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Horace : sa vie et sa pensée à l’époque des Épîtres

par Edmond COURBAUD, (Hachette, Paris, 1914)

 

— CHAPITRE I - COMMENT HORACE EST ARRIVÉ A L'ÉPÎTRE —


 

I. HORACE AVANT L'ÉPÎTRE


 

LES Épîtres d'Horace sont-elles, pour parler à la Montaigne, « le plus accomply ouvrage de sa poësie » ? Il se pourrait, si aucun genre n'était plus en accord avec sa vraie nature. Il y est venu tard cependant, vers la quarantaine. Il a commencé par écrire des satires ; mais ce n'était point chez lui le fait d'une impulsion irrésistible, une de ces vocations qui vous emportent malgré les obstacles. Il ne les eût peut-être pas écrites, si les circonstances n'avaient été ce qu'elles furent : on conçoit très bien Horace, moraliste aimable, exprimant sous une autre forme sa critique générale de l'humanité. Peu de poètes ont aimé plus que lui, je ne dis pas à se mettre en scène — le mot est trop gros et la chose lui déplaisait (1), — du moins à entrer en confidence avec leur lecteur. Or, dans tout ce qu'il nous livre de ses goûts, de ses penchants, de ses habitudes, il est difficile de découvrir les caractères qui constituent en propre le génie satirique. On objectera que certaines de ces confidences, postérieures à l'époque des Satires, datent d'un temps où la vie l'avait modifié ; il déclare en effet qu'il est devenu plus doux et meilleur, à l'approche de la vieillesse (lenior et melior... accedente senecta (2)). Mettons qu'il faille pour leur rendre le relief voulu, accuser à nouveau ces traits que l'âge et la prospérité ont adoucis : entre un Lucilius ou un Juvénal et lui, la différence encore reste grande.

Le vrai satirique, celui qui l'est de naissance, par tempérament, est chagrin, amer, pessimiste, Il trouve le monde mal fait et mauvaise, en particulier, la société où il vit. Mécontent de ce qu'il voit, il se rejette vers le passé comme vers un âge d'or, dont il oppose les vertus à la corruption qui l'entoure. Horace, au contraire, a l'âme bienveillante; il est porté à prendre tout du bon biais. Il demande qu'on ait pour ses amis les yeux d'un père pour son fils ou d'un amant pour sa maîtresse, et qu'on juge leurs défauts avec la même indulgence, c'est-à-dire avec une indulgence aveugle (3). Comment aurait-il été très dur pour son siècle ? S'il lui est arrivé un jour de s'écrier : « Nos pères valaient moins que nos aïeux, nous valons moins que nos pères, nos descendants vaudront moins que nous (4) », c’est un lieu commun qu'il répète ou, comme cette déclaration est faite dans une ode, ce n'est qu'une opinion de circonstance. Car ses odes ne sont pas toujours l'expression vraie de sa pensée; il y est souvent poète officiel, et son rôle public l'amène à vanter un passé auquel il ne tient guère, comme à célébrer la vieille religion à laquelle il ne croit plus. Mais qu'on le lise d'ensemble; on ne voit pas, quand il parle en son nom, qu'il ait l'admiration, encore moins la superstition, de ce qui fut autrefois, ni qu'il regrette d'appartenir au temps où il est né. Il s'accommode sans trop de peine aux choses ; il accepte le présent, avec les imperfections inévitables des hommes. Loin d'être de ces esprits toujours aigres, que rien ne satisfait, après qu'il a reçu de Mécène la petite terre de Sabine, il déborde de joie : Hoc erat in votis... Bene est. Nil amplius oro (5). Il est pleinement heureux, et il le dit (6). Cette disposition à se contenter, à jouir de ce qu'on a, les événements qui tournent en votre faveur peuvent bien la développer, l'épanouir: ils ne la créent pas. Elle n'incline guère, on l'avouera, vers la satire.

Ajoutez que le satirique, devant le spectacle contemporain qui l'attriste, ne garde pas une attitude mélancoliquement résignée. Il se résigne si peu, que la vue des vices ou des ridicules ou des simples travers échauffe sa bile; l'indignation le saisit, lui monte à la gorge; il éclate en violences: facit indignatio versum. C'est une nature fougueuse, passionnée, impuissante à se maîtriser, incapable de mesure, bref, tout le contraire d'Horace. Et, sans doute, Horace était prompt aussi à se mettre en colère; il a été à ses débuts vif, hardi, même provocant. Il se dit irasci celerem (7); mais il ajoute immédiatement tamen ut placabilis essem. Voilà le point ; sa colère ne durait pas. Il n'avait pas l'emportement soutenu, le parti pris tenace, la verve agressive qui s'excite et se nourrit de sa fureur même. La réflexion arrêtait vite, le premier élan. Sa devise est modus in rebus (8), variante du ne quid nimis, comportait évidemment comme conséquence pratique de ne pas trop s'irriter. De bonne heure il a cherché cet équilibre de l'âme, que tout excès eût dérangé.

Et quelle raison aurait pu le jeter hors de lui, l'enflammer ? L'amour de la vertu ? Certes, la vertu lui paraissait bonne, même au temps de sa jeunesse ; il lui rendait hommage ; mais il n'allait point, surtout à cette époque, jusqu'à se passionner pour elle et se constituer son champion. — La haine d'un sot livre, qui animera Boileau ? Son goût, quoique très classique, était tout de même moins exigeant. — Une préférence pour un système, dont il fût tenté de combattre les ennemis ? Il n'avait pas de système. — La vanité blessée ? Quoiqu'il ne fût pas insensible aux piqûres, il les ressentait avec moins de vivacité que beaucoup d'auteurs, ses confrères, genus irritabile. Bien souvent il semble ne pas tenir à la gloire littéraire; il en fait bon marché. Il rabaisse son mérite et ne se donne pas pour poète. Ses satires sont de la prose rythmée, rien de plus : une conversation mise en vers. Il produit peu et s'en félicite. Quand par hasard il écrit, ce n'est pas pour la foule; quelques lecteurs lui suffisent ; il ne se soucie ni du bruit ni du public (9). Même si l'on retranche ce qu’il y a d'exagéré dans ces déclarations et d'un peu feint dans cette indifférence, il reste que son amour-propre n'était pas très chatouilleux.

Il n'avait donc rien, semble-t-il, de ce qui pousse un poète à se faire justicier et à s'armer d'un fouet vengeur pour défendre la conscience publique outragée ou son propre talent méconnu. Dans ces conditions, que pouvaient être, et que sont effectivement ses satires ? Des écrits dirigés contre les vices bien plus que contre les vicieux, des pièces à tendance morale et philosophique, c'est-à-dire où les idées générales dominent, où la partie proprement satirique, l'attaque personnelle, passe d'ordinaire au second plan. Car si l'on y relève encore des personnalités — et comment non ? à moins que l'œuvre n'ait plus aucune espèce de droit au titre qu'elle porte (10), — presque toujours ces personnalités, remarquons-le d'abord, n'arrivent qu’à propos et à l'appui d'une vérité morale. C'est cette vérité qu'il s'agit avant tout d'établir. L'essentiel, c'est la leçon. Le nom propre sert à la rendre plus vivante et à la mieux graver dans l'esprit (11) : vieille habitude qu'Horace doit à son père et dont il s'est bien trouvé pour son compte. Ce père, excellent homme plein de sens, pour détourner son fils de mal agir, ne se perdait pas en considérations théoriques ; il lui montrait, dans la personne de tel ou tel individu corrompu les conséquences de la mauvaise conduite (12). Horace reprend le procédé à l'usage d'autrui. Il n'attaque donc pas, quoi qu'aient prétendu ses ennemis (13), pour le plaisir de nuire, ni par goût de la médisance et méchanceté pure; ce n'est pas non plus pour lui, ce n'est presque jamais, occasion de satisfaire quelque colère ou rancune; c'est surtout un moyen un peu rude, mais salutaire, d'instruction. Il accomplit « une besogne morale (14) » en démasquant les coquins, il veut faire « œuvre de salubrité publique ». Par là, c'est un moraliste, avant d'être un satirique. Même dans la satire I, 2, une de celles qui contiennent le plus de noms propres, celle qui est la plus vive en tout cas, et dont les coups portent le plus haut (l'auteur les dirige jusque contre Cupiennius Libo et Sallustius, grands personnages, amis d'Auguste), la morale fait le fond de la pièce, et les attaques ont pour but d'illustrer l'enseignement. Du spectacle de la folie des hommes en toutes choses, en amour comme dans le reste, se tirent des conseils de modération et de prudence : fuir les excès quels qu'ils soient, éviter les plaisirs défendus, s'en tenir aux indications de la nature, distinguer les besoins vrais des besoins factices, le nécessaire du superflu, la réalité de l'illusion (15).

Il y a plus. Cette liberté même que prend Horace de citer les vicieux, liberté rendue légitime et louable par le but poursuivi, avec quelle modération relative il en use ! Combien d'avares, de prodigues, de débauchés n'avait-il pas dans l'esprit, qu'il pouvait désigner en toutes lettres, qu'il s'est abstenu de nommer ? Très souvent il laisse le vice ou le travers anonymes. Non point, certes, par crainte de l'édit du préteur qui visait les propos satiriques (16). En ce cas, il se fût interdit avec soin toute personnalité. Mais l'édit punissait seulement la diffamation, la dénonciation calomnieuse. Et lui, Horace, diffamait-il ? Il se contente, selon son expression, d'aboyer aux pervers; les individus qu'il a en vue sont notoirement décriés (17), désignés à ses attaques par la réprobation et le mépris unanimes. Qu'a-t-il à redouter du magistrat ? S'il aime mieux taire les noms propres, il faut chercher à cette préférence une autre raison.

Dira-t-on que c'était, de sa part, scrupule littéraire, souci d'introduire de la variété dans son œuvre, parce que le procédé de citation directe, appliqué constamment, eût provoqué la fatigue et l'ennui (18) ? Il ne s'agit pas assurément de tomber dans l’excès. Mais Horace, tout de même, est bien réservé; il abuse de la discrétion ; il pouvait impunément augmenter la dose satirique, sans que le lecteur s'en plaignit, et grossir son défilé de noms propres, sans craindre qu'on le trouvât monotone. Pourquoi, par exemple, dans la satire I.  2 qui roule sur la manière de se conduire en amour et le choix à faire d'une maîtresse, ne rend-il pas plus particulières, en mentionnant quelques victimes, les infortunes qui attendent les adeptes de l'adultère (19) ? Il n'a pas inventé les aventures dont il parle ; il en connaissait les tristes héros ; il s'est gardé de les livrer à la curiosité de la foule. Pourquoi dans la satire I, 4, quand il énumère les principaux vices qui tombent sous les coups du genre, le seul Albius est-il désigné (20) ? Anonymes encore, ces liseurs infatigables de leurs propres vers, poètes affamés de réclame, fous de vanité (21), ou l'envieux à l'âme noire qui distille son venin sur l'ami absent (22). Anonyme le stoïcien de la satire I, 3, qui est pourtant l'objet d'une assez longue apostrophe (23). Anonyme même l'importun bavard de la satire I, 9, bien qu'il joue dans la pièce le rôle principal.

Ici le silence gardé sur le personnage réel est d'autant plus singulier que l'attaque, après tout, n'était guère méchante. Il ne s'explique que par une intention arrêtée de l'auteur, qui est de généraliser en une certaine mesure l'anecdote et de l'élever jusqu'à lui donner une valeur typique. Il ne manquait pas, dans les rues de Rome, de fâcheux de cette espèce. L'aventure arrivée à Horace avait dû arriver à bien d'autres. S'il ne l'a point particularisée, c'est pour laisser chacun libre de mettre, sous l'amusant récit qui lui est proposé, le nom que sa mémoire lui rappelle.

Déjà dans l'emploi des noms propres, j'indiquais tout à l'heure cette tendance au général; l'individu était cité non seulement pour lui, mais pour toute la série de ses pareils; il était un représentant, un exemple-type. La tendance s'accommode bien mieux, on le comprend, de la suppression du nom propre. Elle s'accommodera mieux encore, procédé tout voisin, de l'introduction d'un anonyme imaginaire ou de la substitution du pluriel au singulier. L'interlocuteur fictif surtout, cet adversaire que le poète se suscite, interpelle, avec lequel il discute, reviendra fréquemment dans ses œuvres (24) ; il a l'avantage de leur laisser un tour vif, animé, dramatique. Mais singulier collectif ou collectivité exprimée par le pluriel, peu importe. C'est à des catégories sociales que, de proche en proche par la pente même de sa nature, Horace est ainsi conduit à s'en prendre. Son observation demeure toujours précise; elle part de la réalité concrète d'individus déterminés - car il faut bien étudier l’homme quelque part, et sur tel ou tel de ses contemporains, dès qu'on ne l'étudie pas sur soi-même; — mais la traduction de ces observations est générale et s'étend à tous les hommes d'un groupe ou d'une classe. Et cela encore est la tournure d'esprit d'un moraliste plus que d'un satirique. Le satirique ne quitte pas le particulier, le nom propre, l'allusion personnelle, la désignation directe; le moraliste généralise.

Telles sont, ou peu s'en faut, les dix pièces du premier livre, que j'ai seules envisagées jusqu'ici. Celles du second achèvent de nous montrer le peu de goût qu'Horace avait pour la satire violente, autant dire pour la satire tout court. Il y est plus sobre encore de personnalités (25). Les noms propres qui subsistent, sont souvent ceux de gens, ou déjà morts quand il les cite (26) ou appartenant à des générations elles-mêmes disparues (27) ; il va reprendre certains d'entre eux jusque chez Lucilius, pour en faire comme des types traditionnels (28). D'autres enfin sont tirés de plus loin et remontent à l'épopée ou à la tragédie grecques : la leçon aux vivants est présentée sous le couvert de noms mythologiques (29). Que ces emprunts à la fable soient un procédé d'école et une tradition stoïcienne, rien ne prouve mieux, que l'adoption du procédé, les préférences d'Horace pour la critique indirecte et générale.

Au total, ce qui finit par l'emporter dans son œuvre, c'est l'emploi de ce qui garde aux railleries un caractère anonyme et collectif. Éviter de désigner ses victimes (30), user de quelque dénomination vague (hic, ille, quidam, si quis) et mettre dans le personnage indéterminé ce qui vaut pour un grand nombre, attaquer en masse les vicieux de son temps, disons les vicieux de tous les temps (31), les fous de ce monde, les éternels malades de l'âme ou des sens, voilà de plus en plus son système; faire la satire des défauts, non celle des individus, voilà de plus en plus son objet. C'est maintenant surtout qu'il réalise sa conception du genre, telle qu'il l'exprimait dès la fin du premier livre : se retenir dans l'offensive, ne pas donner toutes ses forces, en sacrifier une partie, remplacer la violence brutale par un ton de fine plaisanterie. Or quel meilleur moyen de modérer ses attaques que de les tourner contre tous les hommes ? On s'irrite contre une personne; on est plus calme, quand il s'agit de l'humanité entière.

Le résultat de la méthode, nous le trouvons dans la satire II, 6, une des plus charmantes du recueil (32). Cette œuvre, toute de vivacité plaisante dans le récit des tracas qui assiègent Horace à la ville, pleine de grâce émue dans les confidences du poète et l'effusion de ses sentiments rustiques, relevée de gravité vers la fin par les entretiens moraux des honnêtes paysans qu’il réunit le soir à sa table, une telle œuvre d'où l'attaque personnelle est, on peut dire, complètement absente (33), n'est plus du tout une satire. Nous sommes sur la voie des Épîtres; mieux que cela, et sauf qu'elle n'a pas de destinataire désigné (encore est-elle remplie de la pensée et du nom de Mécène), c'est déjà une véritable épître. La soudure est faite entre les deux genres. Pour parler exactement, elle s'est faite d'elle-même. Il n'y avait pas, il n'y avait jamais eu, de différence radicale d'un genre à l'autre: l'élément moral et didactique avait toujours été prépondérant. Lorsque l'autre élément, agressif et personnel (élément secondaire, mais qui existait, surtout à l'origine), après s'être effacé chaque jour davantage, eut enfin disparu, lorsque la morale resta seule ou presque seule, cela devint et s'appela l'épître; mais sous un autre nom (34) et avec des différences de forme (35), c'était au fond à peu près la même chose. L'épître n'est donc pas pour Horace un type entièrement nouveau qu'il invente. Elle continue l'œuvre antérieure en hexamètres; elle sort de la satire, naturellement, parce que celle-ci était traitée, en somme, d'une manière assez peu satirique (36).

Mais les Épodes, objectera-t-on ? Ne sont-elles pas de l'invective, et passionnée, âpre, mordante, terrible, comme ce mètre où elles sont écrites, l'iambe, trait ailé qui s'enfonce dans la plaie (37) ? Quelques-unes même n'ont-elles pas une brutalité extraordinaire; à défier toute traduction ? Et comment accorder d'aussi furieuses colères avec ce goût de la modération et du calme, cette surveillance de soi, cette recherche de l'équilibre intérieur, qui nous ont été présentés comme étant le fond de l'âme du poète ? Horace n'aurait-il pas eu une première période, courte peut-être, mais non point négligeable, celle des Épodes 8, 12, 4, 5, 6 et 10 (38), où par la vigueur de l'attaque et l'audace du langage il ne l'a cédé à aucun autre satirique ? C'est ici qu'il faut faire la part des circonstances.

Songeons en quel état, après sa triste équipée de Macédoine; il rentrait à Rome: proscrit, attendant sa grâce du vainqueur (39), ruiné dans ses espérances, ruiné dans ses biens (40). Il voyait le territoire de Venouse livré aux vétérans, son patrimoine confisqué. Plus de maison, plus de champ; c'était la pauvreté, sinon la misère. Il payait cher la noble amitié dont l'avait honoré Brutus et la fortune soudaine qui l'avait élevé, lui fils d'esclave, au rang de tribun militaire, chef de légion (41). Le voilà maintenant réduit, pour vivre, à prendre une charge de scriba quaestorius. (42) Jonction honorable en soi, mais exercée quelquefois par des gens douteux et d'anciens histrions sifflés au théâtre (43). Or il n'était pas homme, comme Virgile, dépouillé lui-aussi, à se contenter de gémir. Nature plus chaude, son premier mouvement fut de se révolter contre le sort qui le frappait. Notez qu'il n'était point, comme Virgile, frappé injustement. Son malheur était bien sa faute: il s'était fourvoyé dans un parti qui n'était pas le sien. Avait-il voulu, en embrassant avec bruit une cause aristocratique, faire oublier à tous ces fils de grands seigneurs qu'il fréquentait à Athènes, son humble origine ? Avait-il été conquis par le sympathique Brutus, qu'on n'approchait pas sans émotion? Avait-il eu quelque velléité d'ambition personnelle et cherché, selon sa vive expression, à sortir de sa peau (propria pelle, (44)) ? Toujours est-il qu'il venait, lui si sage plus tard, de commettre une sottise, et qu'il en était responsable. Le pis, c'est qu'il le sentait et, comme il arrive presque toujours, cela même l'exaspérait, – redoublait sa colère. Il aurait dû être mécontent de lui ; il était surtout mécontent des autres. Il mourait d'envie de trouver quelqu'un sur qui décharger sa bile. La pauvreté le rendait audacieux (45); les mécomptes le poussaient à être cruel. L'arme de l'invective se trouvait à sa portée; il la voyait maniée sous ses yeux ; il la saisit.

Dans l'atmosphère troublée, orageuse, au milieu de laquelle on vivait depuis la mort de César, les attaques directes contre les personnes s'étaient déjà présentées sous la plume de ceux qui écrivaient. Le temps était aux violences. Trebonius, un des meurtriers du dictateur, traversant Athènes, deux mois après les ides de mars 44, pour aller prendre possession de son gouvernement d'Asie, adressait à Cicéron des vers dont la liberté était autorisée, disait-il, par l'exemple de Lucilius et justifiée par l'infamie du personnage, objet de cette invective. Il ajoutait : « Lucilius a pu, autant que nous, haïr ses victimes; mais les méchants de ce temps-là ne valaient pas ceux du nôtre (46) ». C'était donc une satire, et virulente. Nul doute que répandue, à Athènes même, par le tyrannicide de passage, désireux de recruter des partisans, elle n'ait été très lue des jeunes Romains; cette frémissante jeunesse, tout en achevant son éducation à l'école de la philosophie grecque, suivait avec ardeur les événements politiques. Si Horace, comme il est naturel au milieu de telles circonstances, reçut de la pièce de Trebonius une forte impression, il dut se rappeler ce précédent et l’avoir devant les yeux, quand l'idée lui vint quelque temps après d'écrire à son tour.

N'oublions pas non plus que, pour un auteur qui cherche à être vite connu, frapper brutalement autour de soi et faire crier ceux qu'on maltraite, est le meilleur moyen de fixer l'attention du public. Combien de débutants ne sont pas fâchés de débuter par le scandale ! Un peu, ou même beaucoup d'éclat, leur paraît la bonne façon d'entrer dans la carrière. Qu'Horace, avec son impatience d'alors, ait pensé de la sorte, ce n'est pas pour nous étonner. Succès bruyant, succès rapide, il envisageait donc aussi tout cela, en donnant libre cours aux imprécations des Épodes: les intérêts de sa réputation se confondaient avec la satisfaction de ses colères.

Enfin, qui dira, chez un jeune homme enclin à imiter comme sont tous les jeunes gens, jusqu'où ne peut aller, même avec un fond d'emportement sincère, l'influence du modèle qu'il imite ? Et n'y a-t-il pas une part à faire ici, chez Horace, à l'imitation d'Archiloque ? J'inclinerais à le croire. Non pas que les iambes soient de simples exercices poétiques. Les personnages y sont réels, les événements en question ont eu lieu. Parfois cependant, la disproportion est vraiment bien grande entre le motif de l'indignation et le débordement d’outrages qu'elle amène. Horace peut-il sérieusement, sans être tenté de sourire, injurier comme il fait cet ancien esclave que les troubles civils ont poussé au grade de tribun militaire (ép. 4) ? Il faut alors, chose invraisemblable, qu'il ait complètement oublié sa propre histoire. Et quelque envieux que soit un rival, mérite-t-il qu'après lui avoir souhaité naufrage, on savoure par avance, avec une sorte de joie féroce, le spectacle de son cadavre rejeté sur le rivage et servant de pâture aux oiseaux du large (ép.10, v.21 sqq.) ? Ces attaques sont excessives ; elles sont incompréhensibles, s'il n'y entre une part de « littérature ». L'iambe depuis Archiloque, depuis la tragique aventure de Lycambès et Néobulé contraints par les railleries du poète à se pendre de désespoir, avait acquis un renom d'impitoyable cruauté; il semblait qu'il dût mordre et déchirer l'adversaire. Et c'est ainsi que la haine étonnante dont Horace poursuit ses ennemis, est en partie une haine conforme aux traditions du genre. Lui-même nous en avertit, quand à la fin de l'épode 6 il se réclame d'Archiloque et d'Hipponax, les maîtres qui lui ont enseigné comment on se venge (ép.6, v.11 sqq.). Il entend rivaliser de fureur avec eux ; sa corne est toujours levée, prête à frapper, et à l'offense, petite ou grande, il ne répond qu'en blessant à mort. Plus tard encore ne dira-t-il pas qu'avec le mètre il a pris au poète de Paros sa fougueuse passion, comme si l'une était inséparable de l'autre (47) ?

Mais ce qui achève de faire croire que de pareilles violences sont forcées et voulues, c'est qu'à peine a-t-il changé de mètre, le ton dont il s'exprime change, lui aussi ; c'est qu'il écrit dans le même temps des Satires proprement dites, d'un caractère bien différent, où il donne des conseils de vie pratique avec une singulière possession de soi et semble, parlant des choses de l'amour, presque trop raisonnable pour son âge (48), satires réfléchies et calmes d'ordinaire; qui s'opposent nettement à l’agitation des iambes ; c'est enfin que dans les Épodes elles-mêmes, il se lasse assez vite d'être ou de paraître exaspéré. Car il s'en faut que toutes les épodes soient traitées sur le mode des premières, et en dépit des lois ou des habitudes de la poésie iambique, le tempérament du poète est le plus fort. Après l'explosion furieuse des débuts, le sens de la mesure ne tarde pas à renaître. Déjà même l'épode 13, que je considère comme relativement ancienne (49), n'est plus une invective. Horace est triste de sa déconvenue politique, mais il commence à se résigner; il veut surtout oublier. Une simple et discrète allusion à l'état de choses actuel lui suffit. « N'en parlons plus, dit-il à ses amis; les dieux ramèneront peut-être des jours plus propices. En attendant, loin de nous les soucis ; amusons-nous et buvons. » Tel est le thème, qui conviendra également à ses chansons, quand il se sera mis à l'école des poètes de Lesbos (50).

A plus forte raison, les pièces qui viennent après l'épode 13 ont-elles perdu l'âcre saveur de leur origine. Il dépeint maintenant son pauvre cœur amoureux, incapable, quand la passion le tient, de songer à autre chose que l'amour (51). Ou bien il raille, mais sans amertume, Alfius et ses pareils qui, pour s'être un instant engoués de la campagne, se croient devenus campagnards, incorrigibles citadins au fond, que leurs affaires reprennent au plus vite (52). Et quant aux dernières épodes, qu'y trouvons-nous ? Des regrets sur les guerres civiles et un héroïque conseil donné aux Romains de quitter leur ville pour chercher ailleurs une patrie (53), de tendres craintes à la pensée que Mécène affrontera les dangers de la campagne contre Antoine (ép.1), une invitation à se réjouir quand arrive la nouvelle de la victoire d'Actium (ép.9), tous sentiments vifs à coup sûr, mais qui n'ont plus rien d'agressif. Ils pouvaient s'exprimer dans les strophes d'un lyrisme familier aussi bien que sous la forme de l'iambe. Ils s'y exprimeront en effet (54). L'épode met Horace sur la voie de l'ode, comme la satire le menait à l'épître. Tout procède chez lui par transitions et degrés, régulièrement, avec ordre.

Pour nous en tenir aux Épodes, on voit donc, autant qu'on peut suivre la chronologie de ces pièces, que l'inspiration d'Archiloque, du mordant et terrible Archiloque, s'y montre de moins en moins directe, pour ne plus être à la fin qu'un reflet assez effacé. Faut-il croire que le désir de se renouveler et de diversifier l'œuvre est la cause de ce changement ? Sans doute Horace n'aime pas à se répéter. S'asservir à un modèle, à un genre unique, n'est pas son affaire, et il a toujours détesté les imitateurs, prisonniers de leur imitation. Mais ce goût de la variété n'expliquerait pas, à lui seul, que les épodes les plus brutales soient précisément les plus anciennes et, d'autre part, qu'on n'en rencontre plus de cette sorte parmi celles qu'on peut regarder avec probabilité comme étant les dernières (55). Non ; la grande, la vraie raison, c'est qu'au fond il répugnait aux violences. Il a pu, à son retour de Macédoine, s'y laisser entraîner quelque temps, excité par sa jeunesse, momentanément aigri par les déboires ; il ne demande qu'à y renoncer. Ses colères ne survivent pas aux motifs qui les avaient provoquées. C'est la preuve qu'elles n'avaient pas de racines bien profondes. Un satirique né trouve toujours des raisons d'être en colère. Non pas Horace. Quand il est connu, admis dans le cercle de Mécène et que sa situation s'améliore, son âme s'apaise; la période des haines vigoureuses, et souvent injustes, a pris fin. Les circonstances l'avaient jeté hors de lui-même ; en quittant l'invective, il revient à sa nature, ennemie des excès. Les pièces si âpres du début, l'aventure elle-même de Philippes, cause première de cette âpreté, n'ont été qu'un accident et comme un hasard dans sa vie.

Ainsi l'objection tirée des Épodes n'a pas l'importance qu'on était tenté de lui attribuer tout d'abord, et nous sommes ramenés à notre conclusion antérieure : Horace a modifié la satire pour l'accommoder à son génie. Quand, vers l'an 35 (56), il formulait la règle à laquelle il entendait désormais se tenir (et s'est tenu, sauf exception de plus en plus rare), quand il déclarait qu'il fallait écrire pour une élite, non pour la foule, user de ménagements dans l'attaque, piquer sans enfoncer, railler sans injurier, ne point forcer la voix; fuir le ton, les gestes, les manières déplacées en bonne compagnie, demeurer homme de goût et homme du monde (urbanus) (57), c'est la théorie de son propre tempérament qu'il faisait; il érigeait sa modération naturelle en système. Mais, je le répète, que devenait la satire, au sens vrai, plein et fort du mot ? Elle devenait une petite scène de comédie, un mime de Sophron, un dialogue philosophique, un récit, une confidence, un prétexte à réflexions générales ; bref, elle devenait beaucoup de choses, qui n'étaient point de la satire. Notamment – car il y faut insister, – elle s'acheminait vers une conversation aimable, souriante, spirituelle sur quelque point de morale pratique; elle tournait à l'épître, et la pièce Hoc erat in votis doit être envisagée comme faisant la transition d'un genre à l'autre. Vienne le progrès des années, amenant la maturité, l'expérience de la vie, l'autorité nécessaire, et quand, après sa période d'activité lyrique, Horace abordera l'épître, il se trouvera tout de suite à son aise dans un genre qui semble avoir été fait exactement pour lui, à la mesure de ses qualités charmantes, et où nul ne l'a égalé, pas même Voltaire.

Ne pourrait-on même prétendre, allant plus loin, que l'épître, où il a rencontré le meilleur emploi de son talent, était aussi le seul des genres qu'il a traités, pour lequel il fût réellement né ? Nous avons vu ce qui lui manquait du côté de la satire, disons d'un mot le tempérament. Dans l'ode, qui succède à la satire, il lui manque l'émotion et l'élan proprement lyriques; il est plus savant qu'inspiré, il a peur des grands sentiments ; c'est déjà l'homme du nil admirari, alors qu'on lui voudrait de l'enthousiasme, un peu du délire sacré qui transporte le poète sur les cimes. Et il lui manque aussi bien souvent, dans l'exécution, l'ampleur de la forme. Non qu'il ait négligé de chercher celte ampleur; il se rend compte que c'est une des qualités essentielles des lyriques grecs; mais il y atteint malaisément, d'abord parce que, comme il le dit lui-même, il a reçu des dieux un souffle assez court (spiritum tenuem) (58), puis parce que la langue latine n'est qu'un médiocre instrument pour chanter. Lourde par ses conjonctions et toutes les articulations du discours (ac, atque, atqui, quod si, etc.), qui marquent avec insistance le rapport logique des idées et jettent des formes de raisonnement, là où ces formes n'ont que faire (59), elle est encore alourdie par ses déclinaisons dont certains cas sont foncièrement rebelles à toute poésie (60). Elle convient à la prose, à l'éloquence surtout; ce n'est pas une langue qui ait des ailes. Horace a donc un double effort à entreprendre, quand il veut s'élever vers les parties hautes du lyrisme, effort sur lui-même et contre sa nature, effort contre les résistances de la langue qu'il tâche d'assouplir en la modelant davantage sur le grec (61). Et il lui arrive de l'assouplir; mais il lui arrive aussi de marquer l'effort, de donner la sensation du travail et même de la gêne, d'avoir une phrase moins ample que longue et des propositions ou des strophes assez péniblement enchaînées (62).

Voilà pourquoi je ne suis pas convaincu, malgré un récent et chaleureux plaidoyer (63), que le véritable Horace se trouve dans les œuvres solennelles, dans les grandes odes patriotiques et religieuses. Son triomphe me parait bien être, selon l'opinion courante, la chanson courte et gracieuse, l'ode légère, la pièce di mezzo carattere, avec sa morale aimable, qu'il anime d'un peu de galanterie et encadre dans quelque tableau de la nature. Or, de toutes les formes de la poésie lyrique, c'est justement cette variété simple et familière, qui demandait le moins de lyrisme.

Qu'après cela, les poèmes civiques demeurent la partie à laquelle les Romains attachaient le plus d'importance, que ce soient eux qui aient fait la gloire du poète en son temps, peu importe. Il s'agit de savoir, non pas si Horace a répondu à l'attente de ses concitoyens, mais à quoi il était le plus propre. Dès lors le doute n’est guère possible. Il se connaissait à merveille, et l'on sait comment il se juge. Il se compare à l'abeille qui ne craint pas la fatigue; il se dit poète surtout laborieux (64). Et ce ne sont ni paroles de modestie ni paroles imprudentes qui lui seraient échappées par hasard. L'aveu n'est pas isolé; il l'a exprimé à maintes reprises, sous des formes diverses (65). Chose décisive, il y est revenu, même après s'être essayé dans le genre grave. Le succès de ses grandes odes ne l'a point fait changer d'avis. Rome a beau l'avoir applaudi, être fière de lui; dans la dernière pièce du IVème livre, qui est à tout le moins une des dernières en date, il continue de prétendre qu'il n'a qu'un frêle esquif, bon pour côtoyer le rivage et non pour affronter la haute mer (parva vela, (66)). Reste qu'il était artiste; son goût l'a sauvé. Par le soin même qu'il apporte à sa tâche, il rachète dans le détail les imperfections de l'ensemble. Il a la curiosa felicitas, le bonheur d'expressions, résultat du travail. Les odes les moins bien venues ont encore des morceaux dignes de plaire aux plus délicats.

Singulière carrière poétique, en somme, et dont la volonté a décidé plus que le tempérament. Tout ce qu'il a fait avant les Épîtres, Horace l'a fait par jugement réfléchi plutôt que par élan spontané ou vocation profonde (67). C'est pour l'avoir voulu qu'il a réussi, même là où ne le portait point sa nature. Avec l'Épître au contraire, plus de gêne, de contrainte; d'effort; il est pleinement rendu à lui-même. Une correspondance intime, une étroite affinité existe entre l'homme et l'œuvre à laquelle il s'applique. Et sans doute l'intérêt est grand de voir jusqu'à quel point il s'est tiré des difficultés que lui opposaient les genres antérieurs, comment il a ramené la satire et l'ode aux régions moyennes et tempérées qui sont les siennes ; mais il vaut mieux encore assister au libre épanouissement de ces facultés moyennes : mesure, goût, réflexion, choix, bonne grâce ; esprit, dans une œuvre qui est faite d'elles, pour ainsi dire, tout entière.


 
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— NOTES —

(1) Il faut excepter cependant les satires dialoguées II, 1, 3, 7. Mais deux fois au moins (Sat. 3 et 7), s'il figure dans le dialogue, c'est pour se faire dire de dures vérités par l'interlocuteur. Voilà une originale façon de « se mettre en scène ».
 
(2) Ep. II, 2, 211.
 
(3) Sat. I, 3, 38 sqq. - Pour M. Cartault (Étude sur les Satires d'Horace, p. 351), pour M, Lejay (Satires d'Horace, éd. in-8, p, 62), le poète a « des motifs particuliers, alors, de se montrer tendre pour ses amis»; c'est « une attitude » dictée par les circonstances. Mais, tout de même, aucun motif particulier ni aucune circonstance spéciale ne mettraient dans la bouche d'un satirique né cette théorie, qu'on doit entre amis « pousser l'indulgence jusqu'à la flatterie, jusqu'à l'erreur volontaire» : vellem in amicitia sic erraremus (v. 41).
 
(4) Carm. III. 6, 46 sqq.
 
(5) Sat, II, 6, 1-4.
 
(6) Cf. encore Sat. II, 6, 3-4 : auctius atque Di melius fecere; Epod. 1,31-33 : Satis superque me benignitas tua Ditavit; Carm. II, 18, 14 : Satis beatus unicis Sabinis.
 
(7) Ep. I, 20, 25.
 
(8) Sat. I, 1, 106.
 
(9) Sat. I, 4, 17-18; 22-23; 39-42; 71.74; - I, 10, 73-74.
 
(10) Quel titre Horace avait-il lui-même donné à ses satires? Il est impossible de le savoir (Cf. Lejay, ouv. cit., p. CIII-CV). Eclogae est une tradition d'école. Sermones s'applique aux Épîtres comme aux Satires (Ep. II, 1, 250); le mot a le sens général d'œuvres voisines de la prose, de conversations familières. Satura, saturae n'était peut-être pas non plus le titre du recueil; mais il nous suffit que tantôt Horace désigne ainsi le genre (Sat. II, 1, 1) et tantôt ses diverses satires particulières (Sat. II, 6, 17).
 
(11) Que ces noms ne soient point fictifs, mais représentent pour la plupart des personnages bien réels, c'est ce qui n'est pas douteux d'après Sat. I, 4, 92. (Cf. Cartault, ouv. cit., p. 288 et tout le chapitre VII où la question de l'emploi des noms propres est traitée à fond.)
 
(12) Sat. I, 4, 105 sqq. - Franke remarque (Fasti Horat., p. 8, n. 7, que c'est aussi la méthode du vieux Demea dans les Adelphes de Térence, III, 3, 59 sqq.
 
(13) Sat. l, 4, 78 ; laedere gaudes,... hoc studio pravus facis; et déjà ibid. 34 : faenum habet in cornu, longe fuge...
 
(14) Cartault, ouv. cit., p. 286.
 
(15) Sat. I, 2, 73-76, 111-114.
 
(16) Sat. II, 1, 82-83 : Si mala condiderit in quem quis carmina, ius est Iudiciumque. Il ne s'agit pas dans ce passage, comme on le croit d'ordinaire, de la loi des XII Tables, mais d'un édit du préteur (cf. Lejay, ouv. cit., p. 285 et suiv.). La loi des XII Tables condamnait bien les carmina; le coupable était même mis à mort more maiorum, c'est-à-dire battu de verges avant l'exécution. Seulement à cette époque le mot Carmina signifiait les incantations et non les écrits diffamatoires. Les mala carmina étaient donc « les attaques de caractère magique » - Il est vrai qu'Horace s'est trompé sur le sens du mot carmen dans l'Epître II, 1, 153. et avant lui déjà Cicéron dans le De re publica IV, 12. Mais dans la Satire II, 1, Horace ne paraît pas faire allusion à la loi des XII Tables. Les expressions très précises dont il se sert, ius iudiciumque, indiquent qu'il songe à un procès civil et non pas criminel. C'est en effet devant le préteur d'abord (1ère. phase du procès ius), devant le juge ensuite (2ème phase iudicium) que pouvait le poursuivre toute personne nommée qui avait à se plaindre (voir les textes cités dans Lejay, p. 286).
 
(17) Sat. II, 1, 85 : opprobriis digni.
 
(18) Cartault, ouv. cit., p. 289.
 
(19) Sat. I, 2, 37-46.
 
(20) Sat. I, 4, 21-38.
 
(21) Sat. I, 4, 74 sqq.
 
(22) Sat. I, 4, 79 sqq.
 
(23) Sat. I, 3, 124-142.
 
(24) Cartault, ouv. cit., p. 142-153. - M. Lejay a essayé de restreindre la part de l'interlocuteur fictif (ouv. cit., p. XXIII-XXVI, 69, 107, 326, 362, 455), mais pour faire plus grande celle de la deuxième personne didactique. C'est dire, dans un cas comme dans l'autre, que nous retrouvons toujours cet emploi du général, de l'indéterminé, familier aux moralistes, caractéristique d'Horace en particulier.
 
(25) Voir le calcul dans Cartault, ouv. cit., p. 303.304.
 
(26) Cf. Sat. II. 3, Stabérius (v. 81 et 89), Opimius (v. 142), Arrius,(v. 243), Marius (v.277), Menenius (v. 287).
 
(27) Fait curieux: la Satire II, 1 est, d'après M. Cartault (p. 304). celle du second livre où il y a le plus de noms propres (1 pour un peu plus de 12 vers); or beaucoup de ces victimes appartiennent à la génération précédente.
 
(28) Gallonius; Sat, II, 2, 47; Pacideianus, II, 7, 97; peut-être le Nomentanus de la Sat. II, 8 (Cartault, p. 288, n. 3).
 
(29) Sat. II, 3, Oreste, v. 133 sqq., Agamemnon, v. 187 sqq., Agavé, v. 303 sqq.; Sat. II, 5, Ulysse et Tirésias.
 
(30) Cf. par ex. Sat. II, 5. Les types de dupeurs et de dupés y figurent en grande quantité et forment une double galerie de portraits (Cartault, p. 300); or il y a 3 noms propres en tout pour 110 vers.
 
(31) Parfois le vice (avidité, gourmandise, ambition, etc.) prend une forme plus proprement romaine (voir la chasse aux testaments de la Sat. II, 5). Mais le vêtement particulier qu'il reçoit à une époque, ne cache pas ce qu'il y a en lui d'éternel.
 
(32) On pourrait presque remonter jusqu'à la Satire I, 6, qui, adressée à Mécène, est déjà une épître, au moins par le cadre et quelques-unes de ses qualités essentielles.
 
(33) Deux noms seulement, dans une pièce de 117 vers, sont employés avec une intention de moquerie (Roscius, v. 35; Arellius, v. 78). Et quelle moquerie! A peine une légère malice.
 
(34) Le titre du recueil est epistulae dans les mss. et chez les scoliastes.Horace dit aussi sermones (Ep. II, 1, 250), mais sans doute pour caractériser seulement le ton du genre. Suétone, Vit. Horat., p. .46, Reiffersch.) se sert de sermones, qui paraît bien designer les Épîtres, et de ecloga.
 
(35) Satires et Épîtres, les unes et les autres sont des sermones, des conversations, mais avec la différence qu'il y a, d'une conversation qui demeure parlée, à une conversation mise ensuite par écrit. Celle-ci, quoique familière encore, est tout de même plus surveillée, car la plume va moins vite que la parole et la réflexion a le temps d'intervenir. De là moins de négligences et de licences, un style plus châtié, une versification plus soutenue.
 
(36) M. Lejay (ouv. cit., p. XLVII-LXXV) fait dépendre étroitement la satire romaine de la comédie ancienne des Athéniens, c'est-à-dire qu'il lui donne un caractèrc nettement satirique, et il s'appuie sur un passage de la satire I, 4 (v. 1 sqq.), où semble attestée cette dépendance. Je répondrai: 1° Il faut distinguer, plus que ne l'a fait M. Lejay, entre la satire d'Horace et celle de Lucilius. - 2° Pour Horace même, il faut distinguer entre les premières satires et les dernières ou, si l'on veut, entre le premier livre et le second. - 3° Même dans le premier livre, il faut distinguer entre les principes et l'application. La 4ème satire expose la théorie de l'attaque nominative. Mais la 5ème, qui est un simple récit de voyage, la 6ème, qui est une lettre d'affaires personnelles et de confidences, la 9ème, qui est la peinture d'un caractère dans le cadre d'une petite action, ne semblent pas en tenir grand compte. - 4° La satire I, 10, expose une théorie contraire, à savoir que plus fait plaisanterie que violence (v. 14-15), - 5° Ne peut-on pas alors se demander, si la doctrine de la satire I, 4 exprimait la véritable pensée d'Horace ? Horace s'est attiré des ennemis avec la satire I, 2. Même quand on n'atteint que peu de personnes, les victimes trouvent toujours qu'on a été trop loin; et la satire Ambubaiarum collegia en atteignait, reconnaissons-le, un assez grand nombre; elle avait causé du scandale. Horace veut se défendre en invoquant des précédents, et il se couvre de l'exemple d'Aristophane. Sa théorie est surtout une théorie do circonstance. - 6° Il trouvait établi depuis Lucilius ce rapport entre la satire romaine et la comédie ancienne. C'était comme une tradition du genre. Il l'accepte et la reproduit, avec d'autant plus d'empressement qu'elle servait sa justification du moment.
 
(37) lambus est carmen maledicum, Diomed. III, p, 485, 11, Keil. Cf. aussi Tac. Dial. 10: iamborum amaritudinem; Quintil. X, 1, 96: iambus cuius acerbitas... in Horatio reperietur. - Le mètre proprement épodique est une combinaison iambique, constituée par un trimètre et un dimètre qui alternent. Or le court et rapide dimètre associé au trimètre est comme ces plumes qu'on ajoute au trait, qui le font voler plus vite et pénétrer plus avant. Puis les deux vers, groupés en distique, forment une petite strophe; c'est un élément de lyrisme, qui donne à l'injure quelque chose d'ailé; la méchanceté native de l'iambe en reçoit plus de vivacité impétueuse. Le terme de iambi, le seul dont Horace se soit servi, caractériserait donc beaucoup mieux ces sortes de pièces que celui d'Épodes, invention des grammairiens postérieurs. - Le nom d'Épodes a été étendu à d'autres combinaisons, où l'iambe a encore sa place. Il n'y a que l'épode 12 où l'iambe ne figure pas; mais elle est écrite dans le mètre alcmanien, où l'ironie prend une remarquable vigueur.
 
(38) Quoiqu'il soit malaisé d'établir la chronologie des iambes, je range les pièces 8 et 12 parmi les plus anciennes; elles sont du même temps que la liaison d'Horace avec la grecque Inachia (l'épode 12 le dit formellement v. 14, et d'autre part les épodes 8 et 12 semblent bien viser la même vieille débauchée); or la liaison avec Inachia dut être une des premières d'Horace, lorsqu'il revint de Macédoine après la bataille de Philippes (fin de l'année 42). - L'épode 10 est à rapprocher de l'églogue 3 de Virgile; les deux œuvres attaquent, celle-ci en passant, celle-là avec fureur, le même mauvais poète, l'envieux Mævius. Or la 3ème églogue se place avant la paix de Brindes (2ème moitié de l'an 40), puisque la 4ème, postérieure à la 3ème (l'ordre actuel est ici l'ordre chronologique), date du consulat de Pollion qui lui-même est de cette époque. L'épode 10 peut donc remonter, elle aussi, aux années 41-40. Et pareillement l'épode 6, dirigée contre un lâche calomniateur qui parait être le Mævius de l'épode 10 (l'identification du canis ignavus avec Cassius Severus est une erreur des scoliastes). - L'épode 4, bien que l'ancien esclave dont la fortune scandaleuse provoque l'indignation d'Horace, soit certainement un autre que l'affranchi Ménodore ou Ménas, n'en a pas moins rapport avec la guerre entreprise contre Sextus Pompée (contra latrones atque servilem manum, v. 19), c'est-à-dire qu'elle appartient encore à la période des débuts.
 
(39) Sueton., p. 44, Reiff. (venia impetrata). S'agit-il d'une amnistie générale? Il ne semble pas. L'amnistie ne fut accordée qu'à ceux qui après Philippes, s'étaient enrôlés dans l'armée d'Octave et d'Antoine (Franke, Fast. Horat., p. 15-16 et note 46). Horace se tira d'affaire, sans doute grâce à une intervention particulière.
 
(40) Ep. II, 2, 50. Decisis humilem pennis inopemque paterni Et lari et fundi.
 
(41) Sat. I, 6, 48.
 
(42) Sueton., p. 44 Reiff: scriptum quaestorium comparavit. Où trouva t-il l'argent? Lui en restait-il un peu, après la perte de sa terre de Venouse? Ou se rencontra-t-il juste à point quelque ami pour l'obliger? Ce ne serait pas impossible: Horace a toujours eu des amis excellents.
 
(43) Cic. in Verr. II, 3, 79, 184.
 
(44) Sat. I, 6, 22.
 
(45) Ep. II, 2, 51-52. Horace le dit, et en soi rien de plus vraisemblable. Quoiqu'il donne cette raison bien après l'époque des iambes, le temps écoulé ne fait rien, ici, à l'affaire. Les périodes difficiles sont de celles qu'on n'oublie pas, dut-on vivre cent ans. - Cela n'empêche pas d'ailleurs les autres raisons, indiquées un peu plus loin dans le texte, de compléter et de renforcer la première.
 
(46) Ad Famil., XII, 16,3. Le poème dédié à Cicéron était apparemment dirigé contre Antoine et ses amis.
 
(47) Ep. I, 19, 24.
 
(48) La Satire I, 2 nous révèle, de sa part, un calcul dans l'inconduite, étonnant chez un jeune homme de vingt-cinq ans. On attendrait de lui ou plus de passion, avec des aveux si hardis, ou plus de sagesse, pour tant de froideur.
 
(49) Contrairement à l'opinion commune. Mais l'allusion politique contenue dans les vers 7-8 ne permet guère de placer cette épode longtemps après Philippes.
 
(50) Cf. Carm. I, 9.
 
(51) Epod. 11 et 14. - L'épode 11 est postérieure d'au moins trois ans à l'épode 12, puisqu'elle est écrite trois ans après la rupture avec Inachia (v. 5 sqq.) et que l'épode 12 est contemporaine de cette liaison. L'épode 14 adressée à Mécène ne peut être naturellement antérieure aux relations d'Horace avec Mécène, c'est-à-dire antérieure à l'an 38.
 
(52) Epod. 2. - L'éloge de la vie champêtre qu'elle renferme, est inspiré, sinon du 2ème livre des Géorgiques, au moins des Bucoliques; il a une teinte idyllique, toute virgilienne, qui rappelle notamment l'esprit de la 2ème et de la 10ème églogue (Cartault ouv. cit., p. 23-24). S'il en est ainsi, l'épode 2 est postérieure à l'an 37, date de l'églogue 10.
 
(53) Epod. 7 et 16. - L'épode 7 a été écrite après les luttes contre Sextus Pompée (v, 3 Neptuno super). La guerre qui suivit (v. 1-2) est donc celle qui se termina par Actium (années 32-31). - L'épode 16 appartient au même temps. Les vers 11-12 empêchent de la rapporter à l'époque de la guerre de Pérouse (an 40), comme on le fait d'ordinaire. Il y est question d'une invasion possible des Daces, désignés sous le nom général de barbares. Or on fut très effrayé à Rome, quand Octave eut emmené ses troupes contre Antoine, d'apprendre que les peuplades du Danube s'agitaient : l'Italie était dégarnie (Sat. II, 6, 53; Carm. III, 6, 14. - Cf. Cartault, p. 27).
 
(54) Rapprocher l'épode 13 de l'ode I, 9 et l'épode 9 de l'ode I, 37, qui est comme une réponse à l'interrogation posée dans l'épode (v. 1-6).
 
(55) Franke (Fast. Horat., p. 135) admet que l'épode 17 contre Canidie est une des plus récentes du recueil. On peut mesurer alors la différence de ton qui sépare cette pièce de l'épode 5, beaucoup plus ancienne. Dans celle-ci, une attaque violente, des injures et une sorte de rage; dans celle-là, une piquante palinodie, un amusement ironique.
 
(56) Date probable de la publication du 1er livre des Satires (Cartault, p, 53); par suite date aussi de la composition de la 10ème satire, qui a dû être écrite quand le recueil des neuf premières était déjà presque sur le point de paraître (v. 92; explication de Cartault; p. 46).
 
(57) Sat. I. 10, 13 sqq.
 
(58) Carm. II, 16, 38.
 
(59) Cf. Carm. III, 1. 41.
 
(60) Carm. III, 4, 69: Testis mearum centimanus Gyas Sententiarum. - Cf. encore III, 5, 13-14 mens provida Reguli Dissentientis condicionibus.
 
(61) Voir notamment les emplois hardis du génitif, du datif, de l'infinitif.
 
(62) Par ex. Carm. III, 1, façon gauche dont les vers 7-8 sont rattachés au vers 6 et les vers 29 suiv.. à la strophe précédente.
 
(63) Fréd. Plessis, Poésie latine, p. 322 et suiv.
 
(64) Carm. IV, 2, 29-32, per laborem plurimum, operosa carmina.
 
(65) Carm. I, 6, 9-10; II, 12, 3-4; II, 16, 38.
 
(66) Carm. IV, 15, 3-4.
 
(67) Une fois même (Carm. I, 1) il s'est exprimé à ce sujet avec une désinvolture curieuse. Sa vocation lyrique serait une toquade comme une autre. Chacun a sa marotte : les chevaux, les honneurs, la fortune, le plaisir, la guerre ou la chasse. Il a la sienne aussi, celle des vers. Quand son front est couronné de lierre, il croit entrer dans la compagnie des dieux (v. 29-30). Admettons une pointe d'ironie: les différents goûts qui entraînent les hommes, goûts médiocres pour la plupart, ne sauraient être mis en balance, cela est certain, avec l'ambition d’être poète. Il ne faut donc pas prendre cette déclaration à la lettre. Virgile, tout de même, parle d'un autre ton, et son émotion est celle d'un vrai prêtre des Muses: Me vero primum dulces ante omnia Musae, Quarum sacra fero ingenti percussus amore, Accipiant... (Georg. II, 475 sqq.). - Horace a été attiré vers l'ode, surtout par la nouveauté du genre, qui lui paraît un domaine encore vacant. Se rappeler comme il se fait gloire d'être l’introducteur à Rome de la poésie éolienne, comme il réclame, malgré les essais de Catulle, la priorité sur ce point et y attache de l'importance (Carm. III, 30, 10 sqq.).



 

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