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extrait de HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE ROMAINE (II)

par Alexis PIERRON (Hachette, Paris, XIX ème s.)

 

CHAPITRE XXVII — HORACE :
 
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1. Le monde d'Horace – 2. Vie d'Horace
3. Caractère d'Horace – 4. Horace moraliste – 5. Ouvrages d'Horace

 
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6. Excellence littéraire des ouvrages d'Horace – 7. Horace fabuliste
8. Les Odes – 9. Les Satires – 10. Les Épîtres – 11. Art poétique

 

6. Excellence littéraire des ouvrages d'Horace

Quintilien, comparant Horace satirique à Lucilius, s'exprime comme il suit : « Horace est beaucoup plus élégant et plus pur, et l'emporte par l'art de saisir les traits des caractères. »

Le même critique dit un peu plus loin, à propos des Chants : « De tous les lyriques latins, le même Horace est presque le seul qui mérite d'être lu. Car il s'élève quelquefois, il est plein de charme et de grâce, et il a une audace singulièrement heureuse dans la variété de ses figures et dans ses expressions. »

Quintilien, comme on voit, ne dit pas tout sur Horace, bien qu'il ait remarqué en passant qu'Horace est le premier poète romain qui se soit servi de l'épode, c'est-à-dire d'un vers court alternant avec un vers plus long, c'est-à-dire de distiques d'espèce diverse et dont le distique élégiaque avait été jadis le prototype. On voit aussi que le rhéteur latin fait quelque tort à son goût ou à ses connaissances: Catulle valait bien la peine d'être nommé parmi les lyriques. Lui aussi il mérite d'être lu, même après Horace.

Je ne sais pas ce qu'était le Césius Bassus dont Quintilien consent à prononcer le nom à la suite du nom d'Horace ; mais je ne crois pas être téméraire en affirmant que ce Bassus avait moins droit à un tel honneur que l'heureux émule de Sappho, que le chantre aimable de Manlius et de Julie.

« Il y a pour les littératures, dit M. Patin, un moment, moment tardif et court, où les langues, polies, assouplies par l'exercice, se prêtent à l'expression la plus vive et la plus juste des conceptions elles-mêmes élaborées par le long travail des esprits. Il en était ainsi de la littérature latine quand Virgile et Horace vinrent cueillir, sur ce rameau autrefois détaché du vieux tronc homérique, et que deux siècles de culture avaient accoutumé au ciel et à la terre du Latium, les fruits mûrs enfin de la poésie.

« Tout ce que l'épopée de Névius et d'Ennius, la tragédie de Pacuvius et d'Attius, la comédie de Plaute et de Térence, la satire de Lucilius, les efforts de poètes de tous genres avaient accumulé, dans le trésor poétique des Romains, d'acceptions fortes, de nuances délicates, d'analogies naturelles, de tours élégants, de mouvements heureux, d'images frappantes, d'harmonieuses combinaisons de paroles ; cette précision de formes, cet art de composition, soupçonnés, rencontrés par la facile inspiration de Lucrèce, cherchés et trouvés par le savant travail de Catulle ; tout cela, grâce à l'opportunité de leur venue, leur échut en partage, et entra dans la composition de leur génie, à peu près comme, dans le même temps, les divers pouvoirs de la constitution républicaine se rassemblaient dans la seule main et formaient l'absolue puissance de leur impérial protecteur (....)

« Quelques années auparavant, Catulle et Lucrèce s'apercevaient à peine à côté de Cicéron. Maintenant les héritiers du grand orateur, les Messala, les Pollion, disparaissaient à leur tour devant cette gloire poétique dont ils avaient protégé les humbles débuts. Cette gloire, de bonne heure sans rivale, s'isola de plus en plus en traversant les siècles: par elle seule un dernier et mystérieux rayon de l'antique poésie pénétra dans les ténèbres du moyen âge ; par elle se ralluma, chez les modernes, le flambeau de ces lettres qu'on a longtemps honorées du nom, aujourd'hui décrié, de lettres classiques, de celles dont les monuments, conformes aux grandes et immuables règles de l'art, semblent appelés, par un consentement universel, à en offrir la perpétuelle leçon.

« Telle est, telle du moins a été jusqu'à présent la destinée de ce petit nombre de pages, sauvées avec les grands noms de leurs auteurs du naufrage des temps, et devenues, pendant des siècles, non seulement l'inspiration des esprits d'élite, mais la commune nourriture de tous les esprits ordinaires.

« Horace, comme pour expier, pour racheter les emportements de son orgueil lyrique, disait modestement à son livre d'Épîtres, trop pressé de se produire : « Prends garde, tu ne plairas pas toujours, tu ne seras pas toujours jeune. Un temps viendra où, négligé de Rome, relégué dans ses faubourgs, ta vieillesse bégayante enseignera aux petits enfants les éléments du langage. » (Épîtres I, XX, v. 40 et suivants). Cette menace badine s'est accomplie bien glorieusement pour le poète qui se l'était à lui-même adressée, et pour celui qu'il nous faut toujours lui associer.

« Ils ont eu véritablement le privilège d'apprendre à toutes les générations, non pas précisément à lire, mais à sentir et à penser ; ils ont, s'il est permis de détourner à un usage profane une sainte parole, illuminé de leur pure lumière toute intelligence venant en ce monde Leurs vers, appris dès l'enfance, et gardés comme en dépôt, revenaient, par intervalles, charmer d'un souvenir de poésie les prosaïques travaux de l'âge mûr ; et, à l'âge où tout s'oublie, la mémoire défaillante se ranimait pour les redire encore, pour s'en enchanter une dernière fois, comme on boit d'un vin vieux qui rajeunit les sens. »

7. Horace fabuliste

Horace dans ses Causeries, autrement dit dans les Satires et dans les Épîtres, ne se borne pas à se raconter et à se peindre lui-même, ou à raconter et à peindre les autres. Ce n'est point assez non plus pour lui de frapper à son coin, et d'une immortelle empreinte, les préceptes de la raison pratique et du bon sens, et de revêtir de poésie les oracles de la sagesse des nations, il lui arrive quelquefois de se souvenir de la manière d'Esope, et de conter des apologues.

Personne parmi les anciens n'a jamais conté avec plus de charme. La Fontaine, pour faire un chef-d'œuvre, n'a eu qu'à traduire le piquant récit d'Horace sur les accointances du rat de ville et du rat des champs. Ce n'est pas le seul sujet heureux dont notre fabuliste soit redevable au grand poète latin. Mais on peut dire que la Fontaine n'a pas pris dans Horace tout ce qu'il y eût pu prendre, et que les apologues qu'il a négligés sont précisément les plus beaux.

Y a-t-il rien, dans la Fontaine lui-même, qui l'emporte sur le long et admirable récit où figurent l'orateur Philippe et le crieur public Vultéius Ména ? Au fond, c'est l'histoire du Savetier et du Financier mais l'apologue latin est bien plus intéressant, selon moi, et d'un ordre bien plus élevé que celui de la Fontaine.

Un récit plus court, mais non moins parfait, c'est celui où Horace nous montre un soldat de Lucullus qui se comporte en héros parce qu'il est furieux d'avoir perdu son argent, et qui ne songe plus qu'à vivre quand il sent sa bourse bien garnie

Voici un autre apologue, aussi court que celui-là, et qui ne déparerait pas, je pense, l'ample et riche comédie du bonhomme : « Il y avait à Argos un homme d'assez bonne maison, qui se figurait entendre de merveilleux acteurs tragiques, assis joyeusement et applaudissant dans un théâtre imaginaire. Du reste, capable d'observer avec exactitude tous les devoirs de la vie; bon voisin, sans contredit ; hôte aimable, époux attentif, maître indulgent pour ses esclaves, et qui ne se serait pas mis en fureur pour une bouteille décachetée; capable enfin d'éviter une pierre sur sa route, un puits ouvert sous ses pas. A force de dépenses, à force de soins, ses proches le guérirent. Après que la maladie et la bile eurent cédé à quelques doses de pur ellébore : Par Pollux, dit-il en revenant à lui-même, vous m'avez tué, mes amis, vous ne m'avez pas rendu la vie, en m'arrachant ainsi mon plaisir, et en m'ôtant par force la délicieuse erreur de mon âme. » (Épîtres II, ii , v. 128 et suivants).

J'ai insisté sur le mérite singulier de ces petites pièces, parce qu'on les aperçoit à peine dans l'admirable tissu dont elles font partie. Les critiques eux-mêmes, qui sont tous pleins des louanges d'Horace moraliste, ont oublié qu'Horace a fait des fables, et les plus belles fables qu'on ait jamais écrites en latin. Les plus savants et les mieux informés vous diront, par exemple, que l'apologue grec était un genre auquel l'imitation, avant Phèdre, n'avait pas encore touché, et que c'est là ce qui détermina la vocation de Phèdre. Non seulement Phèdre n'est pas le premier en date parmi les fabulistes latins, mais il n'est le premier ni par le génie, ni par la perfection de ses œuvres.

8. Les Odes

Que si Horace poète lyrique est venu après Catulle, après d'autres peut-être, il a été assez grand du moins pour les éclipser, et pour se faire pardonner le mensonge qu'il s'est permis contre eux en se vantant d'être le premier qui eût fait entendre à l'Italie les modes de la poésie éolienne.

Ce qui est incontestable, c'est qu'Horace a imité presque tous les rythmes grecs, et qu'il ne s'en est pas tenu, comme Catulle, à quelques-unes des formes heureuses imaginées par les héritiers de Terpandre. Nous avons remarqué ailleurs tout ce qu'Horace devait au Lesbien Alcée. Plus d'un autre, à commencer par Sappho et à finir par Pindare, retrouverait çà et là ses pensées, ses images, ses tours, ses mètres, dans ces trésors que nous a légués le génie d'Horace.

Il y a des odes entières, et parmi les plus belles, qui ne sont même que des traductions ou des imitations, du genre de celles que nous avons remarquées dans Catulle.

On connaît les originaux de quelques-unes, au moins certaines portions de ces originaux, et les noms de leurs auteurs. D'autres sont marquées à un tel point des caractères de l'esprit grec, qu'on ne peut guère hésiter à les regarder comme les conquêtes d'un art savant plutôt que comme des inspirations de la Muse romaine.

Je citerai par exemple la Prédiction de Nérée, et, dans un autre genre, le gracieux, le piquant, l'incomparable dialogue, Tant que je te fus cher. Quant aux imitations de détail, elles sont sans nombre. On connaît plus de cent passages de poètes grecs qu'Horace a textuellement reproduits.

Mais l'imitation d'Horace est une imitation féconde. Comme Virgile, à côté d'une belle chose qui n'est pas de lui il en prodigue d'autres plus belles encore, et qui ne doivent rien qu'à lui. Il y a plus, les odes les plus belles, les mieux inspirées, celles où le poète s'élève le plus haut, et où il atteint presque au sublime de Pindare, sont précisément ses odes les plus romaines, celles où il célèbre des événements contemporains et où la nature du sujet le condamnait, bon gré mal gré, à être original.

Il faut dire enfin que nul poète au monde, pas même Virgile, n'a jamais su s'approprier plus heureusement les richesses d'autrui, les faire siennes et plus que siennes par l'expression, et, comme on l'a dit, repenser ce qui avait été pensé par d'autres.

La muse lyrique d'Horace ne se maintient pas toujours dans les hautes régions de la poésie. Elle aime ce qui est grand; mais elle prend tous les tons sans effort, et il n'y a guère de sujet qu'elle dédaigne. Un assez grand nombre des odes d'Horace ne sont que de courts billets égayés de quelque image agréable, et où il laisse entrevoir une philosophie douce, indulgente et sensée.

Quelques-unes sont des satires véritables et même des satires très mordantes. Mais ce qu'Horace chante de préférence, et sur quoi ne tarit jamais sa veine, ce sont les charmes de l'amitié, les voluptés de l'amour, c'est le bon vin et la bonne chère : les odes érotiques, bachiques, les chansons, comme nous dirions, sont en majorité dans ses ouvrages. A côté d'une chanson qu'il envoie à sa maîtresse, nous lisons ou un chant pompeux où se déploient toutes les magnificences de l'antique mythologie, ou une admirable prière adressée à quelque divinité, ou une de ces odes qu'Horace a consacrées aux vieilles gloires de Rome, surtout à la gloire nouvelle d'Auguste, et où il exprime avec tant d'énergie tous ses sentiments de Romain fier de son pays, de citoyen heureux de vivre dans un grand siècle, d'homme reconnaissant et de tous les bienfaits dont le monde était redevable au prince et de tous ceux dont lui-même il était comblé.

« Les langues anciennes, dit Walckenaër, présentaient des moyens d'harmonie que n'ont pas les langues modernes, que n'a pas surtout la langue française. Dans la langue latine, les mots, fortement accentués, se composent de syllabes longues et brèves, dont la prosodie, parfaitement distincte dans la manière de les prononcer ne peut échapper à l'oreille la moins exercée et la moins sensible.

« Par la réunion ou le mélange de ces syllabes longues ou brèves, on forme un rythme ou une cadence marquant, comme dans la musique, un même intervalle de temps; l'ordre des rythmes constitue le mètre ou pied, et le nombre de ces pieds ou mètres, les différentes sortes de vers. Horace a, dans ses odes, employé jusqu'à vingt-deux sortes de vers. Qu'on juge, d'après cela, que de moyens de varier l'harmonie fournissait au poète cette belle langue latine...

« De tous les genres de poésie, celui qui exige une plus grande variété de rythmes et de mètres, une harmonie plus complète et plus savante, c'est l'ode, ou plutôt la poésie lyrique; car les divers emplois et les différents modes de ce genre de poésie ont fait donner aux différentes pièces dont ils se composent les noms de psaumes, d'hymnes, de cantates, d'odes, de chansons, compositions que les Latins désignaient toutes par le mot général de “carmen”, c'est-à-dire de vers destinés à être chantés, “carmina ad lyram”. Dans ce seul genre de poésie le poète a le droit de dire avec vérité : « Je chante » ; parce qu'en effet les premiers poètes chantaient en s'accompagnant de la lyre. On voit donc que dans la différence de la langue on trouve une explication toute naturelle de la supériorité d'Horace sur tous les poètes lyriques des temps modernes. »

9. Les Satires

Les Satires nous montrent Horace lui-même, et non plus seulement le poète, l'écrivain, le grand artiste.

C'est là qu'on le saisit déjà tout entier, avec son esprit aimable et railleur. Sa bonhomie pleine de malice, son urbanité charmante. Horace satirique n'a presque plus rien des rudesses de Lucilius. Il n'aime pas à s'irriter. Lucilius était venu à une époque où les vieilles mœurs avaient encore leurs partisans, et où plusieurs, lui–même le premier, en donnaient l'exemple.

Aussi ne put-il retenir son indignation, à la vue du luxe de quelques–uns et de la corruption universelle. Ses écrits étaient pleins de personnalités. C'était la poésie fescennine reparaissant à Rome au temps des Scipions et des Lélius ; c'était le ton de la vieille comédie grecque c'était Eupolis, Cratinus et Aristophane flagellant sans pitié leurs ennemis, et s'attaquant indistinctement à des hommes de toute classe.

Il ne s'agissait plus, au temps où Horace écrivait, de s'indigner contre le vice, de tonner contre les débordements du siècle. Le vice était partout ; les meilleurs, et Horace lui-même; en étaient infectés; d'ailleurs sa douceur naturelle ne lui permettait guère que des objurgations discrètes et mesurées. Horace sentit ce qu'il pouvait. Il n'essaya point de nettoyer les étables d'Augias ; il ne vit, ou ne voulut voir, que le côté ridicule des choses: il ne fut que gai et plaisant ; il prodigua l'ironie et les saillies agréables. Il se moqua du vice, ou plutôt de ses travers et de ses laideurs ; il lui opposa les charmes de la vertu qu'il aimait, de celle qui est toute dans la prudence et dans le savoir–vivre.

Les Satires d'Horace sont le fidèle et parfait miroir de la société contemporaine. C'est là que se réfléchissent, avec autant d'art que de vérité, la vie et les mœurs des Romains d'alors et le caractère du poète lui-même. En ne s'exceptant pas de la plupart des défauts qu'il reprochait aux autres, Horace a ôté à ses critiques ce qu'elles pouvaient avoir d'irritant ou d'acerbe; et, malgré les allusions personnelles à celui-ci ou à celui-là, il a songé bien plus à nous montrer des types qu'à peindre des individus. Il eût pu dire, aussi bien que la Bruyère : « Je ne me suis point loué au public pour faire des portraits qui ne fussent que vrais et ressemblants, de peur que quelquefois ils ne fussent pas croyables et ne parussent feints ou imaginés. »

La comédie elle-même, si Rome avait eu une vraie comédie, ne reproduirait pas mieux le mouvement et la physionomie de tout ce qui se remuait dans la ville éternelle. Les Satires d'Horace nous tiennent lieu, en quelque sorte, du théâtre absent. Le nombre des originaux dont Horace a peint ou esquissé les figures est considérable; et, si l'espace nous le permettait, nous nous donnerions le plaisir d'en passer la piquante revue. Nous n'aurions, du reste, qu'à transcrire quelques-unes des belles pages que M. Patin a consacrées à Horace ; mais le lecteur ira bien chercher lui-même ces portraits ou dans l'excellent résumé du critique, ou, ce qui vaut mieux encore, dans les vers charmants du poète. Nous nous bornerons ici à donner un catalogue raisonné des pièces diverses qui composent les deux livres des Satires.

Il y a dix satires dans le premier livre :

La première, adressée à Mécène, est comme la dédicace et l'introduction du recueil. Horace s'y moque de la folie et de l'inconséquence de ceux qui courent après la richesse.

Dans la seconde, il tourne en ridicule ceux qui sont difficiles en amour : la liberté du langage y est quelquefois portée jusqu'au cynisme.

La troisième est dirigée contre le penchant qu'ont la plupart des hommes à mal penser et à mal parler les uns des autres.

La quatrième est la réponse d'Horace aux attaques dont ses premières satires avaient été l'objet.

La cinquième est le journal du voyage de Brindes qu'Horace avait fait, l'an 37 avant Jésus-Christ, en compagnie de Mécène, de Virgile, de Plotius et de Varius.

La sixième est presque une autobiographie d'Horace. C'est là que le poète nous raconte sa naissance et son éducation, et comment, grâce à son père, il est devenu digne de compter entre les amis des hommes les plus puissants.

La septième a été composée à propos d'un procès comique jugé autrefois par Brutus, gouverneur de l'Asie Mineure.

La huitième est dirigée contre une espèce de sorcière nommée Canidie, ou à laquelle Horace donne ce nom, et dont il s'est aussi moqué dans les Épodes.

Dans la neuvième, l'auteur raconte les importunités d'un poète bavard et bel esprit.

La dixième est purement critique, Horace y défend le jugement qu'il a porté sur Lucilius dans la quatrième. Nous en avons transcrit ailleurs les principaux passages.

Le deuxième livre ne contient que huit satires :

La première est un dialogue plein de grâce, d'ironie et de gaieté, entre Horace et le jurisconsulte Trébatius. Le poète répond aux critiques qu'on a faites de ses ouvrages, et dit en passant quelques bonnes vérités à ses antagonistes.

La deuxième est une diatribe contre le luxe et les débauches des Romains. Horace est ici plus vif qu'à l'ordinaire ; mais ce n'est pas lui qui parle, c'est le paysan sabin Ofellus.

Horace, dans la troisième, tourne en ridicule l'austérité affectée d'un philosophe stoïcien.

La quatrième est un dialogue entre Horace et le gastronome Catius, qui lui débite avec emphase une nouvelle théorie culinaire.

La cinquième est dirigée contre les intrigants qui flattaient les vieillards et les malades, dans l'espoir de succéder à leurs biens en vertu de dispositions testamentaires.

La sixième est un éloge de la campagne et du bonheur de la vie champêtre.

Dans la septième, Horace suppose qu'un de ses esclaves, usant de la liberté des Saturnales, lui reproche l'inconséquence de sa conduite et les défauts de son caractère.

La huitième est la description ironique d'un mauvais repas que Mécène avait fait chez un avare.

Le style des satires est varié comme les sujets mêmes. Le poète touche à tout, parle de tout, et toujours avec le ton que comporte chaque chose. Comme le Chrémès de la comédie, il élève quelquefois la voix, et ses accents atteignent à l'éloquence. En général, c'est une causerie vive et franche, pleine de tours et d'expressions pittoresques; c'est je ne sais quoi de net, de court; de rapide; c'est la simplicité, le naturel, la délicatesse mêmes: nulle trace ni d'affectation, ni de bel esprit, ni d'emphase.

Horace définit lui-même cette poésie une conversation, des vers qui se rapprochent de la prose. Il n'a rien négligé, en effet, pour reproduire tous les mouvements, tous les caprices, le scintillement, pour ainsi dire, d'un entretien familier. L’hexamètre, entre ses mains, s'assouplit, avec une merveilleuse facilité, à des usages pour lesquels l'ïambe seul semblait avoir été fait.

La négligence de la versification n'est qu'apparente. En y regardant avec soin, on reconnaît, sous ces formes si peu apprêtées, sous ce laisser aller gracieux, un art non moins consommé que celui qui apparaît manifestement dans les compositions lyriques d'Horace.

Le poète ne fait rien au hasard. Ce n'est pas sans dessein qu'il dépouille le rythme épique de sa majesté habituelle. Ce n'est qu'en le ramenant à sa simplicité primitive, ce n'est qu'en faisant avec un labeur d'artiste ce que les Grecs faisaient naturellement et sans aucun effort, c'est-à-dire en alliant une exquise harmonie avec les coupes les plus libres et les plus variées, qu'Horace pouvait l'amener à tout peindre et à tout exprimer, et, au besoin, à ressembler à la prose sans cesser d'être digne de la poésie.

Ajoutons que, dès que le poète rencontre en chemin quelque grande idée, quelqu'un de ces grands principes devant lesquels expire sa raillerie, aussitôt la phrase s'anime d'un souffle plus puissant elle prend une ampleur vraiment majestueuse, et les vers n'ont plus rien à envier, ni pour la facture, ni pour la noblesse, ni pour la gravité, à ce qu'on lit de plus beau dans les Géorgiques, dans l'Éneide même.

10. Les Épîtres

Le style des Épîtres est le même que celui des Satires, mais avec un degré de plus dans l'habileté de l'exposition, dans la mise en oeuvre des idées, dans la perfection du bien–dire, dans celle de la versification.

Au reste, c'est le même ton, c'est le même laisser aller apparent, c'est la même image d'une causerie aimable. Toute la différence, c'est qu'Horace, dans les Épîtres, donne des conseils et fait des leçons, tandis qu'il se moquait du vice dans les Satires. Les épîtres du premier livre roulent sur des sujets de morale. Horace traite, dans celles du second livre, des questions de goût et de littérature. Il y a vingt épîtres dans le premier livre, les unes sérieuses, la plupart légères et badines. C'est dans cette espèce de correspondance poétique qu'on aperçoit le mieux tout ce qu'il y avait de bon, de sympathique et de tendre dans le caractère d'Horace, malgré sa malice, malgré son irrésistible penchant à la raillerie.

Le deuxième livre contenait originairement trois épîtres. De ces trois épîtres les éditeurs en ont détaché une, qui figure à part sous le nom d'Art poétique; en sorte que le deuxième livre proprement dit n'a plus maintenant que deux pièces. Il est vrai que ces deux pièces sont considérables : l'une a plus de deux cent cinquante et l'autre plus de deux cents vers.

La première fut composée en réponse à une lettre où Auguste se plaignait d'être négligé par Horace. Horace s'excuse en peu de mots, puis fait une espèce de précis de l'histoire des lettres latines. Nous avons eu maintes fois l'occasion de citer, sinon toujours d'approuver, les jugements du spirituel mais trop peu impartial critique.

La seconde épître est adressée à Julius Florus. Horace y fait la critique des mauvais écrivains dont Rome fourmillait; il entre dans une foule de détails curieux sur l'état de la littérature durant l'époque la plus florissante du règne d'Auguste. C'est là que l'on voit combien le goût des choses de l'esprit était devenu général, sinon toujours parfaitement éclairé, et combien la Rome d'Auguste et de Mécène, de Virgile et d'Horace, ressemblait peu à la Rome des Scipions et du vieux Caton, où Ennius était presque dépaysé, où Plaute avait besoin de travailler à se faire un peu barbare, où les grâces de Térence étaient presque en pure perte, où Lucilius ne trouvait guère qu'à gémir et à maudire.

Le seul défaut des deux grandes épîtres littéraires, c'est la prévention d'Horace contre les vieux auteurs romains ; c'est ce mépris systématique, que nous lui avons plus d'une fois reproché, pour tout ce qui n'appartenait point à la brillante génération dont lui-même et ses amis faisaient la gloire.

Mais ce défaut n'ôte rien à la verve du poète, ni à son originalité ; bien au contraire ! Plus calme et plus équitable, peut-être eût–il été moins vif, moins spirituel, moins plein d'aimables caprices et de piquantes saillies.

Je ne parle pas d'un autre défaut que quelques-uns relèvent dans ces épîtres, comme dans celles du premier livre, comme dans toutes les satires, en un mot dans toutes les Causeries, savoir, le désordre de la composition, l’imprévu dans la succession des matières, les sauts brusques d'un sujet à l'autre, les retours non moins brusques à des sujets auparavant laissés.

Ce prétendu défaut n'est qu'une qualité de plus, dans des poèmes qui n'ont nulle prétention à se montrer comme des ouvrages de métier; qui ne sont ou qui ne veulent être que des conversations, et où le point suprême de l'art, c'est que l'art ne se trahisse jamais, et qu'on n'aperçoive ou qu'on croie n'apercevoir jamais que la nature.

Horace a surabondamment prouvé, dans les Odes, qu'il savait composer : il n'y a pas une de ses pièces lyriques, même celles où il affecte le plus de se dire transporté hors de lui-même, qui ne soit un tout parfaitement ordonné, parfaitement irréprochable. Un commentateur d'Horace a pu aller jusqu'à avancer qu'il y a, au fond de chaque ode, un syllogisme en forme. C'est beaucoup dire sans doute, et cette vision de pédant peut aller de pair avec la folie de ceux qui prétendent réduire les plans des odes de Pindare à un certain nombre de figures de géométrie.

Mais les plans lyriques d'Horace, pour n'avoir rien de scolastique, n'en sont pas moins réels et visibles à qui sait y regarder, plus réels et plus visibles encore que ceux de Pindare. Quant aux Épîtres et aux Satires, si elles n'ont pas de plan, ou si elles paraissent n'en point avoir, c'est qu'Horace l'a voulu ainsi ; et j'ajoute, avec tous les vrais critiques, que non seulement il a pu mais qu'il a dû le vouloir.

11. L’art poétique

Ce titre d'Art poétique est assez mal inventé, et n'est propre qu'à faire accuser Horace d'une foule de péchés dont il est innocent, ou dont on ne saurait raisonnablement lui refuser le pardon si l'on songe qu'il n'a point eu la prétention d'écrire un poème didactique, mais de causer de littérature avec deux amis, comme il avait fait avec Auguste et avec Florus dans les deux épîtres du second livre.

L'Art poétique n'est réellement, et n'était dans la pensée d'Horace, que l'Épître aux Pisons. Peu importe donc que tout y soit jeté à peu près au hasard et pêle–mêle. Cette causerie a tous les caractères des autres causeries d'Horace. N'y cherchez que ce qu'y a voulu mettre le poète.

Ne vous effarouchez pas s'il rompt çà et là le fil capricieux de sa pensée, s'il se raccroche quelquefois à un mot, a quelque idée secondaire, s'il ne revient à son sujet apparent qu'après de longs détours et des digressions sans nombre. Il est toujours dans son sujet réel il ne cesse pas un instant de faire œuvre, avec les Pisons, d'un conseiller plein de goût, d'un mentor littéraire.

C'est Boileau, ce n'est pas Horace, qui a prétendu rédiger un code de poésie. Devant cette simple considération tombent tous les systèmes que certains critiques ont entrepris de bâtir à propos de cette esquisse légère.

Le poème n'est pas, comme le prétendent quelques-uns, l'amas confus des restes d'une œuvre savamment composée, mise en pièces jadis par les copistes, ou du moins défigurée par toute sorte de mutilations, d'interversions, de transpositions. Ce n'est point non plus une ébauche, à laquelle Horace n'aurait pas eu le temps de mettre la dernière main.

L'Art poétique a toutes les qualités des autres épîtres, avec plus d'éclat dans certaines parties, avec des tableaux plus intéressants et plus achevés. Mais il faut dire aussi qu'on y trouve des défauts notables, que les fanatiques d'Horace ont seuls le courage de méconnaître.

Je ne reproche point à Horace de s'être beaucoup trop occupé du poème dramatique, dans un temps et chez un peuple où il n'y avait plus guère ni tragédie ni comédie; de s'être amusé à déduire les règles du drame satirique, à l'usage de poètes qui n'avaient jamais peut-être vu de satires sur la scène; je ne reviens pas non plus sur ce que j'ai déjà tant répété des criantes injustices de sa critique rétrospective.

Il s'agit d'autre chose, de véritables fautes de goût et de style. Les images du début, par exemple, manquent de précision et de netteté. Il est assez difficile, ce me semble, de comprendre comment un peintre, en posant une tête d'homme sur un cou de cheval, et en rassemblant des membres divers, qu'il recouvrira de plumes bigarrées, se trouve en même temps avoir fait une figure où un beau buste de femme se termine en un poisson hideux.

Horace oppose quelque part les premiers vers de l'Odyssée d'Homère au premier vers de je ne sais quelle épopée cyclique. Sa préférence pour le poète qui n'entreprend jamais rien sans raison n'a pas besoin d'être justifiée, bien qu'on puisse douter si c'est trop promettre, dans un poème sur la guerre de Troie, que dire « Je chanterai la fortune de Priam et cette illustre guerre. »

Mais ce qu'on ne saurait justifier, c'est l'étrange expression par laquelle Horace s'imagine caractériser le dessein d'Homère : « Il ne songe point à donner de la fumée après l'éclat du feu, mais à donner de la lumière après la fumée. » (v.443–444) Que dirons-nous de la détestable antithèse qu'a fournie à Horace la mort du grand poète Empédocle ; de cet homme froid qui saute dans l'Etna brûlant (v.465) ? rien, sinon que ce jeu de mots indigne d'Horace va trop bien avec les mauvaises plaisanteries sur le métromane, qu'il veut absolument laisser dans le fossé ou dans le puits où il est tombé par mégarde. Je pourrais signaler d'autres traits encore, que n'avoue point un goût sévère ; je pourrais même remarquer qu'Horace a manqué une fois à une des règles les plus impérieuses de la quantité latine. (Au vers 65, Horace emploie le mot “palus” pour deux brèves, ce qu'on ne saurait pardonner, dit M. Quicherat même à un si grand poète.) Mais il y a tant à admirer dans l'Art poétique, que je ne me sens pas le courage d'insister sur des vétilles.

Alexis PIERRON

 


 
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[ Textes collationnés par D. Eissart ] [ Mis en ligne sur le site "ESPACE HORACE" en octobre 2003 ]

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