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Œuvres lyriques d'Horace, traduites par le comte de Séguier (1883)

ODES III

 
I·Sur le vrai bonheur II·À la jeunesse romaine III·À César Auguste IV·À Calliope V·Régulus VI·Aux Romains VII·À Astérie VIII·À Mécène IX·Dialogue d'Horace et de Lydie X·À Lycé XI·À Mercure XII·À Néobule XIII·À la fontaine de Bandusie XIV·Au peuple romain XV·À Chloris XVI·À Mécène XVII·À Élius Lamia XVIII·À Faune XIX·À Télèphe XX·À Pyrrhus XXI·À une amphore XXII·À Diane XXIII·À Phidylé XXIV·Sur la corruption du temps XXV·À Bacchus XXVI·À Vénus XXVII·À Galatée XXVIII·À Lydé XXIX·À Mécène XXX·Épilogue

 

I — Sur le vrai bonheur

J'abhorre et j'exclus le vulgaire profane.
Vous, faites silence ! Aux vierges, aux garçons
Je dirai de nouvelles chansons,
Car des neuf Sœurs mon sacerdoce émane.
Les rois vivent craints de leurs peuples divers
Les rois, à leur tour, craignent le dieu suprême
Dont Gyas fut victime lui-même,
Et qui d'un signe ébranle l'univers.
Que tel, plus au large, en maint sillon aligne
Ses plants d'arbrisseaux; que celui-ci, mieux né,
Au Forum brigue d'être prôné;
Que celui-là soit réputé plus digne
Pour ses bonnes mœurs; qu'un autre ait des clients
Plus nombreux: la Mort, dans sa justice égale,
Puise au fond de l'urne colossale
Les noms de tous, riches ou mendiants.
Sur son cou pervers celui qui voit suspendre
Un fer dégainé, de Sicile jamais
Ne pourra savourer les doux mets;
Nuls chants d'oiseaux, de luths, n'iront lui rendre
Le sommeil perdu. L'agréable sommeil !...
C'est aux humbles toits, aux chaumes qu'il réside.
Il lui faut quelque ruisseau limpide,
De frais zéphyrs, des vallons sans soleil.
Quand au nécessaire on borne son envie
Qu'importent des flots le tumulte croissant
Et l'Arcture, au coucher menaçant,
Puis le Chevreau qui se lève en furie ?
Qu'importent la grêle abîmant nos raisins,
La moisson trompeuse, et le verger stérile
Accusant ou l'eau d'un ciel hostile,
Ou l'été sec, ou des hivers malsains ?
Par l'extension des gigantesques môles,
Dans l'onde, à l'étroit se sentent les poissons.
Sans relâche esclaves et maçons
Comblent la mer, sous les hautains contrôles
D'un maître blasé. Mais la Peur, les Remords
Se glissent partout où ce maître se carre:
Le Chagrin de sa nef tient la barre,
De son coursier il gouverne le mors.
Puisque rien ne calme une douleur humaine,
Ni manteau de Tyr, comme un astre brillant,
Ni falerne à table pétillant,
Ni marbre phryge et costus d'Achémène,
Pourquoi me construire, ameutant les jaloux,
Villas et palais qu'un nouvel art combine,
Et quitter mon doux val de Sabine
Pour des trésors si féconds en dégoûts ?

 

II — À la jeunesse romaine

Que, fortifié par un rude service,
Le garçon apprenne à souffrir de bon cœur
L'indigence; armé d'un fer vainqueur,
Contre le Parthe au galop qu'il sévisse.
 
Qu'il vive en plein air, et brave tout chemin
Périlleux. Du haut de leur cité jalouse,
Qu'à sa vue une royale épouse,
Une princesse aux portes de l'hymen,
 
Soupirent: « Grands dieux ! ne laissez pas mon gendre,
Mon beau fiancé, trop neuf dans les combats,
Provoquer ce lion qui, là-bas,
Gorgé de sang, brûle encor d'en répandre ! »
 
Mourir pour son sol est doux et glorieux.
La mort poursuit l'homme à poitrine d'eunuque
Elle frappe au dos, ou dans la nuque,
Les vils poltrons, les fuyards odieux.
 
La vertu solide ignore les disgrâces;
Son front resplendit d'honneurs immaculés.
Ses faisceaux ne sont pas ravalés
Ou maintenus, au gré des populaces.
 
À qui le mérite ouvrant les cieux entiers,
La vertu se fraye un champ inaccessible,
Et son vol, dans sa fierté paisible,
Fuit le vulgaire et les fangeux sentiers.
 
De même le ciel, des silences austères
Est le prix: chez moi jamais ne dormira,
Sur ma nef jamais ne voguera
Quiconque a pu dévoiler tes mystères,
 
Ô blonde Cérès ! Outragé, Zeus souvent
Confond l'âme pure avec la délinquante...
Tôt ou tard, la Peine claudicante
Rejoint le crime, allât-il bien avant.

 

III — À César Auguste

Non, rien ne saurait abattre le courage
Du citoyen juste et ferme dans son plan,
Ni les cris d'une plèbe sauvage,
Ni le regard d'un féroce tyran,
 
Ni sur l'Adria l'Auster soulevant l'onde,
Ni de Jupiter le tonnerre si prompt:
En éclats que se brise le monde,
Sans l'émouvoir ses débris l'atteindront.
 
Ainsi résolus, Pollux, l'errant Hercule
Ont franchi le seuil du palais éthéré,
Où près d'eux Auguste, leur émule
Repose et boit, de nectar empourpré.
 
Ainsi l'on te vit, ô Bacchus, dieu paterne,
Plier l'affreux tigre au timon de tes chars;
Quirinus ainsi hors de l'Averne
Put s'élancer sur les chevaux de Mars,
 
Après que Junon charma la cour céleste
Par les mots suivants: « Ilion, Ilion,
Que le juge adultère et funeste
Et la beauté d'une autre région
 
« En cendre ont réduit, dès que de leur salaire
Un Laomédon osa frustrer nos dieux
Nous avions, Pallas et ma colère,
Maudit ton peuple et son roi captieux.
 
« Il n'étale plus son orgueil, l'hôte infâme
De la Spartiate, et la valeur d'Hector
Ne sert plus les traîtres de Pergame
Contre les chocs d'Ajax et de Nestor.
 
« La guerre a pris fin, qu'alimentaient sans cesse
Nos dissensions. J'abjure désormais
Ma rancune, et de cette prêtresse
D'un sang troyen le fils que j'abhorrais.
 
« À Mars je le rends. Que l'Olympe sur l'heure
S'ouvre devant lui ; qu'il goûte en sûreté
Le nectar; qu'il assiste à demeure
Aux grands conseils de la Divinité.
 
« Pourvu que toujours entre Ilion et Rome
Gronde un océan, au bonheur des proscrits
J'aiderai, n'importe en quel royaume.
Sur les tombeaux de Priam, de Pâris;
 
« Pourvu que la chèvre aille bondir, l'hyène
En paix mettre bas, du Capitole entier
Je prétends que l'éclat se soutienne,
Et que son joug s'impose au Mède altier.
 
« Oui, que Rome épande un renom horrifique
Dans tout l'univers, du célèbre détroit
Séparant l'Europe de l'Afrique
Aux bords féconds où chaque an le Nil croît:
 
« Plus grande, en fuyant l'or que Tellus recèle
Et qui de son sein n'eût jamais dû sortir,
Qu'en osant, d'une main criminelle,
Pour son bien-être aux temples la ravir.
 
« Du nord au midi, du couchant à l'aurore,
Que, victorieux, flottent ses étendards
Aux déserts que le soleil dévore
Comme aux pays du givre et des brouillards.
 
« Mais je ne promets aux Romains intrépides
De si beaux destins, que s'ils ne veulent pas,
Trop pieux, trop fiers de gains rapides,
Ressusciter leurs antiques États.
 
« Troie, en renaissant sous un lugubre auspice
Reverrait bientôt le Grec envahisseur
J'y courrais, à l'assaillant propice,
De Jupiter, moi, la femme et la sœur.
 
« Que Phébus trois fois la relève et l'enclave
Dans un mur d'airain, trois fois mes Argiens
L'abattront; trois fois l'épouse esclave
Ira pleurer fils et mari troyens ! »
 
Muse, où tendez-vous ? sur ma lyre badine
Jure un tel sujet. Téméraire, cessons
De redire une scène divine
Et d'en gâter l'effet par d'humbles sons.

 

IV — À Calliope

Descends de l'Olympe, ô Calliope, ô reine,
Et dis sur la flûte un chant de longue haleine;
Ou plutôt, la lyre entre les doigts,
Marie un air au timbre de ta voix.
 
N’entendez-vous pas ? d'une illusion tendre
Suis-je le jouet ? Il me semble l'entendre,
Et vaguer dans de pieux enclos,
Au doux murmure et des vents et des flots.
 
Un jour, tout enfant, las de mainte folie,
Aux flancs du Vultur, plus loin que l'Apulie,
Mon berceau, je dormais sur le sol,
Quand des ramiers me couvrirent au vol,
 
D'un feuillage vert. Ce fut chose divine
Pour les bûcherons de le forêt bantine,
Les chasseurs du pic achérontin
Et les bergers du hameau forentin.
 
Auprès des serpents, des ours, funeste engeance,
Gaîment reposer, n'ayant d'autre défense
Qu'un amas de myrte et de laurier !
Les dieux gardaient le jeune aventurier.
 
Muses, grâce à vous, je gagne, heureux et leste,
L'ardu Sabinum ou la fraîche Préneste;
Sous vos yeux, j'erre aux monts de Tibur,
Ou de Baïa je contemple l'azur.
 
Ami de vos chœurs et de vos aganippes,
J'ai pu me soustraire au revers de Philippes,
Éviter un arbre menaçant,
Fuir Palinure en naufrages puissant.
 
Guidez-moi toujours, et ma voile aguerrie
Ira du Bosphore affronter la furie,
Et mon pied, sans se butter à rien,
Traversera le sable assyrien.
 
Intact, je verrai le Breton si féroce
Envers l'étranger, puis le Concane atroce
Qui s'enivre au sang des étalons,
Le fleuve scythe et les archers gélons.
 
Quand le grand César ramène en nos murailles
Ses guerriers lassés de lointaines batailles,
Qu'à son tour il aspire au repos,
Vous, les neuf Sœurs, vous charmez ce héros.
 
Vous lui prodiguez des conseils de clémence,
Doux à votre cœur. – On sait la chute immense
Des Titans, monstrueux révoltés,
Aux foudroiements, mille fois répétés,
 
De celui qui, seul, régit, maître équitable,
La terre immobile et l'océan instable,
Nos cités, l'enfer silencieux,
La tourbe humaine et les hôtes des cieux.
 
Jupiter fut pris d'une terreur profonde
Devant cette horde, aveugle autant qu'immonde,
Qui voulait que l'Olympe boisé
Sous Pélion demeurât écrasé.
 
Mais que pouvaient donc Mimas, l'âpre Thyphée,
Ou Porphyrion, autre ardent coryphée ?
Que pouvaient les chênes abattus
Par Encelade, et les chocs de Réthus,
 
Contre le rempart de la sonore égide
De Pallas ? Près d'elle, assistance intrépide,
Sont Vulcain, la matrone Junon
Et ce porteur d'un arc de grand renom,
 
Qui dans le cristal des eaux de Castalie
Trempe ses cheveux, qui va de la Lycie
Duméteuse au maternel vallon:
Pataréus, Délius Apollon.
 
La force sans frein par son poids roule à terre;
Les dieux l'accroîtront, pourvu qu'on la modère.
Mais aussi ces mêmes justes dieux
En châtieront tout usage odieux.
 
J'en prends à témoin Gyas, le centimane,
Et le tentateur de la chaste Diane,
Orion, la fable des forêts
Que cette vierge accabla de ses traits.
 
Tellus, avec peine étouffant sa lignée,
Pleure ces géants qu'une foudre indignée
Plonge au Styx: le feu par eux vomi
N'altère pas l'Etna bien affermi.
 
L'antique vautour, bourreau constant du crime,
Sur l'affreux Titye à coups de bec s'escrime ;
Et toujours par Pluton outragé
Pirithoüs de chaînes est chargé.

 

V — Régulus

La foudre en grondant atteste que Jovis
Règne aux cieux: voyez un autre divin sire
Dans Auguste ajoutant à l'empire
Perses fougueux, durs Bretons asservis.
Soldat de Crassus, eh quoi ! d'une étrangère
Tu vécus l'époux infâme ? L'on put voir
(Oh ! sénat, oh ! mépris du devoir !)
Vieillir aux champs d'un hostile beau-père,
Sous le sceptre mède, un Samnite, un Sabin,
Oubliant leur nom, leur toge, leurs anciles,
Vesta même aux traits indélébiles,
Debout encor le Jupiter Romain ?
Il prévit cela, le grand cœur de Régule,
Lorsque, repoussant un protocole vil,
Sa valeur montra comme un péril
Pour l'avenir quiconque capitule,
Si ne périssaient, captifs, des jeunes gens
Indignes de pleurs. — « Dans les temples puniques,
J'ai, dit-il, vu ces drapeaux, ces piques
Qu'à l'ennemi nos lâches contingents
Rendirent sans lutte; et j'ai vu des Quirites,
Les deux bras liés sur leur dos libre avant;
Porte ouverte, on allait cultivant
Ces plaines, hier, par notre aigle détruites.
Sans doute un soldat, à prix d'or racheté,
Deviendra meilleur ? Non ! c'est joindre un dommage
À l'affront: empourpré, tout lainage
Perd à jamais sa blanche pureté,
Et la vertu noble, une fois dans la fange,
Ne remonte plus en des cœurs de valets.
Si la biche, échappée aux filets,
Vole au combat, près de Mars je le range.
Celui qu'un perfide à ses pieds tint d'abord,
Du Carthaginois un jour il sera maître.
Ce héros qui, calme, se vit mettre
Des fers aux mains, qui, redoutant la mort,
Et ne sachant plus comment sauver sa vie,
Mendia la paix dans la mêlée. Ô deuil !
Ô Carthage élevant ton orgueil
Sur les débris honteux de l'Italie ! »
On dit qu'à ces mots évitant le baiser
De ses tendres fils et de leur chaste mère,
Vers le sol, en déchu volontaire,
Ses fiers regards allèrent se poser:
Jusqu'à ce qu'enfin son conseil sans exemple
Ayant convaincu les flottants sénateurs,
Du milieu de ses amis en pleurs
Il s'arracha, banni digne d'un temple.
Régulus sait bien quels barbares tourments
L'attendent là-bas: cependant il écarte
Et parents ligués pour qu'il ne parte,
Et peuple entier luttant d'empêchements,
Du même air que si, laissant prépondérante
Sa part de clients aux procès du Forum,
Il gagnait les champs de Vénafrum
Ou les villas de la molle Tarente.

 

VI — Aux Romains

Romains, vous paîrez les crimes de vos pères,
D'eux quoique innocents, tant que vous n'aurez pas
Rebâti des dieux les sanctuaires,
Les marbres saints, noircis, jetés à bas.
 
Le culte des dieux nous fit maîtres du monde;
Les dieux sont de tout le principe et la fin:
Négligés, d'une chute profonde
Ils ont puni le triste sol latin.
 
Dêjà, par deux fois, et Monèse et Pacore
Vainquirent nos fils de l'Augure oublieux,
Et le Parthe insolemment décore
Ses colliers vils de notre or précieux.
 
La flotte d'Égypte et l'arc fameux du Dace,
Combinant leur tir, leurs évolutions,
Ont failli détruire, en leur audace,
Rome tombée aux mains des factions.
 
Notre âge coupable a d'abord dans sa course
Perverti l'hymen, la famille et les mœurs:
Le pays, le peuple à cette source
Doivent, hélas ! tant d'horribles malheurs.
 
La vierge, à quinze ans, avec ardeur se mêle
De danse ionique et d'arts voluptueux.
Je me trompe: encore à la mamelle
Son cœur rêvait d'amours incestueux.
 
Bientôt elle cherche, aux fêtes conjugales,
Les meilleurs galants, et n'attend même plus,
Pour l'octroi de faveurs illégales,
L'obscurité, le mystère voulus.
 
Mais interpellée, et son mari complice,
La belle, en public, sort pour tel commerçant,
Tel patron d'un bateau de Galice
Pactole impur de ce couple indécent.
 
Ah ! ceux-là naissaient de parents sans reproche
Qui battaient Carthage en maint combat naval,
Qui domptaient le grand roi d'Antioche,
L'altier Pyrrhus, le terrible Annibal !
 
D'agrestes soldats postérité solide,
Remuant le col de leur hoyau sabin,
Sous les yeux d'une mère rigide
Ils rapportaient le chêne, le sapin,
 
Coupés dans les bois, quand l'ombre des montagnes
Changeait au soleil, et que l'heure, en s'usant,
Ramenait la paix dans les campagnes
Et délivrait les bœufs du joug pesant.
 
Que n'altèrent pas les siècles damnifères ?
Nos pères étaient moins bons que nos aïeux
Nous, jamais, nous ne vaudrons nos pères;
Nos fils seront plus que nous vicieux.

 

VII — À Astérie

Pourquoi pleurer, ravissante Astérie ?
Les gais zéphyrs te rendront au printemps,
Riche en objets de Bithynie,
Ton Gygès, imberbe aux feux constants.
 
Dans Oricum, captif de vents contraires,
Sinistre effet des Chevreaux lubieux
Il traîne des nuits solitaires
Sans pavots, non sans pleurs copieux.
 
Pourtant l'exprès de sa galante hôtesse,
En l'avisant que soupire Chloé,
Qu'en rivale l'amour la presse,
Mille fois le tente, vieux roué.
 
Il peint comment une épouse néfaste,
Au sot Prétus brodant maint faux rapport,
De Bellérophon par trop chaste
Résolut d'accélérer la mort.
 
Il dit Pélée, un pied dans le Ténare
Quand d'Hippolyte il méprisa l'ardeur
Le fallacieux narre, narre
Tous les cas aiguisant l'impudeur.
 
En vain ! Plus sourd que roche icarienne,
Gygès écoute et ne consent. Mais toi,
Garde que trop ne te convienne
Enipée, un voisin de ton toit,
 
Bien que nul autre, en l'herbe martiale,
Sur un coursier n'affiche plus d'élan,
Bien que nul autre ne l'égale
Pour franchir l'ampleur du lit toscan.
 
Clos, dès le soir, ton seuil; dans la ruelle
Point ne regarde, au doux bruit des pipeaux,
Et si la surnom de cruelle
Te parvient, - confirme ce propos.

 

VIII — À Mécène

Tu vois, surpris, aux calendes de Mars,
Bouquets de fleurs chez moi célibataire,
Boite d'encens, rouges charbons épars
Sur la mousse, — un mystère
 
Pour toi si docte en rits grecs et latins:
C'est qu'à Liber, quand un arbre sauvage
M'allait broyer, je vouai doux festins
Et bouc au blanc pelage.
 
L'an révolu, de son cachet noirci
Ce jour fêté délivrera l'amphore,
Depuis Volcate instruite à boire ici
La fumée à plein pore.
 
Prends, Mécénas, cent coupes en l'honneur
De l'ami sauf; que l'aube nous éclaire
Buvant encore, - et loin toute clameur,
Bien loin toute colère !
 
Sois sans tourment pour la chère cité
Occis est l'ost de Cotison le Dace;
Contre soi seul, le Mède révolté
Tourne sa triste audace.
 
Au sol d'Espagne, un rebelle constant,
Le Cantaber, porte enfin notre chaîne;
Le Scythe annonce, à son arc qu'il détend,
Sa retraite prochaine.
 
Cesse un moment, en simple citoyen,
De t'affecter des choses populaires;
Et, saisissant l'heure au vol, vite et bien,
À demain les affaires !

 

IX — Dialogue d'Horace et de Lydie

HORACE

Tant que de toi je semblai digne,
Quand nul rival de bras plus caressants
N'entoura ta gorge de cygne,
J'allai plus fier que le roi des Persans.

LYDIE

Tant que j'eus seule ta tendresse,
Qu'après Chloé ne vint pas Lydia,
En renom comme en allégresse
Je surpassai la Romaine Ilia.

HORACE

J'aime à présent Chloé, de Thrace;
Sa voix est pure et son luth merveilleux:
Gaîment pour elle au Styx je passe,
Si les Destins épargnent ses doux yeux.

LYDIE

Moi, c'est Calaïs, fils d'Ornyte
De Thurium, mon idole en ce jour:
Pour lui deux fois j'entre au Cocyte,
Si les Destins l'épargnent à son tour.

HORACE

Mais si Vénus moins vagabonde
Nous ramenait au joug qui nous lia ?
Si je chasse Chloé la blonde,
Et que mon seuil se rouvre à Lydia ?

LYDIE

Bien qu'il soit beau comme l'aurore,
Toi plus léger que l'inconstant zéphyr,
Plus prompt que l'orageux Bosphore,
À tes côtés, j'irais vivre et mourir.

 

X — À Lycé

Quand tu boirais, sous un mari barbare,
Au Tanaïs, tu gémirais, Lycé,
De me savoir, devant ton seuil avare,
En butte à l'aquilon glacé.
 
N'entends-tu pas, au vent qui les assiège,
De ton beau toit la porte et le jardin
Mugir ? Grands dieux ! ne vois-tu pas la neige
Qu'un éther pur fige soudain ?
 
Quitte un orgueil que Cythère condamne;
Crains de la roue un funeste retour.
Tu ne fus point engendrée en Toscane
Pour singer Pénélope un jour.
 
De tes amants, ah ! si l'humble prière,
Si leurs cadeaux et leur teint violet,
Si ton époux aux bras d'une étrangère,
Rien ne t'émeut, moi, ton valet,
 
Épargne-moi, belle dont le cœur reste
Dur comme un chêne, ingrat comme un serpent.
Tes noirs verrous, ce déluge céleste
Ne me verront toujours rampant.

 

XI — À Mercure

Mercurius (car le souple Amphion
Émut par toi les rocs à ses cantiques),
Toi-même aussi, noble heptachordion
Aux accents pathétiques,
 
Jadis muet, ingrat, mais en ce jour
L'ami des dieux, de toute riche table,
Dites des chants qui forcent à l'amour
Lydé, mon intraitable.
 
Comme en un pré cavale de trois ans
Bondit fougueuse et craint qu'on ne la touche,
Vierge, Lydé pour ses chauds courtisans
Se montre encor farouche.
 
Tu peux mener les tigres sur tes pas
Et les forêts, figer l'onde célère:
A tes doux sons, du royaume d'en bas
Le noir portier, Cerbère,
 
Céda tout humble, en son front furial
Quoiqu'il agite une centaine d'angues,
Et crache au loin bave et souffle infernal
De sa gueule à trois langues.
 
Que dis-je ? on vit Tityus, Ixion
Sourire enfin; on vit des Danaïdes,
Quelques instants, dans la séduction,
Les urnes rester vides.
 
Conte à Lydé le crime, le tourment
Et le tonneau de cette horrible engeance,
Tonneau sans fond d'où l'eau fuit constamment;
Peins la sûre vengeance
 
Qu'un jour Orcus tire des criminels.
Ces monstres-là — quels forfaits plus extrêmes ? —
Ces monstres-là purent de fers cruels
Frapper leurs époux mêmes.
 
Seule, une sœur, du flambeau de l'hymen
Digne en tout point, fut noblement traîtresse
Au plan dicté par un père inhumain
Son nom vivra sans cesse.
 
« Debout ! dit-elle à son jeune mari.
Debout ! un somme éternel te menace,
À ton insu: trompe un beau-père aigri,
Des sœurs folles d'audace.
 
« Comme lionne égorgeant maint agneau,
Chacune, hélas ! met son époux en pièces
Plus tendre, moi, je t'arrache au tombeau,
À ces voûtes épaisses.
 
« Qu'un père affreux me charge de liens,
Ô mon époux, pour t'avoir laissé vivre
Sur un navire, aux écueils libyens
Que, bannie, il me livre.
 
« Fuis où tes pieds, où l'air t'emporteront,
L'ombre et Vénus protégeant ta carrière !
Sous leur manteau, fuis... tes mains graveront
Nos regrets sur ma pierre. »

 

XII — À Néobule

Que je plains la beauté des jeux d'amour privée,
Ignorant de Bacchus le doux baume, énervée
Aux sermons d'un oncle ennuyeux !
 
Toi, l'archerot malin de ton dé te sépare
Et des arts de Pallas; seul, Hèbrus de Lipare,
Néobule, occupe tes yeux.
 
Car, huilé, dans le Tibre il va, nageur suprême;
Surpassant à cheval Bellérophon lui-même,
Son pied, ses poings règnent vainqueurs.
 
Il excelle à poursuivre, au sein des vastes plaines,
Les chevreuils éperdus, à forcer sous les chênes
Le sanglier rude aux traqueurs.

 

XIII — À la fontaine de Bandusie

Ô Bandusie, ô fontaine hyaline,
Digne de fleurs comme d'un vin nouveau
Demain je t'immole un chevreau
Dont la corne est précoce, et l'incline
 
Aux rudes chocs, aux combats amoureux.
Mais vainement: d'un sang pur, en ta rive,
Ce fils de la troupe lascive
Rougira ton cristal généreux.
 
L'âpre chaleur des jours caniculaires
Ne t'atteint point : sur l'errante brebis,
Les taureaux las des jougs subis,
Tu répands tes fraîcheurs salutaires.
 
Toi-même aussi ton renom sera grand,
Dès que mon luth aura chanté l'yeuse
Qui domine la roche creuse
D'où ton flot s'échappe en susurrant.

 

XIV — Au peuple romain

Peuple, César qu'on disait, comme Hercule,
Chercher la gloire, au risque de la mort,
Rentre vainqueur, de l'hispanique bord
Sur le sol de Romule.
 
Que sa moitié, fière d'un tel époux,
Offre à l'autel le tribut légitime.
Escorte-la, sœur du chef clarissime;
Près d'elle groupez-vous,
 
L'olive en main, ô mères radieuses
Des guerriers saufs. Peur vous qui regrettez
Soit un mari, soit un père, évitez
Les plaintes omineuses.
 
Ce jour de fête à jamais bannira
Mes noirs soucis: je ne craindrai ni guerre
Ni malemort, tant qu'au loin sur la terre
Auguste règnera.
 
Esclave, apporte et parfums et guirlandes;
Apporte un vin des chocs marses témoin,
De Spartacus s'il en reste en un coin
Qui sut tromper les bandes.
 
Dis à Néère, aux chants vifs, d'accourir,
Un simple nœud sur sa tête myrrhée:
Si son portier te dispute l'entrée,
Reviens sans coup férir.
 
Les cheveux gris amortissent la rage
Des chauds débats, des proterves amours
Sous le consul Plancus, dans mes beaux jours,
J'aurais été moins sage.

 

XV — À Chloris

Femme d'lbycus, le pauvre homme,
Mets donc un terme à tes dérèglements,
À tes labeurs trop infamants.
Mûre déjà pour le sombre royaume,
Plus ne joue emmi nos beautés;
N'obscurcis point de célestes clartés.
Dans Pholoé ce qu'on supporte
Ne te sied plus, Chloris: ta fille encor
Peut des garçons forcer la porte,
Comme Thyade émue au bruit du cor.
Que pour Nothus son goût vivace
La pousse aux bonds de la chèvre salace :
Toi, vieillotte, à bout de succès,
Va t'en filer des toisons lucérines,
Et renonce aux roses pourprines.
À la cithare, aux bachiques excès.

 

XVI — À Mécène

Un mur d'airain, des portes bien assises,
De chiens grondants maint couple échelonné
Suffisamment protégeaient Danaé
Contre d'amoureuses surprises,
Si Jupiter et Vénus n'avaient ri
D'Acrisius, noir geôlier de la belle:
C'est qu'il n'est pas de tour, de gond rebelle
Pour l'immortel dans l'or pétri.
L'or sait tromper des gardes la consigne,
Et, plus puissant qu'un foudre olympien,
Percer les rocs. De l'augure argien
L'or causa la ruine insigne,
Le noir trépas. Philippe, sans assauts,
Mais par des dons, vainquit d'altières villes,
Des rois jaloux. Les dons rendent serviles
Les durs commandants des vaisseaux.
Avec l'argent croît la peine, et la rage
De nouveaux biens. Donc à bon droit j'eus peur,
Mécène, ô toi des chevaliers l'honneur,
D'afficher un marquant visage.
Plus à soi-même on se refuse, et plus
Donnent les dieux. Sans bagage je vole
Auprès de ceux qu'aucun désir n'affole;
J'échappe au camp des Attalus,
Maître plus fier d'un fonds que l'on dédaigne
Que si, passant pour retenir sous clé
Tout ce qu'en Pouille on récolte de blé,
Je restais pauvre à riche enseigne.
Un ruisseau pur, quelques arpents boisés,
D'humbles moissons l'espoir non chimérique
Mieux qu'au seigneur de l'opulente Afrique
Me font des jours frais, reposés.
Certes je n'ai ni les miels de Tarente,
Ni les nectars du sol des Lestrygons;
J'ai moins encor ces précieux moutons
Fils de la Gaule exubérante:
Mais l'indigence a respecté mon toit.
Voudrais-je plus, tu m'exaucerais vite.
Or, en gardant une sage limite,
J'agrandis plus mon coffre étroit
Que si j'avais l'empire d'Alyatte
Et la Phrygie. A qui prétend beaucoup,
Beaucoup fait faute. Heureux qui du grand Tout
Reçoit assez, à bonne date !

 

XVII — À Élius Lamia

Noble rejeton de l'antique Lamus
(Car il est constant que des premiers Lamie
Les grands noms du sien nous sont venus,
Et l'on peut voir nos fastes, cher Elie,
Citer pour auteur de toute ta maison
Ce chef qui créa la cité magnifique
De Formie, et domina, dit-on,
Jusqu'au rivage où la nymphe Marique
Reçoit le Liris) : demain un ouragan,
Vomi par l'Eurus, jonchera de feuillages
La forêt, d'algues le bord toscan,
Si la corneille, augure des orages,
Ne m'a pas trompé. Pendant que tu le peux,
Prépare un bois sec; puis, à ton bon Génie
Sers demain porc bimestre et vin vieux,
Tes serviteurs te tenant compagnie.

 

XVIII — À Faune

Faune, amateur des nymphes fugitives,
Dans mes enclos, mes champs ensoleillés
Marche clément, et pars sans invectives
Pour mes faons éveillés,
 
Si, chaque an, meurt le chevreau de coutume,
Si le cratère agréable à Cypris
Abonde en vins, si l'antique autel fume
De parfums bien nourris.
 
Lorsque Décembre, aux nones, te refête,
Tout le bétail joue aux terrains herbeux,
Et sur les prés le bourg joyeux s'arrête,
Oisif comme les bœufs.
 
Le loup se mêle aux brebis intrépides :
L'agreste bois t'effeuille ses rameaux
Gai, le colon frappe, à trois temps rapides,
Ce sol hier plein de maux.

 

XIX — À Télèphe

Tu sais l'intervalle entre Inaque
Et Codrus, mort pour Athène en lion;
Tu sais les rejetons d'Éaque,
Les chocs livrés sous le saint Ilion.
Mais tu ne dis combien le cade
De vrai Chio, quand nos bains seront prêts,
Et quand et chez quel camarade
D'un froid péligne on bravera les traits.
Verse, esclave, à Phébé nouvelle,
Verse à Minuit, et verse à Muréna,
L'augure : aux coupes, plein de zèle,
Trois fois ou neuf, le cyathe accourra.
Pour la poète dans la nue
Trois fois trois coups, en amant des neuf Sœurs !
Mais des Grâces la troupe nue
De plus de trois fait défense aux buveurs,
Ayant des rixes quelque crainte.
Vive Bacchus ! Pourquoi cessent les voix
De ces flûtes de Bérécynthe ?
Pourquoi muets pendent lyre et hautbois ?
Je hais toute main qui lésine:
Roses, pleurez ! que nos vacarmes fous
Vexent Lycus et la voisine
Mal assortie à ce barbon d’époux
Ô Télèphe, ton front nitide,
Comme Vesper ton œil étincelant
Captent Rhodé, mûre pour Gnide:
Glycère, moi, me brûle d'un feu lent.

 

XX — À Pyrrhus

Ne crains-tu point, ô Pyrrhus, de ravir
Ses lionceaux à pareille Gétule ?
D'affreux combats avant peu tu vas fuir,
Intimidable émule,
 
Lorsque, à travers tes amis hasardeux
Elle accourra, voulant son beau Néarque,
Conflit sanglant pour dire auquel des deux
Ce jouvenceau de marque.
 
Tandis qu'en hâte on vous voit préparant,
Toi des traits vifs, elle une dent terrible,
L'objet, dit-on, du fameux différend,
D'un talon insensible,
 
Foule sa palme, et livre au vent badin
Les blonds cheveux couvrant son col d'ivoire:
Tel fut Nirée ou le prince idéen
Qui là-haut verse à boire.

 

XXI — À une amphore

Amphore, ma sœur, des faisceaux de Manlie
Datant comme moi, que tristesse ou folie
Gise en toi, que ce soit le courroux,
L'amour brûlant ou le sommeil si doux,
 
N'importe à quel titre un massique hors ligne
Réside en ton sein, ce beau jour t'en rend digne;
A l'appel de Corvinus, descends
Lui prodiguer tes nectars vieillissants.
 
Tout imbu qu'il est des sermons de Socrate,
Sa lèvre pour toi ne sera pas ingrate:
Maintes fois le bon vin, nous dit-on,
Réconforta l'âme du vieux Caton.
 
Tu sais imposer à toute humeur sauvage
Ton joug délicat; et les peines du sage,
Les secrets enfouis dans son cœur
Sont dévoilés par ta chaude liqueur.
 
Tu rends l'espérance aux esprits les plus mornes;
Tu donnes au pauvre un sang vif et des cornes
Pour braver les sceptres irrités
Et des soldats les mille cruautés.
 
Liber, et Vénus, si son œil est propice,
Les Grâces encore, au lien non factice,
Te choiront, à l'éclat des flambeaux,
Jusqu'au retour de Phébus sur les eaux.

 

XXII — À Diane

Des monts et des bois reine virginale,
Qui, trois fois priée, accours délivrant
L'épouse en travail que la Mort te rend,
Ô dive tricéphale,
 
À toi ce pinier touchant ma villa !
Je t'immolerai gaîment, sous son ombre,
Chaque année, un porc méditant, l'air sombre,
D'en découdre par-là.

 

XXIII — À Phidylé

Lève au firmament tes deux mains non ingrates,
Quand Phébé renaît, rustique Phidylé;
Qu'une truie avide, un nouveau blé,
Des grains d'encens fléchissent tes Pénates,
Et tu braveras pour ton vignoble en fleur
L'Africus malsain, pour tes épis la nielle
Inféconde, et pour ton bétail frêle
Du temps des fruits l'accablante chaleur.
L'hostie engraissée autour du blanc Algide,
Parmi les forêts de chêne et de sapin,
Ou croissant sur le gazon albain,
Succombera sous la hache rigide,
Aux temples sacrés: toi, tu n'as pas besoin
D'égorger cent boucs, pour te rendre faciles
D'humbles dieux que les myrtes fragiles,
Le romarin, couronnent dans ton coin.
Que pure, à l’autel, notre droite s'étende,
Le sel pétillant et le gruau pieux
Calmeront nos Lares furieux
Tout aussi bien que la plus riche offrande.

 

XXIV — Sur la corruption du temps

Quand vos trésors surpasseraient
Les biens qu'intacts ont l'Inde et l'Arabie,
Quand vos marbres envahiraient
La mer étrusque et les flots d'Apulie,
Si le rude marteau du Sort
Sous vos grandeurs une fois vous entame,
Vous ne soustrairez point votre âme
À la terreur, votre tête à la mort.
Plus heureux le Scythe des plaines
Dont la demeure est un char vagabond,
Et les Gètes d'un sol fécond,
Non divisé, tirant tous à mains pleines
Leur pain, leurs fruits mis en commun !
Aux champs, là-bas, un an reste chacun;
Sa tâche faite, il peut s'ébattre
Son remplaçant le nourrira demain.
Là, pour les fils d'un autre hymen
La belle-mère est loin d'être marâtre.
Point d'épousée acariâtre,
De par sa dot; point de galants sous main.
Une dot, c'est l'honneur des proches,
Le doux respect du pouvoir marital,
L'horreur d'étrangères approches:
Faillir est crime, et crime capital.
Ah ! si quelqu'un veut mettre un terme
À nos fureurs, à nos sanglants débats,
S'il veut que sa statue au bas
Porte: Au sauveur ! qu'il dompte, d'un bras ferme,
Tant de licence et nos neveux
Le béniront; car, pour nous, ô misère !
Jaloux de la vertu sur terre,
Nous ne l'aimons que retournée aux cieux.
Mais à quoi bon ma triste plainte,
Lorsque Thémis laisse en paix le méchant !
Que sert des lois le labyrinthe,
Sans bonnes mœurs, lorsque l'âpre marchand
Affronte la zone torride
Et ces climats de Borée approchant,
Où domine un verglas rigide ?
Lorsque toujours d'habiles matelots
Sortent vainqueurs du choc des flots,
Et lorsque enfin la pauvreté honnie
Fuyant la route des Catons,
Pousse à tout acte, à toute ignominie ?
Au Capitole transportons,
Fiers de l'appel, des bravos de la foule,
Ou dans la mer précipitons
Tous ces bijoux, ces perles, ces chatons,
Cet or vain d'où le mal découle,
De nos forfaits si nous nous repentons.
Oui, de nos passions brutales
Tuons le germe, et nos cœurs amollis,
Retrempons-les à de plus mâles
Enseignements. L'enfant des riches lits
À cheval montre peu d'adresse;
Il craint la chasse et borne ses exploits
Au cerceau venu de la Grèce,
Ou bien aux dés prohibés par les lois.
Pourtant un père, à foi parjure,
Trompe son hôte et son frère d'usure
Pour dorer les indignes jours
De ce fruit nul. Ses vils trésors sans doute
Vont grossissant; mais, somme toute,
Je ne sais quoi leur manquera toujours.

 

XXV — À Bacchus

Où donc, Bacchus, m'entraînes-tu,
Plein de ton souffle ? En quel bois, quelle grotte,
M'égare un délire nouveau ?
Du grand César quels rochers vont m'entendre
Célébrer l'éternel honneur,
L'entrée aux cieux dans le conseil de Jove ?
Je dirai maint fait éclatant,
Neuf, non chanté. Comme, d'une montagne,
L'Évias admire, au réveil,
Le cours de l'Hèbre, et les neiges de Thrace,
Et le Rhodope que gravit
Un pied barbare, ainsi j'aime une rive
Solitaire, un bosquet désert,
Quand j'erre au loin ? Ô prince des Naïades,
Des Bacchantes dont la valeur
Peut renverser les plus robustes frênes,
Mes chants n'auront rien de petit,
D'humble, d'humain. C'est un péril suave,
Lénœus, de suivre le dieu
Qui porte au front des pampres pour couronne.

 

XXVI — À Vénus

La beauté naguère en moi trouvait des charmes
Et je militais, en soldat non obscur:
À présent ce barbiton, ces armes,
Mon congé pris, je les suspends au mur
Qui va protégeant de Vénus maritime
Le flanc gauche. Allons ! mettez là les falots
Lumineux, l'arc d'amoureuse escrime,
Et les leviers, effroi des durs enclos.
Ô diva que Cypre heureusement vénère,
Et Memphis narguant les neiges de Sithon,
De Chloé, sous ta vive lanière,
Change à l'instant, reine, l'orgueilleux ton.

 

XXVII — À Galatée

À son départ, pour présage, à l'impie:
Hibou plaintif, chienne allant mettre bas,
Louve au poil roux des champs de Lanuvie
Et renarde aux flancs plats !
 
Sur son chemin qu’une vipère glisse
Comme une flèche, et rende ses bidets
Fous de terreur. Moi, prévoyant auspice,
De l'Est, par mes souhaits,
 
En ses palus avant que se rejette
Du mauvais temps le prophétique oiseau,
J’évoquerai pour ceux que je regrette
Un oscine corbeau.
 
Va, Galatée, aux lieux que tu préfères;
Va, sois heureuse, et pense à nous longtemps.
Et loin de toi les corneilles sévères
Les piverts tourmentants !
 
Vois néanmoins quel tumulte, en sa fuite,
Laisse Orion. Je connais la noirceur
Du flot de Brinde, et d'Iapyx ensuite
La perfide douceur.
 
De l'ennemi que les fils et les femmes
Éprouvent seuls les coups sourds des autans.
Et l'affreux bruit des gigantesques lames
Sur les bords palpitants !
 
Europe ainsi fia son corps de neige
Au faux taureau: l'audacieuse enfin
Pâlit devant la houle qui l'assiège
Et les bonds du dauphin.
 
Elle, tantôt, qui cueillait sur la rive
Pour chaque nymphe un bouquet gracieux,
N’aperçoit plus, sous la lune furtive,
Que la mer et les cieux.
 
Lorsque son pied de la Crète aux cent villes
Toucha le sol: « Mon père, ô nom trahi
Par ton enfant ! dit-elle; ô fureurs viles !
Honneur évanoui !
 
« D'ou viens-je ? Où suis-je ? Une mort pour mon crime
Ne suffit pas. Veillé-je en déplorant
L'acte commis, ou, digne encor d'estime,
Un mensonge flagrant,
 
« Un rêve, issu de la porte éburnine,
M'abuse-t-il ? Quoi ! pour les larges flots
J'ai pu laisser notre cueille enfantine
De boutons frais éclos ?
 
« Ce taureau fourbe, à ma haine sans bornes
Qu'il soit livré, je le meurtris d'un fer;
Dans un effort, oui, je te romps les cornes,
Monstre qui me fus cher !
 
« Lâche, j'ai fui la maison paternelle !
Lâche, à mourir j'hésite. Oh ! si des dieux
Un seul m'entend, contre moi qu'il appelle
Des lions furieux.
 
« Avant qu'ici mon teint se décolore
Et que la faim dessèche mes appas,
Je veux d'un tigre, en ma splendeur encore
Former le gai repas.
 
« Infâme Europe, un père absent te crie:
Meurs ! qu'attends-tu ? Pour terminer tes jours,
Sous cet ormeau ta ceinture flétrie
Te servira toujours.
 
« Si ces écueils, ces rocs à fine aiguille
Te plaisent mieux, cours donc t'abandonner
Au prompt orage, à moins, royale fille,
Que tu n'ailles tourner
 
« D'abjects fuseaux, concubine haïe
Par ta maîtresse. » — Amour l'arc détendu
Sa mère aussi, la bouche épanouie,
Avaient tout entendu.
 
Leurs ris cessés: « Abstiens-toi, dit Cyprine,
D'un courroux fier, de transports ennemis,
Quand ce taureau viendra sur ta poitrine
Poser son front soumis.
 
« Car, ton époux, c'est Zeus, dieu du tonnerre.
Plus de sanglots ! grandis à l'unisson
De ta fortune: un segment de la Terre
Portera ton beau nom. »

 

XXVIII — À Lydé

En ce jour sacré de Neptune,
Que faire bien ? Sors, active Lydé,
Ce cécube en un coin gardé,
Et chasse un peu la sagesse importune.
 
Là-haut tu vois pencher Phébus;
Mais, comme si son char dormait encore,
Tu crains d'apporter cette amphore
Qui va datant du consul Bibulus.
 
Nous chanterons à tour de rôle,
Moi Neptunus, ses nymphes au front vert;
Toi Latone, d'un luth disert,
Avec Cynthie, un carquois sur l'épaule;
 
Finalement la déité
Qui règne à Gnide, aux cyclades insignes,
Et qu'à Paphos mènent des cygnes:
La Nuit aura son tribut mérité.

 

XXIX — À Mécène

Noble descendant des princes de Toscane,
Je garde à ta soif un cade vierge et vieux,
Ô Mécène, et j'ai pour tes cheveux
Fleurs de rosier, essence de balane,
Depuis bien longtemps. Accours, plus de retard !
Lorgne moins Tibur aux ondes cristallines,
Le versant d'Ésule et les collines
De Télégon, parricide bâtard.
Laisse une abondance, assez fastidieuse,
Et ton beau palais qui touche au firmament;
Oui, de Rome abandonne un moment
Les cris, le luxe et la fumée heureuse.
Aux grands quelquefois plaît la variété:
Un repas frugal sous un modeste lare,
Sans tapis ni dais de pourpre rare,
Souvent déride un visage attristé.
Déjà l'astre clair du père d'Andromède
Rallume ses feux; ainsi que Procyon
Déjà mord l'étoile du Lion,
Et le soleil de chaleurs nous excède.
Déjà le pasteur, avec son troupeau las,
Cherche l'eau, sous l'ombre et les bosquets sauvages
De Sylvain; tous muets, les rivages
Des vents légers regrettent les ébats.
Mais toi, cependant, le bien public t'excite;
Tu crains pour la ville, en tes labeurs accrus
Ce que Bactre, autrefois à Cyrus,
Complote, unie au Sère, au fougueux Scythe.
Un dieu prudemment dérobe à tous les yeux,
Sous un voile épais, l'avenir et ses chances;
Il se rit du mortel dont les transes
Passent le but. Songe à régler au mieux
L'utile présent: le reste coule et passe
À l'instar du fleuve, en paix tantôt marchant,
Au milieu d'un uniforme champ,
Vers l'onde étrusque, et tantôt, rude masse,
Roulant pêle-mêle arbres, maisons, troupeaux,
Rochers éboulés, — aux clameurs des montagnes,
Aux clameurs des forêts leurs compagnes,
Quand un déluge arrache à leur repos
Les flots assoupis. Celui-là vit son maître
Et content, qui peut se dire chaque soir:
« J'ai vécu ! Que demain d'un ciel noir
Zeus nous recouvre, ou qu'il fasse renaître
Un soleil brillant, il ne rendra pas vain
Le passé réel; et jamais son empire
Ne saurait ni changer ni détruire
Ce qu'une fois l'heure emporta soudain. »
Joyeuse toujours de sa tâche inhumaine,
Tenace à jouer son jeu plus qu'insolent,
La Fortune, aveuglée, aveuglant,
D'un seuil à l'autre au hasard se promène
L'atteins-je ? à merveille. Avec célérité
S'enfuit-elle ailleurs ? ses dons, je les résigne;
Je m'enferme en une vertu digne,
Ne demandant qu'honnête pauvreté.
Que d'autres, au choc des tempêtes d'Afrique
Dont mugit leur mât, s'abaissent à des vœux
Indécents, offrant l'aumône aux dieux,
Pour que l'Egée, en son sein colérique,
N'engouffre leur charge et de Cypre et de Tyr:
Moi, de tout malheur, sur ma barque à deux rames,
Un vent tiède, et vos propices flammes,
Divins Gémeaux, viennent me garantir.

 

XXX — Épilogue

J'ai fini cette œuvre, au métal durable,
Pyramide altière, incommensurable,
Que la pluie à flots, l'aquilon bramant,
Kronos dans sa fuite et l'entassement
Des siècles futurs laisseront intacte.
Je me survivrai; ma gloire compacte
Vaincra Libitine: oui, mon nom croîtra,
Toujours rajeuni, tant qu'au Capitole
Monteront grand prêtre et vierge ignicole.
Aux bords où mugit l'Aufide, on dira,
Comme au sol aride, à peuple rustique,
Où régna Daunus, que, d'humble puissant,
Horace importa le mode éolique
Dans le vers latin. Muse au noble accent,
D'un juste succès t'enorgueillissant,
Pare mes cheveux du laurier delphique.

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