les branchages de l'orne
Et les vieux troncs des chênes du Gargan.
Ta chanson dolente, hélas ! pleure sans trêve
Mystès, qui n'est plus: l'objet de ton amour
Te poursuit, lorsque Vesper se lève,
Quand Vesper fuit devant les traits du Jour.
Pourtant ce vieillard, qui vécut trois grands âges
Cessa de pleurer le précoce trépas
D'Antiloque, et sœurs et parents sages
Incessamment ne regrettèrent pas
L'éphèbe Troïle. Or que soient étouffées
Tes vaines clameurs: tous deux chantons plutôt
Les nouveaux césariens trophées,
Le Niphatès, sous son neigeux manteau,
Le fleuve du Mède augmentant nos frontières
Et roulant, moins fier, ses larges tourbillons;
Célébrons que d'étroites barrières
Parquent au loin les cavaliers gélons.
Licinius, laisse la haute mer
Pour vivre heureux; ne va pas davantage
Trop côtoyer, de peur du gouffre amer,
Le perfide rivage.
Qui sait chérir la médiocrité
Ce grand trésor, fuit autant la poussière
D'un vil réduit que le seuil tourmenté
D'une maison princière.
Le cèdre énorme appelle mieux le choc
Des aquilons; les hautes tours s'abattent
Plus bruyamment, et contre l'altier roc
Les coups de foudre éclatent.
Cœur bien trempé sourit dans les revers,
Comme, aux beaux jours, il craint un anathème
Du sort. Le ciel ramène les hivers
Rigoureux, et de même
Les chasse. Va, si ce soir le chagrin,
Demain la joie. Apollon souvent presse
Son luth muet, car son arc souverain
N'est pas tendu sans cesse.
Montre-toi donc, quand l'orage a grondé,
Alerte et fort ; mais sagement replie,
Lorsque les vents trop bien t'ont secondé,
Ta voile enorgueillie.
Ce que trame encor le Cantabre, ou le Scythe
Séparé de nous par le golfe Adrien,
Hirpinus, ne t'en émeus en rien,
Et d'une vie, à l'étroite limite,
Ne prends pas un soin fiévreux. L'âge vermeil
À jamais s'éloigne avec la beauté douce;
Sèchement la vieillesse repousse
Les amours gais, le facile sommeil.
Des fleurs du printemps l'éclat bientôt s'efface;
La lune brillante, en ses divers trajets,
Diminue. Or d'éternels projets
Pourquoi lasser ton âme inefficace ?
Ne vaut-il pas mieux, mollement inclinés
Sous ce haut platane ou ce pinier sonore,
Banqueter, quand c'est possible encore,
Nos fronts blanchis de roses couronnés,
Parfumés de nard ? Evius fait la guerre
Aux soucis rongeurs. Vite donc quel enfant
Plongera ce falerne échauffant
Dans le cristal de cette onde légère ?
Qui vole arracher de son coin amoureux
Lydé ? Sur-le-champ, allons, qu'elle apparaisse,
Lyre en main, et qu'une simple tresse,
Ainsi qu'à Sparte, assemble ses cheveux.
N'exige point sur ma lyre futile
Les longs combats des fougueux Numantins,
L'âpre Annibal, les flots de la Sicile
D'un sang punique autrefois teints,
L'affreux Lapithe, ou l'ivresse d'Hylée,
Ni ces géants que mit à la raison
Le bras d'Hercule, et par qui fut troublée
La resplendissante maison
Du vieux Saturne: ah ! mieux que moi, Mécène,
En prosateur tu diras de César
Les faits guerriers, puis ces rois pleins de haine,
Traînés, captifs, devant son char.
Je dois chanter ta belle Licymnie,
Sa douce voix, ses regards éclatants;
J'honorerai la tendresse infinie
Qu'elle apporte en vos feux constants.
Un charme vif de sa jeunesse émane,
Soit qu'elle danse, ou lutte de gaîtés,
Ou que son bras, le jour saint de Diane,
S'unisse aux bras d'autres beautés.
Eh ! voudrais-tu pour tout l'or d'Achémène,
Pour la Phrygie et ses trésors fameux,
Pour tous les biens de la terre africaine,
Céder un seul de ses cheveux
Quand l'adorée à tes lèvres brûlantes
Livre son col, ou faiblement s'abstient,
Heureuse alors que tu la violentes...
Si sa bouche ne te prévient ?
Quiconque, arbre vil, dans un néfaste jour,
D'abord te planta, puis, d'une main impure,
T'entretint pour la déconfiture
Des gens à naître et l'opprobre du bourg,
Celui-là sans doute avait d'un parricide
L'affreux précédent: son couteau vers minuit
Égorgea le voyageur conduit
À ses foyers; des poisons de Colchide,
De tout ce qu'on peut rêver de menaçant,
Usa ce bourreau qui te mit sur ma terre,
Bois fatal, dont la chute naguère
Surprit le chef de ton maître innocent !
Les dangers à fuir ne sont jamais par l'homme
Assez bien prévus: le punique nocher
Du Bosphore a peur, sans rechercher
Quelle autre mer doit l'engloutir en somme.
Le soldat craint l'arc, la fuite à fond de train
Du Parthe; à son tour, le Parthe craint notre aigle
Et nos fers: mais toujours, c'est la règle,
La Mort nous frappe et frappera soudain.
Que j'ai vu de près, Pluton, ta sombre épouse,
Éaque siégeant à son noir tribunal,
Les cœurs purs en leur palais final,
Puis, sur sa lyre éolique et jalouse
Sapho se plaignant des vierges de Lesbos;
Enfin Alcéus qui fait, plus rude spectre,
Résonner, sous l'or fin de son plectre,
L'horreur des camps, de l'exil et des flots !
Les Ombres sont là, dans un pieux silence,
Buvant ces accords ; mais leurs cercles pressés
Aux récits des despotes chassés
Et des combats vibrent de préférence.
Quoi de surprenant, quand le chien monstrueux
Baisse, à de tels sons, ses oreilles sévères,
Quand le charme atteint jusqu’aux vipères
De l'Euménide étreignant les cheveux ?
Que dis-je ? Tantale ainsi que Prométhée,
Émus des doux chants, goûtent quelque loisir;
Orion néglige de saisir
Le lynx timide et l'ours à sa portée.
Posthume, Posthume, hélas ! à flots rapides
S'écoulent nos ans, et notre piété
Ne saurait nous préserver des rides,
Des cheveux gris, du trépas indompté:
Non, quand chaque jour, courtisan des plus tendres,
Ami, tu vouerais trois cents bœufs à Pluton,
Dieu sans pleurs, qui de sombres méandres
Ceint Tityus, le triple Géryon,
Dans ces tristes eaux que nous fendrons de même,
Nous tous relevant des terrestres produits,
Aussi bien porteurs de diadème
Que laboureurs aux indigents réduits.
En vain fuirons-nous la sanglante Bellone
Et l'Adriatique avec ses ouragans;
Pour nos corps en vain, pendant l'automne,
Aurons-nous craint le poison des autans:
Il faudra bien voir l'onde noire et languide
Du Cocyte errant, les criminelles sœurs
D'Hypermnestre, et Sisyphe Éolide
Qui va soumis à d'éternels labeurs.
Adieu donc villas, palais, épouse aimable !
De tant d'arbres verts cultivés par ta main,
Nul, hormis le cyprès détestable
Nul ne suivra son maître momentain.
Un prompt héritier, certainement plus sage,
Boira ton cécube à tous les yeux soustrait;
Il teindra ton superbe dallage
De ce nectar qu'un pontife envierait.
Nos vastes palais bientôt à la charrue
Prendront tout le sol; on verra des viviers,
Du Lucrin dépassant l'étendue,
Surgir partout; les platanes altiers
Évinceront l'orme. Alors, la violette,
Le myrte, en un mot tous les trésors du flair,
Répandront leur baume où l'olivette
À l'ancien maître offrait un gain si clair.
Alors le laurier de ses rameaux compactes
Exclura le jour. Ainsi ne l'ont prescrit,
Ô Romule, ô dur Caton, vos actes:
Des vieux décrets ce ne fut pas l'esprit.
Les particuliers avaient un cens modique,
L'État de grands biens: à l'air vif d'Hélicé
Privément ne s'ouvrait nul portique
Au décempède exactement tracé.
La loi défendait de mépriser le chaume
En partage échu, — le marbre précieux
Ne parant, sur les fonds du royaume,
Que les cités et les temples des dieux.
C'est le doux repos qu'implore des dieux
Le marin perdu sur l'Égée immense,
Quand avec Phébé se voilent aux cieux
Les astres de clémence.
C'est lui que la Thrace, au farouche essor,
C'est lui que le Mède, à fière sagette,
Réclame, ô Grosphus ! Nul bijou, nul or,
Nul pouvoir ne l'achète.
Non, trésor royal, licteur diligent
Ne chassent du cœur les troubles acerbes,
Et les noirs soucis toujours voltigeant
Sous les lambris superbes.
De peu l'on vit bien, lorsque des aïeux
La salière brille en notre humble table:
Avarice ou peur n'enlève à nos yeux
Le sommeil délectable.
Ô passants d'un jour, quels plans inouïs
Formez-vous ? Pourquoi cette soif extrême
De climats nouveaux ? Qui fuit son pays
Se fuit-il donc soi-même ?
L'affreux chagrin monte aux vaisseaux de fer,
Et des escadrons il suit la trompette,
Plus léger qu'un cerf, plus prompt que l'Auster
Soufflant une tempête.
Joyeux du présent, que pour l'avenir
L'esprit ne s'affecte, et qu'un rire aimable
Tempère nos maux. Rien ne peut fournir
Un bonheur perdurable.
Le fameux Achille eut rapide mort,
L'éternité va dans Tithon infuse,
Et peut-être, moi, tiendrai-je du Sort
Tel bien qu'il te refuse.
On voit dans tes prés bondir mille bœufs,
Enfants de Sicile; on entend cavale
Apte au char, hennir; sur ton lin pompeux
De Tyr deux fois s'étale
La pourpre couleur: moi, plus fortuné,
J'ai de petits champs, la verve légère
Des Muses de Grèce, un dédain inné
Pour le malin vulgaire.
Pourquoi me briser par ta plainte suivie ?
Aux dieux, à mon âme il répugne toujours
Qu'avant moi tu sortes de la vie,
Mécène, orgueil et soutien de mes jours.
Ah ! si de mon être un coup soudain m'enlève
En toi la moitié, comment lui survivra
L'autre part, la moins chère, et d'un glaive
Atteinte aussi ? Le même jour verra
Notre double mort. D’une bouche perfide
Ne part ce serment : un signe de ta main.
Et j’irai, j'irai, frère intrépide,
Faire avec toi le suprême chemin.
Jamais la Chimère et ses brûlantes marques,
Jamais les cent bras de Gyas ranimé
Ne pourraient nous séparer : les Parques,
Thémis puissante ainsi l'ont affirmé.
Soit que le Balance ou le Scorpion morne,
Témoin redoutable à l’heure du berceau,
M'ait vu naître, ou bien le Capricorne,
Des mers d'Ouest tyrannique flambeau,
Un rapport étrange unit dans les espaces
Nos astres pareils. Toi, le disque argentin
De Jovis te sauva des menaces
Du noir Saturne, et d'un hâtif destin
Retarda l'essor, quand la foule, au théâtre,
Trois fois salua ton rétablissement:
Sur ma tête un tronc venant s'abattre
M'enlevait, moi, si Faune dextrement
N'eût paré le coup, Faune gardien tendre
Des Mercuriaux. Songe au temple votif
À bâtir, aux victimes à rendre:
Nous frapperons, nous, un agneau chétif.
L'ivoire en ma retraite
Ne brille pas, ni les lambris dorés;
Les poutres de l'Hymette
N'y chargent pas des pilastres tirés
D'Afrique. Héritier rare,
Point n'ai d'Attale envahi le palais;
Nuls beaux doigts, doux valets,
Ne m'ont filé la pourpre de Ténare.
Mais j'ai verve et cithare,
Sources de joie, et, pauvre, à maint Crésus
Je plais: des dieux en sus
Rien ne prétends; pour plus, je ne chagrine
D'un grand seigneur l'amour,
Trop satisfait de ma terre sabine.
Le jour chasse le jour,
La lune monte, ensuite elle décline:
Et toi, près de mourir,
Tu veux du marbre ! Oubliant Proserpine,
Toujours tu fais bâtir !
Devers Baïa, cet Océan qui gronde
Tu repousses son onde !
Le continent ne peut te contenir.
Mais quoi ! tu romps les bornes
Des champs voisins, et ta cupidité
Franchit le lot planté
De tes clients. L'épouse et l'époux mornes,
Vont, loin de leurs sillons
Au sein leurs dieux et leurs fils en haillons.
Ah ! pour le riche hère
La seule cour est bien celle qu'Orcus
Destine à ses vaincus,
Là-bas. Pourquoi tendre plus haut ? La terre
Rend tout à son limon,
Rois et sujets: jamais, par l’or captée,
Au rusé Prométhée
Ne vint rouvrir l’Euménide. Pluton
Retient le fier Tantale
Et sa lignée; et, qu'on l'appelle ou non
Du pauvre à l'abandon
Il tranche enfin l'existence fatale.
J'ai surpris Bacchus, crois-moi, postérité,
Sur des rocs perdus prêchant l'art des aèdes:
Nymphes sœurs, Satyres capripèdes
Tendaient l'oreille au précepte chanté.
Evoé ! mon sein vibre encore de crainte,
Mon cœur s'attendrit, plein d'un bachique émoi.
Evoé ! Liber, épargne-moi:
Paix, dieu du thyrse à la terrible atteinte !
Je peux célébrer la Thyade aux grands bonds,
Les sources de vin, ces ondes copieuses
Charriant du lait, puis ces yeuses
Qui d'un tronc creux distillaient des miels blonds.
Je peux de ta femme encenser la couronne
Ajoutée aux cieux, rappeler Penthéus
Et ses toits rudement abattus,
Lycurgue enfin, mort aveugle et sans trône.
Tu marches domptant mer, fleuves étrangers;
Tu cours, dans leurs monts, les prunelles humides,
Enlacer au front des Bistonides
Un nœud d'aspics innocents et légers.
Des géants, là-haut, quand la cohorte noire
Assiégeait le seuil de ton père éclatant,
Tu défis Rhécus, en empruntant
D'un fier lion la griffe et la mâchoire.
Quoique renommé pour les joyeux hauts faits,
La danse et les ris, on ne te croyait guère
Des instincts belliqueux ; mais la guerre
Fut ton théâtre aussi bien que la paix.
Un jour, aux enfers, Cerbère te distingue
À ta corne d'or: sa queue alors tout doux
Bat le sol; il lèche tes genoux
Et tes deux pieds de sa gueule trilingue.
D'une aile puissante, inconnue aux humains,
Poète biforme, au sein de l'air tranquille
Je vais fuir; les terrestres chemins
Ne m'auront plus; vainqueur de tout Zoïle,
Adieu les cités ! Non, je ne mourrai pas,
Moi, le plébéien, moi que ta voix appelle,
Et du Styx, ô très cher Mécénas,
Mon vol saura tromper l'onde cruelle.
Déjà vers ma jambe une rugueuse peau
S'étend; j'ai la tête et la blancheur du cygne;
Sur mes doigts pousse un duvet nouveau;
À mon épaule est un plumage insigne.
Plus léger soudain qu'Icare Dédalé,
J'atteindrai les flots du gémissant Bosphore;
J'irai voir, musicien ailé,
L'Hyperborée et les Syrtes du More.
Le Colchidien, le Dace cachant mal
Son effroi du Marse, et la horde gélonne
M'entendront; l'Ibère, moins brutal,
M'applaudira, comme le fils du Rhône.
À mon vain trépas donc point de triste sceau:
Point de deuil honteux, de larmes puériles:
Adoucis ta peine, et d'un tombeau
Épargne-moi les honneurs inutiles.