I, 30
O Vénus, souveraine de Cnide et de Paphos,
Tourne le dos à ta Chypre chérie ; rends-toi
A l’appel de Glycère en son charmant sanctuaire
Où l’encens brûle.
Qu’en cortège se hâtent ton incendiaire fils,
Les Grâces et les Nymphes aux ceintures dénouées,
Et, peu drôle sans toi, la déesse Jeunesse,
Mercure aussi.
• TRADITION
Invocation à Vénus pour qu’elle se rende en cortège chez Glycère, probablement une courtisane.
• OBJECTION
Qui prononce cette prière ? sur quel ton ?
• PROPOSITION
Horace ne veut aucun bien à cette « Glycère », masque de Terentia.
• JUSTIFICATION
Même si Vénus dans les Odes a ordinairement partie liée avec Auguste, on ne doit pas exclure
a priori que le poète lui adresse une prière sincère, comme ce sera le cas par exemple en III, 26.
C’est que toute divinité a deux faces, et il existe une Vénus « décente »
(decens Venus, I, 18, 6),
tout comme, à côté du Bacchus frénétique, il existe un Liber modéré
(modici… Liberi, I, 18, 7).
La question est donc de savoir de laquelle il s’agit ici.
La réponse se profile dès lors que l’on observe l’étroit rapport qui unit cette ode à I, 19, où le
second locuteur, identifiable à l’impérial Amant, se targuait d’être possédé par la déesse de
l’amour, au point de se confondre virtuellement avec elle. Comprenons donc que si Vénus doit
se transporter chez Glycère / Terentia, elle ne pourra le faire qu’en la personne d’Auguste. Et de
fait, au premier rang de son cortège se reconnaît « l’Enfant », qualifié de « tête brûlée »
(feruidus… puer), le même, faut-il croire, que celui de I, 13
(puer furens) qui enfonçait ses
dents dans la chair de sa maîtresse. Les Grâces et les Nymphes vont de pair comme dans l’ode I, 4,
et n’ont pas plus de pudeur, puisqu’elles ont dénoué leurs ceintures, geste suffisamment suggestif ;
quant à la Jeunesse personnifiée, le prosaïsme de l’adjectif (parum comis) qui la déprécie en tant
que telle et l’asservit à Vénus suffit à dissocier de cette prière le poète qui en I, 25 nous montrait
« la joyeuse jeunesse » qui préfère le lierre au myrte, Apollon à Vénus. Enfin arrive Mercure, mais
à quel titre ? Dès l’Antiquité on avait l’idée qu’il figurait là en tant qu’entremetteur, et que donc
Glycère était une courtisane. Ou une femme adultère, ajoutera-t-on, car Terentia est volontiers
assimilée dans les Odes à une courtisane (scortum, II, 11, 21).
Inutile de préciser que ce Mercure-là
n’a rien de commun avec le Mercure que vénère Horace, un quiproquo qui exerce notre sens critique
depuis l’ode I, 2, se poursuit en I, 10 et I, 24, et ressurgira en II, 7, II, 17 et III, 11.
Est-ce donc l’intéressée elle-même qui parle, se désignant à la troisième personne (un peu comme
dans l’ode III, 12), ou bien l’Amant, ou encore Horace contraignant sa voix ? La question est sans
doute indécidable, et somme toute secondaire.