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Horace : sa vie et sa pensée à l’époque des Épîtres

par Edmond COURBAUD, (Hachette, Paris, 1914)

 

 

APPENDICE CHRONOLOGIQUE

J'ai dit ailleurs combien il était difficile d'établir une chronologie des Épîtres, et j'ai dit aussi pourquoi j'avais ajourné jusqu'à la fin de l'étude générale le moment de tenter l'étude chronologique particulière. C'est que nous possédons, arrivés au terme, certaines indications qui nous manquaient au début. Nous connaissons à présent les états par lesquels ont passé l'âme et l'esprit d'Horace dans cette période décisive de sa vie; nous avons recueilli ses confidences, suivi la marche de sa pensée et de ses sentiments. A défaut de détails plus précis, les progrès de cette évolution nous fourniront encore d'utiles renseignements, pour classer les pièces entre elles ou les groupes de pièces entre eux, et déterminer si telle pièce ou tel groupe est antérieur ou postérieur à tel autre: seul résultat que, dans bien des cas, on puisse légitimement espérer. Or ces indications intérieures ont été trop souvent laissées de côté; on ne s'est guère attaché qu'aux témoignages du dehors et aux données de l'histoire. Pourtant, dans une recherche aussi obscure, doit-on négliger aucune chance, de faire un peu plus de lumière ?

I.

ÉPÎTRE 1.

L'épître 1 est précisément une de celles où, en l'absence de tout indice chronologique, la connaissance intime des sentiments du poète va beaucoup nous servir. Les critiques la considèrent d'habitude comme une des plus récentes, sinon la plus récente, du recueil (Franke, Kiessling, Orelli-Mewes, Gaebel, Müller). Elle aurait été composée avec la 20ème, lors de la publication, la dernière ou l'avant-dernière, et composée expressément pour servir de prologue à l'ensemble, de même que la 20ème lui sert d'épilogue. Je ne suis pas de cet avis. Qu'elle fasse office de prologue, personne ne le conteste ; elle a bien les caractères d'un préambule. Elle n'annonce pas évidemment tout ce qui formera la matière des épîtres; mais elle sert d'introduction à ce qui en sera la partie la plus importante : les efforts d'Horace pour se consacrer à la philosophie et passer de l'épicurisme léger des Odes à l'étude austère de la sagesse; l'indication d'un changement aussi complet dans sa vie et dans son œuvre avait sa place marquée en tête du recueil. Mais cela veut-il dire que la pièce n'a pu être écrite qu'après toutes les autres ? J'en tirerai pour ma part une conclusion opposée. Je me figure malaisément Horace obligé de se remettre, au moment de la publication, dans l'état d'esprit où il était quatre ou cinq ans plus tôt, pour peindre les débuts d'une conversion, qui est achevée quand il l'annonce ; et il est bien plus naturel d'admettre qu'à Mécène, son ami, son confident, il communique sa grave résolution dans l'instant même où 'il l'a prise.

L'erreur vient de ce qu'on s'imagine que la dédicace a seulement pour but d'ouvrir le recueil des Épîtres, comme celui des Satires ou des Épodes ou des Odes, par une pièce adressée à Mécène, alors qu'en réalité la pièce s'adresserait au public. En d'autres termes, on ne tient pas compte des circonstances très particulières qui ont accompagné la composition de la lettre, qui font que c'est pour Mécène qu'elle est écrite, pour lui d'abord et avant tous, et qu'Horace serait donc ridicule, s'il lui présentait comme neuf ce qui est vieux de plusieurs années. Car à l'époque de l'épitre 1, il se donne comme n'ayant pas dépassé la première étape de sa conversion ; il est encore un néophyte, inquiet, faible,inconstant. L’épître ne peut être postérieure à celles où se marque un progrès décisif dans son évolution morale, et je ne dis pas seulement à l'épître 16 où il atteint presque les hauteurs de la sagesse stoïcienne, mais même à l'épître 14 où il se déclare déjà guéri de son instabilité et en possession de la constantia. Je vais plus loin : elle me paraît, à cause de son contenu, une des plus anciennes du recueil (non la plus ancienne cependant). Il en découle cette conséquence que, à l'encontre de l'opinion de Franke, de Kiessling et d'autres, elle n'a pas été conçue à l'origine dans le dessein de servir de prologue. C'est seulement sur le point de publier son ouvrage, qu'Horace l'aura choisie pour la mettre en tête: elle était effectivement une des premières par la date ; elle était dédiée à Mécène ; enfin et surtout, elle était celle qui par sa matière convenait le mieux à cette place.

ÉPÎTRE 2.

A l'inverse, l'épître 2 me semble relativement récente. Horace s'y fait professeur de morale, presque directeur de conscience. Ce rôle déplaisait à sa nature; il n'a dû y venir qu'assez tard; quand il se fut affermi lui-même dans la sagesse. Il fallait qu'il eût reconnu pour son compte les immenses avantages de l'étude philosophique, avant de songer à en prêcher la nécessité à ses jeunes amis et de les exhorter à se convertir à leur tour. L'épître 2 est donc postérieure, non seulement à l'épître 1 (cela va de soi), mais aussi à une pièce comme l'épître 8, qui trahit encore de la part du nouveau philosophe des incertitudes, des défaillances, un insuffisant empire sur son âme.

M. Lejay cependant la reporte très haut, jusqu'à l'année 26; elle serait alors de beaucoup la plus ancienne de toutes, ce qui est manifestement impossible. S'il en juge ainsi, ne serait-ce pas pour avoir attaché trop d'importance au terme puer, par lequel Horace désigne le jeune Lollius (v. 68) ? Son raisonnement, dont il ne donne que la conclusion, peut se restituer de la façon suivante : La pueritia cesse, à Rome, avec la prise de la toge virile, autour de la dix-septième année ; Lollius n'a donc pas plus de seize ou dix-sept ans, quand Horace lui écrit. A quelle date correspond cet âge ? Dans l'épître 18, qui lui est encore adressée selon toute, vraisemblance, il est dit (v.55) avoir pris part, étant puer, à la guerre des Cantabres sous le commandement d'Auguste. Or Auguste ne dirigea en personne la guerre d'Espagne que dans les années 26 et 25. Comme Lollius a dû partir pour l'expédition à la fin de sa pueritia, et que c'est avant de faire ses premières armes qu'il s'exerçait chez le rhéteur aux déclamations dont nous parle l'épître 2, il s'ensuit que cette épître 2 se place au plus tard en l'année 26. - Mais faut-il prendre à la lettre et dans son sens légal le mot puer ? C'est plus que douteux. Les Romains l'employaient souvent avec une assez grande imprécision. Dans les Odes (I. 9, 16 ; IV. 1, 15) il désigne l'âge tendre de l’amour, qui peut être tout de même la vingtième année. Voici des exemples plus décisifs : Octave, âgé de dix-neuf ans, est appelé puer par Cicéron (ad Fam. 12, 25; 10,28; ad Attic. 16, 15), Horace, de son côté, applique l'expression à Tibère qui avait vingt-huit ans et à Drusus qui en avait vingt-quatre (pueros Nerones, Carm. IV, 4, 28) et, par le vieux jurisconsulte Trébatius, se la fait appliquer à lui-même, bien qu'il ait quelque trente-cinq ans (Sat. II, 1, 60). Remarquez que dans les trois cas il s'agit de rapports entre personnes très différentes par l'âge et la situation, Cicéron et Octave, Auguste et ses beaux-fils, Trébatius et Horace, et que le mot puer devient ainsi, avec une nuance légèrement protectrice, un terme d'affection d'un plus âgé à un plus jeune (de même que le mot pater marque la déférence et le respect d'un plus jeune pour un plus âgé). Or tel est bien aussi le cas de l'épître 2. Horace, qui a sur Lollius la double supériorité de l'âge et de l'expérience, lui adresse, en même temps que des remontrances, des exhortations quasi paternelles et se permet de le traiter un peu en enfant. De là les vers : nunc adbibe puro Pectore verba puer, nunc te melioribus offer (v. 67-68). Puer (=dum puer es) est synonyme de adulescens. Lollius est puer, en opposition avec Horace et avec les meliores, c.-à.-d. les philosophes, les sages, les gens mûrs au moins et grisonnants (Melioribus du v.68 est un masculin, non un neutre; cf. Ep. I, 1, 48, meliori credere non vis ?). Il n'y a donc rien à tirer de l'expression, pour ce qui est de fixer l’âge exact du destinataire.

Mais alors quand se placent et la campagne de Lollius contre les Cantabres et ses déclamations chez le rhéteur? Il se peut très bien que le terme puer de l'épître 18 n'ait pas davantage une signification rigoureuse, et que Lollius ait eu plus de dix-sept ans au moment de son départ pour l'Espagne, ce qui aurait été plus conforme à la règle. Ou encore, si Auguste très ami du père, a emmené le fils par faveur dans sa cohorte, rien n'empêche de supposer que ce soit à son retour que celui-ci ait continué, si la campagne était venue l'interrompre, ou commencé, s'il ne l'avait pas encore abordé, son apprentissage de l'éloquence. Il est certain que le ton de l'épître et la nature des enseignements donnés par Horace sont beaucoup plus en rapport avec l'âge d'un jeune homme qu'avec celui d'un enfant. Le poète s'adresse à quelqu'un qui va entrer dans la vie et sera bientôt son maître. Pour cette raison l'époque de la lettre ne doit pas être reportée trop haut. Comme c'est le résultat auquel nous étions déjà arrivés, en nous plaçant au point de vue, non pas du destinataire, mais d'Horace lui-même, j'en conclurai que l'épitre 2 est évidemment antérieure à l'épître 18, où Lollius, sorti des mains du rhéteur, fait choix d'un patron et recherche une carrière, mais qu'il faut néanmoins l'en rapprocher et la situer dans une année voisine.

ÉPÎTRE 3.

La date est donnée par les allusions à la campagne de Tibère en l'an 20, quand Auguste envoya son beau-fils installer Tigrane sur le trône d'Arménie. L'expédition prit la voie de terre, passa par la Macédoine et la Thrace et franchit l'Hellespont, pour entrer en Asie; Comme l'épître mentionne justement la Macédoine et la Thrace et parle en outre de l'Hèbre enchaîné par les glaces (v. 3), elle est donc écrite au début de la campagne et pendant l'hiver, c'est-à-dire en janvier-mars de l'an 20 ou, au plus tôt, en décembre de l'an 21.

ÉPÎTRE 4.

L'épître est antérieure à l'année 19, date de la mort de Tibulle (cf. Cartault, Tibulle, p. 3-4). De combien de temps ? M. Cartault, s'occupant des circonstances de la vie de Tibulle qui ont pu décider Horace à écrire au jeune poète, donne comme date vraisemblable de la composition de l'épître les années 24-23. En me fondant sur l'analyse de la lettre elle-même et l'étude des sentiments qu'y exprime l'auteur, j'arrive à une date analogue. Car si la « saillie assez brutale » du dernier vers Epicuri de grege porcum s'explique par les raisons spéciales que j'ai indiquées dans mon texte, il n'en est pas moins vrai que, plus avancé dans sa conversion philosophique, à l'époque des épîtres 6 et 16, même pour rire et plaisanter, il ne se la fût sans doute pas permise. – J'ajoute qu'il essaie d'arracher son ami chagrin à la solitude des champs et des bois, et de le ramener à la ville. Quand il eut lui-même conçu pour la campagne l’affection grandissante et presque exclusive que manifestent les épîtres 10, 14 et 16, croit-on qu'il aurait encore recommandé, comme moyen de guérison, le retour à Rome et l'agitation de la vie mondaine ? Il y a là une disposition d'esprit qui ne paraît guère convenir qu'au premier temps des Épîtres. Ceux qui tirent argument de la tristesse de Tibulle pour y voir un indice que la lettre est de la dernière année de sa vie (Kiessling , p. 36), ne se rendent pas compte de la véritable nature du poète qui a dû toujours être un mélancolique. – Enfin le vers 1 fait allusion aux Satires et à la façon impartiale dont Tibulle les juge. Le second livre des Satires ayant paru en 29 (cf. Cartault, Satires d'Horace, p. 54), si l'épitre 4 est des derniers temps de la vie de Tibulle, on ne comprend pas bien pourquoi Horace serait revenu sur une œuvre publiée depuis huit ou neuf ans et sur les jugements qu'elle a provoqués, alors que dans l'intervalle les Odes ont vu le jour et qu'il était plus naturel de les mentionner. - Je place donc l'épitre 4 aux environs de l’épître 1. Si elle a précédé l'annonce de la conversion, c'est de peu : elle parle déjà des méditations nécessaires au sage et à l'homme de bien (v. 5). Si elle l'a suivie, c'est de peu également: l'annonce de la conversion n'a pas entraîné du premier coup la conversion définitive; l'auteur s'amuse à remuer les souvenirs encore récents de son passé épicurien.

ÉPÎTRE 5.

La lettre fournit les renseignements suivants : le vin que boira Torquatus, au dîner où il est invité, a été mis dans les cadi, amphores cachetées qui servaient de tonneaux, sous le second consulat de Taurus; le repas est donné à propos de l'anniversaire de César, la veille au soir (supremo sole) et se prolongera : pendant une nuit d'été. – De quel César est-il question ? Du dictateur ? Il était né le 12 juillet (a. d. IV Id. Iul.), et l'expression aestiva nox conviendrait bien à un anniversaire fêté en cette saison. Mais 1° Horace, quand il dit Caesar tout court, désigne toujours Octave ou Auguste et non Jules César, sauf Carm. I, 2, 44 et Sat. 1, 9, 18, où la confusion n'est pas possible, (=31 fois sur 33). –  2° La fête anniversaire du dictateur fut instituée par décret des triumvirs le 1er janvier 42 (Dio, XLVII, 18); mais il ne semble pas qu'on ait continué à la célébrer après la bataille d'Actium. – 3° Attendre le coucher du soleil au mois de juillet, pour se mettre à table, eût été tout à fait singulier (la cena commençait, selon notre manière de compter, à quatre ou cinq heures de l'après-midi au plus tard). – C'est donc de l'anniversaire d'Auguste qu'il s'agit. Celui-ci tombait le 23 septembre (a. d. IX Kal. Octobr.) et se célébrait régulièrement depuis l'année 30 (Dio, LI, 19 et LlV, 34). On a prétendu alors que les mots aestiva nox ne pouvaient pas s'appliquer à la fin de septembre. Mais Horace ne vise pas à la précision scientifique ; il lui suffit que Septembre soit encore très chaud à Rome (et il l'est, d'une chaleur parfois même insupportable), pour que l'épithète aestiva lui paraisse justifiée (c'est l'impression que lui laisse cette saison, toutes les fois qu'il en parle ; cf. Ep. I. 7, 5; 16, 16, et Sat. II, 6, 18-19). Voir aussi dans Virgile, Georg. I, 312, à propos de l'automne: ubi iam breviorque dies et mollior aestas.

Ainsi le jour est à peu près certainement établi: la lettre a été écrite le 22 septembre. L'année est plus incertaine. Le second consulat de Taurus étant de l'an 26, l'épître est postérieure à cette date. Comme d'autre part les vins d'Italie ne sont pas buvables tout de suite, celui qu'Horace offre à Torquatus doit avoir attendu quelques années dans les amphores. Combien d'années ? C'est ici qu'est la difficulté. On admet généralement qu'il faut compter cinq ou six ans d'intervalle entre la mise en fût des vins italiens et le moment de les boire. On se fonde sur le témoignage de Galien (Athénée I, p. 26), qui déclare qu'aucun d'eux ne peut être bu avant la cinquième année. L'épître serait donc de l'an 21 ou de l'an 20. On précise davantage; l'anniversaire d’Auguste ayant été brillamment fêté, l'an 20, avec des courses, et des chars (Dio, LIV, 8), c'est en fin de compte à cette dernière date qu'on rapporte la lettre. – Mais 1 ° les informations de Galien sont suspectes; il prétend que le vin de la Sabine est imbuvable, s'il n'a pas au moins sept ans (Athén. I, p. 27); et cependant Horace lui-même donne comme très agréable un vin de quatre ans, voire de deux (quadrimum merum, Carm. I, 9, 7; bimum merum, Carm. I, 19, 15). –  2° On dira que dans l'épître il s'agit d'un anniversaire, pour lequel on se met en frais; mais dans les deux odes il s'agit et d'encourager Thaliarque à jouir de la vie, et d'offrir un sacrifice à Vénus polir obtenir l'amour de la belle Glycère; ce sont aussi des occasions de bien faire les choses. - 3° On n'a pas assez remarqué que le grand luxe du repas d'Horace sera la propreté de la table et du service (v.7 et 22-24), comme le grand charme en sera les conversations longuement échangées au cours de la nuit tiède. Quant au vin et aux mets, bien que ce soit la veille de la fête de César, ils seront simples, très simples, médiocres même, et Torquatus est prié, s'il a mieux chez lui (ce qui n'est pas douteux), de le faire venir: si melius quid habes, arcesse v. 6. Mettons qu'il y ait une exagération plaisante dans cette affectation de simplicité; il reste que le vin offert laisse à désirer. Comme d'ailleurs, sans être lui-même d'un grand crû, il sort d'un terroir proche de la région des vins renommés (Sinuesse touchait à l'ager Falernus), il faut donc qu'il n'ait pas eu le temps de prendre toute sa qualité et de « se faire », c'est-à-dire qu'il soit servi sur la table encore jeune, à une date qui ne soit pas bien éloignée du second consulat de Taurus. – 4° Horace ne dit pas que l'anniversaire sera célébré avec un éclat exceptionnel, et sa lettre peut avoir été aussi bien écrite à la veille d'un anniversaire ordinaire. Ce qui importe, ce n'est pas que la fête du lendemain soit brillante; c'est que le lendemain il y ait fête, que les tribunaux soient fermés, que Torquatus l'avocat puisse dormir toute la grasse matinée et, en attendant, consente à sacrifier la nuit qui vient au plaisir de boire et de causer avec son ami.

Pour toutes ces raisons, il n'est nullement sûr qu'on doive placer l'épître aussi bas qu'on le fait d'habitude, D'autre part, étant donné son contenu et les traces d'épicurisme qui s'y trouvent encore, je la croirais volontiers, comme l'épître 4, assez voisine des débuts de la conversion.

ÉPÎTRE 6.

En revanche l'épître 6 ne peut appartenir au temps où Horace fait encore son apprentissage de la sagesse. Ses sentiments se sont transformés en idées et ses idées condensées en doctrine. Il a maintenant un système : nil admirari; il s'appuie sur une théorie philosophique. Tout cela suppose d'assez longues réflexions, un délai pour les mûrir. Cependant nous remarquerons qu'il n'impose pas son opinion, qu'il laisse, au moins en apparence, chacun libre d'agir à sa guise. Quelle que soit l'ironie de la seconde partie de l'épître, il garde des ménagements pour le destinataire et une crainte de paraître dogmatique et prêcheur, qu'il n'aura plus au même degré dans la suite.

La lettre elle-même ne nous fournit pas le renseignement précis que nous voudrions. L'allusion du vers 26 au portique d'Agrippa, la seule que nous trouvions, nous apprend seulement que l'épître est postérieure à 25, date de l'érection du portique; mais de combien postérieure, c'est ce qu'il nous faudrait savoir. En l'absence d'autre indication historique, nous ne nous tromperons pas beaucoup, si nous plaçons la pièce à mi-chemin entre l'épître 1, qui marque l'entrée du poète dans les voies nouvelles, et l'épître 16, qui est le couronnement de ses efforts. Nous la rattacherons à un groupe distinct de celui des lettres 1, 4, 5; mais antérieur au groupe des lettres 2, 3, 10, 16, où Horace apporte décidément quelque chose de plus : une ardeur et une passion étonnantes pour recommander, à quiconque veut bien vivre (recte vivere, v.29), l'application de ses principes.

ÉPÎTRE 7.

Aucune donnée positive ne permet de dater cette épître. Nous pouvons simplement affirmer qu'elle est écrite au mois de septembre (v. 2 sqq.) : l'année elle-même nous échappe. On a essayé de mettre la lettre en rapport avec l'épître 15, à cause des vers 10-11 : Quodsi bruma nives Albanis illinet agris, Ad mare descendet vates tuus. L'épître 15 parle en effet d'un projet de voyage en hiver, sur la côte de Salerne ou de Vélie, pour raisons de santé : c'était en l'année 23. Mais il ne peut s'agir dans les deux cas du même voyage. Horace ne dit point dans l'épître 7 qu'il est malade, comme au temps de l'épître 15 ; il dit seulement qu'il craint de l'être (aegrotare timenti opposé à aegro, v.4). D'ailleurs cette crainte qu'il exprime est surtout une manière de se dérober aux instances de Mécène. Enfin, en dehors de la région de Pæstum, il y avait bien d'autres lieux, dans l'Italie méridionale, où il pouvait se rendre ; il y avait Tarente notamment, la molle Tarente, qu'il visitait souvent, qu'il a célébrée toujours et dans notre épître 7 elle-même (v. 45). C'est peut-être bien là, après avoir essayé pour une fois - une fois n'est pas coutume – de Salerne ou de Vélie, qu'il a l'intention de retourner, quand il écrit à Mécène.

La seule chose à retenir des vers 10 et 11, c'est qu’il ne faisait pas encore de difficulté à cette époque, pour s'éloigner de sa campagne, au moins l'hiver. Or la remarque est importante, car bientôt il n'en sera plus ainsi; un moment viendra où il ne pourra plus la quitter qu'à regret; à l'époque de l'épître 10 (v. 15), il semble qu'il songe à y passer, ou qu'il y passe effectivement, même les hivers. Nous voilà donc en droit de situer notre épître 7 avant toutes celles où il se prend pour sa villa d'une affection croissante, c'est-à-dire avant les lettres 10, 14 et 16, desquelles résulte qu'il fait dans la Sabine des séjours de plus en plus prolongés.

ÉPÎTRE 8.

L'épître nous fournit les indications suivantes : 1° Elle a été écrite en été (v. 5 aestus et v.6 non quia longinquis armentum aegrotet in agris, allusion à la transhumance ou habitude de mener les troupeaux dans les pâturages des montagnes pendant la saison des chaleurs). M. Lejay recule l'époque de la composition jusqu'à l'automne, sans doute à cause de vites du v.5; mais les dégâts causés aux vignes par la grêle se produisent surtout dans les mois orageux (juin, juillet, août). – 2° Albinovanus Celsus est dit secrétaire particulier de Néron ; il fait partie de sa cohors (v. 2). Nous sommes vers le temps de l'expédition de Tibère en Arménie, aux environs de l'année 20. S'agit-il de l'année 20 elle-même, et l'expédition est-elle commencée ? On l'admet généralement, et comme l'épître 3 à Julius Florus est de l'hiver 21-20, l'épître 8, qui date des mois d'été, lui serait postérieure et appartiendrait en définitive à l'été de l'an 20, quand Tibère avait déjà gagné l'Asie. On précise encore. En se fondant sur le verbe refer (v. 2), on suppose qu'elle serait une réponse à une lettre, de Celsus, mécontent de certains conseils qu'Horace lui avait fait donner par Florus dans l'épître 3 ( v.15 sqq.)

Je suis d'une opinion différente. Rien ne prouve que l'épître 8 soit une réplique d'Horace à Celsus; le verbe refer n'a pas nécessairement le sens qu'on lui attribue. Rien ne prouve non plus que l'épître soit nécessairement de l'an 20. En somme, que nous apprend cette lettre ? Qu'Horace écrit à Celsus pour lui donner de ses nouvelles et lui en demander des siennes. Ils sont donc éloignés l'un de l'autre ; mais pourquoi Celsus serait-il en Asie ? Il suffit qu'il soit à Rome et Horace dans la Sabine. Le vers 12, où il est question de Tibur, semble indiquer précisément que c'est de sa maison de campagne que le poète écrit à son ami: ce qui d'ailleurs, en soi, et même sans l'allusion du vers 12, serait vraisemblable, puisque nous sommes aux mois chauds de l'année et que la pièce mentionne quelques-unes des préoccupations du propriétaire rural. L'épître nous dit encore que Celsus est déjà choisi comme compagnon et même comme secrétaire du prince (v.2), qu'il est aussi en rapports avec les autres jeunes gens de la cohors (v.13-14). Mais nous ne savons pas combien de temps ont duré les préparatifs de l'expédition, ni de combien la formation de l'état-major a précédé le départ des troupes. Pour une campagne aussi lointaine, il est clair que les préparatifs ont dû être assez longs; on n'a pu se mettre en route du jour au lendemain. Enfin on a l'impression, par les derniers vers de la lettre, que la nomination de Celsus est récente. Celsus est encore enivré de cette marque de faveur, comme quelqu'un qui n'a pas eu le temps de s'y habituer. Le conseil de savoir supporter sa fortune et de ne pas se rendre odieux à son entourage, vient à l'heure convenable, au début, au moment des premières bouffées de l'orgueil. Bref, il n'est pas impossible que l'épître soit de l'été de l'an 21.

Et dès lors que la chose n'est pas impossible, elle doit être acceptée ; car dans la partie de la lettre où il parle de lui-même (v.3), Horace se dépeint mécontent, triste, d'humeur instable, et l'on a peine à s'expliquer ce malaise moral, si la lettre est tout à fait contemporaine des épîtres 10, 14, 16,. qui témoignent au contraire une si grande possession de soi et même une si belle sérénité. Puisque le poète s'y reconnaît encore plus mobile que les vents ventosus (v.12), on peut affirmer que l'épître 8 est antérieure notamment à la pièce 14, où il se déclare guéri de l'inconstance (me constare mihi scis, v.16). En somme, tout ce qui l'éloignera du groupe que j'ai cité (ép. 10, 14, 16), ne fera que donner plus de vraisemblance à l'évolution des sentiments d'Horace et disposer ses divers états d'âme dans une suite plus naturelle.

ÉPÎTRE 9.

Cette lettre de recommandation se rapporte, comme la précédente, à l'époque où Tibère, préparant son expédition d'Arménie, constituait sa cohors. Horace demande au jeune prince d'y admettre Septimius : scribe tui gregis hunc (v. 13). Nous placerons donc la pièce dans l'été ou l'automne de l'an 21.

ÉPÎTRE 10.

Kiessling (p.76) la croit de la même année que l'épître 7 : à tort, semble-t-il. Car dans l'épître 7 Horace annonce son intention de quitter sa campagne à la première chute des neiges et de descendre au bord de la mer (v.10-11). Au vers 15 de l'épître 10, il vante la tiédeur des hivers que l'on peut passer, sinon dans la Sabine, du moins dans sa villa bien abritée. Ses dispositions ont changé ; la date ne peut être la même. Qu'est-il arrivé ? Après être allé souvent passer la mauvaise saison à Salerne, à Tarente ou dans quelque autre port du midi, Horace s'est aperçu qu'on pouvait, rester chez soi l'hiver et y vivre très agréablement. C'est une découverte d'homme plus âgé, qui aime davantage ses aises et craint de se déplacer, qui aime aussi davantage la campagne. Toute l'épître 10 trahit cet amour de la nature, école de vérité et de liberté, Dans la série des lettres que nous classons les unes par rapport aux autres, elle doit, selon toute vraisemblance, prendre rang assez bas.

ÉPÎTRE 11.

J'ai indiqué, dans l'étude particulière consacrée à l'épître 11, comment il fallait, à mon avis, interpréter cette pièce. Si l'on y voit, comme on fait d'ordinaire, la trace des efforts d'Horace pour trouver son équilibre moral, il faudra évidemment la rattacher à la crise de l'été de l'an 21 que nous a révélée l'épître 8 (mais non l'épître 7, quoi que prétendent Kiessling, et Lejay). Si au contraire, comme je crois, Horace est alors en possession de la tranquillité intérieure, c'est dans le groupe des lettres d’où se dégage une semblable impression de calme el de paix, qu'elle se placera tout naturellement. Il faut la rapprocher des lettres 10, 14 et 16.

ÉPÎTRE 12.

La date semble d'abord bien déterminée par les renseignements des vers 26 et 27, qui mentionnent la campagne de Tibère en Arménie et la soumission de Phraate, le roi des Parthes. C'est en l'an 20 que ces deux événements eurent lieu. Les vers 28-29 prouvent, d'autre part, qu'Horace écrit à Iccius au commencement de l'été, à l'époque des moissons. Mais il est dit que pour cette chronologie des Épîtres nous n'atteindrons presque jamais à la certitude : un dernier renseignement vient soulever une difficulté. Il est question, en effet, au vers 26 de la défaite des Cantabres par Agrippa. Or d'après Dion (LIV, 11) la guerre d'Espagne ne fut vraiment terminée qu'en 19. Non qu'il soit impossible, contrairement à l'opinion de L. Müller, de croire une épître du 1er livre postérieure à l'an 20, et nous le verrons plus bas. Mais comment admettre que l'enthousiasme avec lequel Horace applaudit aux succès d'Auguste et de Tibère en Orient, se manifeste un an après que ces succès ont été remportés ? La lettre est écrite, on le sent, sous le coup des événements. Et d'ailleurs, si les nouvelles sont anciennes, il n'y a plus de raison pour annoncer à Iccius ce que celui-ci peut déjà savoir. Faut-il donc supposer que Dion Cassius s'est trompé ? ou peut-être qu'Horace, désireux d'apprendre à l'intendant d'Agrippa ce qui l'intéresse le plus, les exploits de son maître, ait, sur la foi des premiers avantages, escompté un peu prématurément la soumission définitive des Cantabres, qui devait encore se faire attendre ? Quoi qu'il en soit; une obscurité subsiste.

ÉPÎTRE 13.

Le point de départ de la discussion doit être le sens à donner aux mots signata volumina du vers 2. Je renvoie le lecteur à l'étude de la pièce, où j'ai traité la question. Les signata volumina ne peuvent pas désigner autre chose que les trois premiers livres d'Odes sur le point de paraître, et dont Horace a réservé la primeur à Auguste. Tout revient à savoir quand ces trois premiers livres ont été publiés. Il est possible de le dire avec assez de précision. L'ode III, 14 annonçant le retour d'Auguste vainqueur des Cantabres, la publication est postérieure à celte date, c'est-à-dire à la fin de l'an 24. L'ode I, 12 célébrant Marcellus le neveu d'Auguste et l'espoir de l'empire, la publication est antérieure à la mort du jeune homme, qui survint dans la seconde moitié de l'an 23. C'est donc dans la première moitié de 23, très probablement, que le recueil a vu le jour et que l'envoi en fut fait à Auguste. Le prince se trouvait alors, non à Rome, mais en Campanie où, pour se remettre de la grave maladie qui avait failli l'emporter, il était allé passer la fin de l'hiver et le printemps. Il était rentré à Rome pour le milieu de juin, puisque à ce moment il abdiqua le consulat sur le mont Albain et se substitua L. Sestius, ancien ami de Brutus (Dio., LIII, 32). Et ceci encore nous prouve que le voyage de Vinnius Asella, le porteur de l'épître 13, ne peut se placer plus tard que nous ne l'avons dit.

ÉPÎTRE 14.

Puisque nous ne savons pas en quelle année au juste est mort Q. Ælius Lamia dont la perte est déplorée ici (v.7), nous devons nous borner à rapprocher l'épître 14 de celles qui lui ressemblent par l'inspiration générale. Dès lors il est tout naturel de la ranger à côté de l'épître 10, pour l'amour passionné des champs dont elle porte témoignage, et de l'épître 16, pour l'apaisement, le calme, le contentement de soi qu'elle manifeste à un si haut degré. Elle se classe ainsi parmi les dernières.

ÉPÎTRE 15.

Si, comme le veut L. Müller, les derniers vers 42-46 font allusion à un fait précis, une aubaine réellement survenue à Horace sous la forme d'un cadeau de l'empereur qui voulait remercier le poète de l'envoi de ses trois livres d'Odes, la question de la date est tranchée du même coup. L'épître 15 est en rapport avec l'épître 13 ; elle lui a succédé de peu; elle est, par conséquent, de l'hiver ou du printemps de l'an 23. Mais, sans recourir à ce qui n'est qu'une hypothèse, on peut arriver à la même conclusion. Il est question (v.3 sqq.) d'Antonius Musa et de la vogue obtenue par son traitement hydrothérapique, à la suite de la guérison d'Auguste. Or cette vogue ne dura qu'une saison : Musa ne put sauver Marcellus, qui mourut quelques mois plus tard (Dio. LIII, 30). Selon la remarque de M.  Lejay (p. 508), la lettre doit avoir précédé la mort de Marcellus, « qui aurait rendu inconvenantes les plaisanteries des vers 3 et suivants ». Nous sommes donc ramenés aux six premiers mois de 23, au début même de l'année, puisque Horace fait des projets pour l'hiver. Non seulement l'épître est antérieure à l'épître 7 (j'ai indiqué que le voyage projeté n'a rien à voir avec celui qu'annonce l'épître à Mécène), mais elle est encore une des plus anciennes du recueil. Et c'est bien ce que confirme l'aspect extérieur de la pièce, la forme elle-même, qui semble, avec ses longues parenthèses, une imitation de la manière de Lucilius.

ÉPÎTRE 16.

Une fois de plus nous manquons de tout appui extérieur pour la détermination de la date. C'est du contenu seul de la pièce, des idées et des sentiments exprimés que nous pouvons espérer tirer quelque secours. Mais il se trouve que sentiments et idées parlent assez haut, assez clair, pour nous permettre de considérer cette pièce, abstraction faite de la 20ème qui n'est qu'un épilogue, comme étant très probablement la dernière en date des épîtres du premier livre. Jamais Horace n'est allé plus loin dans les voies de la sagesse, jamais il n'a proclamé une morale plus élevée. Le dialogue entre Bacchus et Penthée est d'une grandeur toute stoïcienne, et la lettre entière donne l'impression d'être un terme: l'aboutissement des efforts du poète dans cette recherche de la perfection intérieure, à laquelle il tendait depuis l'épître 1. –  La saison de l'année est sans doute le mois de septembre (v. 16).

ÉPÎTRES 17 ET 18.

Il faut les rapprocher l'une de l'autre; l'inspiration est commune, le sujet est le même, les préceptes généraux sont semblables. Cette similitude a même fait croire parfois que les deux lettres adressées, l'une à Scæva, l'autre à Lollius, n'en formaient qu'une; et des scolies donnent Scæva comme s'appelant Lollius Scæva. A tort, bien entendu ; mais l'erreur est significative. Or l'épître 18 est datée par le vers 56, qui mentionne la remise à Auguste des étendards enlevés jadis à Crassus et à Antoine par les Parthes. Cette restitution eut lieu en l'an 20, avant le 12 mai, jour où furent déposées provisoirement les enseignes dans le sanctuaire de Mars Vengeur élevé à cette occasion sur le Capitole (Mommsen CIL, J, p. 393). L'épître 17 doit donc être rapportée à une époque voisine.

ÉPÎTRE 19.

On range souvent cette lettre parmi les dernières (Franke, Kiessling, Orelli-Mewes). C'est tout le contraire qui me paraît la vérité, et je la range sans hésiter parmi les plus anciennes. L'œuvre lyrique d'Horace, à ce moment, est très discutée; il a, parmi les tenants de la vieille littérature et dans les cercles de grammairiens, des adversaires résolus. C'est la publication des trois livres d'Odes qui a soulevé ces attaques; et à ce propos, des Odes on est remonté aux Épodes. Imitateur des poètes Lesbiens ou d'Archiloque, on lui reproche de n'être toujours qu'un imitateur. Il relève l'accusation et dans l'épître 19 la renvoie à ceux qui la lui lancent. Mais a-t-il attendu plusieurs années pour se défendre ? Ce n'est ni dans l'ordre naturel des choses ni dans le caractère d'Horace, dont le sang est vif et la tête chaude. C'est au moment même qu'il a dû répondre. – Et il répond par une épître qui est encore une satire. Elle rappelle la Satire I, 10. La situation est analogue. Fort des protecteurs sur lesquels il s'appuie, Horace ne ménage point les sarcasmes à ses ennemis. Il ne pratique pas encore le détachement philosophique du sage qui ne s'étonne de rien: le nil admirari ne viendra qu'un peu plus tard, et aussi le ton apaisé, l'ironie souriante, qui est le ton du genre épistolaire. Forme et fond, tout indique que l'épître 19 devrait figurer en tête du recueil.

Mais alors pourquoi Horace lui-même l'a-t-il placée à la fin ? Parce qu'il s'y 'adresse à Mécène et que, ne pouvant la mettre la première (elle n'a pas, comme l'épître 1, les caractères d'un prologue), il a préféré qu'elle fût la dernière (l'épître 20, à vrai dire, ne compte pas; elle est à part). De la sorte, le livre s'ouvrait et se fermait par une pièce adressée à Mécène. Le poète avait déjà rendu à son ami pareil hommage dans le recueil des Odes. Peut-être tenait-il d'autant plus à le lui rendre dans celui-ci, qu'un nuage avait failli s'étendre un jour sur leur amitié (épître 7, après la composition de l'épitre 19), et qu'il voulait montrer, au moment de la publication, que le nuage était entièrement dissipé. (Remarquer aussi qu'il y a deux épîtres à Mécène, deux épîtres à Lollius, et que Mécène et Lollius sont les seuls correspondants auxquels soit adressé plus d'une lettre. Or les quatre épîtres sont ainsi disposées : ép 1 à Mécène, ép. 2 à Lollius; puis, en ordre renversé: ép. 18 à Lollius, ép. 9 à Mécène. Est-ce l'effet du hasard ou quelque chose de voulu ?)

ÉPITRE 20.

Cette épître, étant l'épilogue, quelque chose comme la subscriptio ou la signature de l'auteur au bas de son œuvre, tout porte à croire qu'elle a été composée la dernière. Quand cela ? Kiessling admet, avec bien d'autres, que la date est donnée par les trois vers de la fin (26-28) : Forte meum si quis te percontabitur aevum, Me quater undenos sciat implevisse Decembres, Collegam Lepidum quo duxit Lollius anno. C'est une erreur. Que dit Horace dans le passage ? Simplement ceci: qu'il a eu quarante-quatre ans révolus le 8 décembre 21, année du consulat de Lollius et de Lepidus. Il donne son âge, et rien que son âge. Aller au delà, c'est tirer des vers en question plus qu'ils ne contiennent. Notez, dit très bien M. Lejay (éd. petit in-16, p. 539, n.2), que « ce qui intéresse le lecteur contemporain, auquel songe Horace dans toute cette fin de lettre, ce n'est pas la date précise de l'épître, mais l'âge du poète. Quand on lit un livre, on veut savoir si l'auteur est plus vieux ou plus jeune que soi. Il est rare qu'on s'intéresse à la date exacte d'un morceau, surtout pour un ouvrage récemment paru. » – Mais, objecte-t-on, par le fait qu'Horace donne son âge, il donne la date de l'épître. – Ce n'est nullement certain. Ne peut-on marquer son âge par rapport à un événement antérieur, quand cet événement a eu de l'importance ? N'avons-nous pas entendu, longtemps après la guerre franco-allemande, n'entendons-nous pas encore bien des gens prendre cette guerre comme terme de comparaison et dire : « J'avais tant d'années en 1870 » ? Or les débuts du consulat de Lollius et de Lepidus s'étaient passés au milieu des troubles. Lollius avait d'abord été seul consul, Auguste ayant refusé l'autre siège qui lui était réservé. Lepidus et Silanus s'étaient disputé la seconde place, avec une âpreté qui avait fini par provoquer une émeute dans Rome. L'empereur, alors occupé à visiter la Sicile, comprenant que le peuple n'était plus capable en aucune façon de se diriger lui-même, avait chargé Agrippa de gouverner la ville en son absence (Dio, LIV, 6). Toute cette agitation avait laissé un souvenir précis aux contemporains; on n'était plus habitué à voir les magistrats entrer aussi péniblement en fonctions. Qu'Horace donc ait dit : « J'ai terminé mes quarante-quatre ans avec l'année de Lollius et de Lepidus », cela ne signifie pas nécessairement qu'au moment où il écrivait ces vers, il n'était que dans sa quarante-cinquième année ; et il pouvait. tout aussi bien les écrire un an ou deux plus tard, parce qu'il se reportait à une date mémorable que connaissaient tous ses lecteurs. La seule conclusion à tirer du passage, c'est que l'épître est postérièure au 8 décembre 21 ; mais rien ne prouve qu'elle soit antérieure à la fin de l'an 20, ou même à l'année 19. – J'ajoute que, recourant à une périphrase pour fixer son âge, Horace a naturellement recouru à la plus commode. Or non seulement Lollius et Lepidus, par les circonstances de leur élection, avaient fait plus de bruit que les autres, mais leur nom se prêtait à être mis en vers, tandis que celui d'Appuleius, le consul qui vint après eux, ne pouvait entrer dans un hexamètre.

Pour ma part, j'incline à retarder jusqu'à l'année 19 la publication du premier livre des Épîtres. Cela permet de retarder jusqu'à cette date la composition de certaines épîtres, la 10°, la 14° et surtout la 16°, dont la sérénité est difficilement explicable, si on la rapproche par trop de l'épître 8, qui trahit tant de malaise encore et d'inquiétude. Il faut laisser à la crise le temps de se résoudre. Comme d'autre part l'épître 8 ne saurait remonter plus haut que l'été de l'an 21, ce sont donc les trois autres qu'il faut faire descendre, si on le peut; et je viens de montrer qu'on le pouvait. - En outre, le Chant séculaire étant de l'an 17 et les œuvres qu'Horace devait encore écrire (IVe livre des Odes, IIe livre des Épîtres) se plaçant toutes ou presque toutes après le Chant séculaire, si le premier livre des Épîtres était antérieur au 8 décembre de l'an 20, il se trouverait un intervalle d'environ trois ans (20-17), pendant lequel le poète n'aurait rien, ou à peu près rien, produit. Malgré la paresse dont il s'accuse (Sat. II, 3, 1 sqq. ; cf. Cartault, ouv. cit., p. 44; n. 1), le fait serait bien étonnant. Il y a donc intérêt à combler l'intervalle, dans la mesure du possible ; et c'est une nouvelle raison pour abaisser la date de la publication du recueil. (L'erreur de Ribbeck, qui suppose deux éditions du 1er livre des Epîtres vient justement de ce qu'il a mal interprété la fin de l'épître 20. Il lui a paru, d'après les vers 26-28, qu'un recueil avait nécessairement été publié sous le consulat de Lollius et de Lepidus ; et, comme certaines épîtres (3, 12, 18, sinon 8 et 9) sont postérieures à ce consulat, il en a conclu qu'un second recueil, plus complet que le premier, devait avoir été publié plus tard. En réalité, il n'y a eu aucune publication sous le consulat de Lollius et de Lepidus.)

II.

D'après ce qui précède, et à travers les incertitudes qui demeurent, voici les points les plus assurés, il me semble, de cet essai chronologique:
 
1° En publiant ses Épîtres, Horace ne s'est pas astreint à respecter l'ordre de composition (l'épître 3, par exemple, est sûrement postérieure à l'épître 10) ; mais il ne l'a pas non plus systématiquement bouleversé. Quand il l'a troublé, pourquoi l'a-t-il fait ? La raison apparaît dans certains cas, comme celui de l'épître 19; elle échappe le plus souvent.
 
2° L'année qui s'écoule entre la seconde moitié de l'an 21 et la seconde moitié de l'an 20, c'est-à-dire la période où se placent les préparatifs de la campagne et la campagne elle-même de Tibère en Arménie, a été pour Horace une période de production littéraire particulièrement grande. On se l'explique. Beaucoup de ses jeunes amis font partie de la cohors du prince; le petit groupe est dispersé, ou va l'être. Le poète a donc l'occasion de leur écrire, de leur adresser des nouvelles et quelques conseils; la correspondance est, tout naturellement très active.
 
3° Je répartirai les épîtres du premier livre entre les groupes suivants :
 
a) épîtres 13, 15, 19 (fin de l'an 24 ou an 23);
 
b) épîtres 1, 4, 5 (de 23 ou de 22);
 
c) épîtres 6, 7 (de 22 ou de 21);
 
d) épîtres 8, 9, 2, 3, 12, 17, 18 (de l'été de 21 à l'été ou à l'automne de l'an 20);
 
e) épîtres 10, 11, 14, 16, 20 (de la fin de l'an 20 à l'automne de l'an 19).
 
Je ne crois pas qu'il soit possible de préciser davantage.



 

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