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CACOZELIA LATENS: Les Odes sous les Odes

UNE NOUVELLE LECTURE DES ODES D'HORACE

Traduction inédite et commentaires par Jean-Yves MALEUVRE

 

II, 6
 
Septime, tu me suivrais jusqu’à Gadès, jusque
Chez le Cantabre encore rétif à notre joug,
Jusqu’aux Syrtes barbares, où la vague mauresque
Sans fin fait rage.
 
Mais moi, c’est à Tibur que je voudrais rester.
Un immigrant d’Argos la fit jaillir du sol.
J’y finirais mes jours, las des routes, las des mers
Et de la guerre.
 
Que si ce vœu si cher m’est dénié par les Parques,
Je sais un fleuve, le Galèse, où boivent des brebis
Vêtues de peaux ; j’irais là-bas, dans les campagnes
Du roi spartiate.
 
Ce petit coin de l’univers plus que tout autre
Me sourit, même si ce n’est pas de l’Hymette
Que descendent ses miels, et si l’olive y cède
Au vert Vénafre ;
 
Longs printemps, hivers tièdes : Jupiter l’a gâté.
La vallée de l’Aulon est aimée de Bacchus,
Ses grappes sont si belles qu’elles voient le Falerne
Sans l’envier.
 
Tel est le lieu béni qui tous deux nous réclame
Sous les tours de Tarente. Là tu rendras l’hommage
D’une larme à la cendre encore brûlante du
Poète ami.

• TRADITION

Horace invite son ami Septimius à l’accompagner à Tarente. Il ne lui déplairait pas d’y terminer ses jours en sa compagnie et d’y expirer dans ses bras.

• OBJECTION

Le futur sparges, à l’avant-dernier vers, établit comme certain qu’Horace mourra avant Septimius : qu’est-ce donc qui lui donne cette assurance, surtout si cet ami est plus âgé que lui (éventualité envisagée dans La mort de Virgile…) ? Pourquoi d’ailleurs se voit-il finir sa vie à Tarente, alors que dans la deuxième strophe il déclare vouloir se fixer définitivement à Tibur, sauf si les Parques le lui interdisaient, ce qui n’est pas le cas pour le moment ?

• PROPOSITION

Horace n’a aucune intention de s’installer à Tarente, et encore moins d’y rendre l’âme. S’il veut y aller, c’est pour s’acquitter d’un triste devoir envers un ami cher, un poète, dont les cendres encore tièdes reposent dans cette ville. Un poète qui ne peut être que Virgile. La pièce se rattache donc à cette constellation d’odes (I, 3 ; 28 ; II, 6 ; 9 ; 20 ; IV, 12) que l’on pourrait qualifier d’« odes sacrées », parce que l’auteur, au péril de sa vie, les a consacrées à la dénonciation du meurtre de Virgile par l’empereur Auguste (cf. La mort de Virgile…).

• JUSTIFICATION

Ne revenons pas sur l’analyse structurelle qui montre que le livre II comprenait initialement 17 pièces, et que 6, 9, 20 y furent ajoutées dans un second temps (voir La mort de Virgile…). Mais il se trouve que des considérations internes, en particulier l’allusion à la toute récente pacification des Cantabres, l’ont parfois fait dater de l’année même de la mort de Virgile, -19, tout comme d’ailleurs I, 3 et II, 9. Et est-ce à quarante ans que l’on parle de sa vieillesse et que l’on aspire si fort à la retraite ? En -19, Horace allait avoir 47 ans, l’âge où à Rome l’on devenait senior.
Virgile est omniprésent dans le poème par de nombreux échos à son œuvre, notamment aux Géorgiques, ainsi que par de subtils rappels de l’ode I, 17, à lui dédiée sous les traits de Tyndaris. On trouve même l’anagramme de son nom au v. 17 (chiffre non banal) : Ver ubi longum…
Naturellement, cette ode suprêmement envoûtante était aussi suprêmement dangereuse pour son auteur. Réduite à son épure, elle serait d’une clarté aveuglante : « Septime, toi qui me suivrais au bout du monde, prépare tes bagages : nous partons d’urgence pour Tarente, où nous nous recueillerons sur les cendres encore tièdes du poète ami ».
D’où les indispensables précautions d’écriture : une berceuse parenthèse qui crée l’atmosphère mais en même temps fait perdre le fil ; la savante progression des temps : de petam, un subjonctif conditionnel, à postulant, un indicatif présent qui n’admet pas la discussion et vaut un impératif, jusqu’au saisissant futur sparges, qui nous transporte décidément du virtuel au réel ; enfin, ce si fragile rempart du singulier recouvrant un pluriel (spargemus). Cela ou le silence ; cela ou la mort.

 
 
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