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CACOZELIA LATENS: Les Odes sous les Odes

UNE NOUVELLE LECTURE DES ODES D'HORACE

Traduction inédite et commentaires par Jean-Yves MALEUVRE

 

III, 10
 
Si tu buvais, Lyké, au lointain Tanaïs,
Epouse d’un barbare, tu pleurerais pourtant
De me voir couché là sur ton seuil, exposé
Aux Aquilons de ces pays.
 
Entends-tu à ta porte le vacarme des vents
Et le mugissement des arbres dans le parc
De ton palais ? Et Jupiter dans le ciel clair
Qui durcit en glace les neiges ?
 
Abdique cet orgueil que Vénus désavoue
Et ne fais pas courir ta quenouille en arrière.
Pour jouer les Pénélopes intraitables aux amants,
Descends-tu de rois tyrrhéniens ?
 
Oh ! bien qu’aucun cadeau, bien qu’aucune prière,
Ni le teint violacé des amoureux transis,
Ni ton mari entiché d’une Piérienne,
Ne te fléchissent, au moins épargne
 
Tes suppliants, toi qui es tendre comme un chêne,
Et douce dans ton cœur comme les serpents maures :
Ce corps se lassera de supporter toujours
Les intempéries sur ton seuil.

• TRADITION

Horace traite sur le mode ironique un thème bien connu de l’élégie : la plainte de l’amoureux devant la porte close de sa belle (ou paraclausithyron).

• OBJECTION

S’il est dans la loi du genre de reprocher à la belle son insensibilité, l’ode va bien au-delà, et tout se passe comme si ce prétendu exercice d’école n’était qu’un prétexte pour régler des comptes envers cette femme. Pourquoi lui en veut-il ainsi ?

• PROPOSITION

Lyké masque Terentia, qu’interpelle son amant.

• JUSTIFICATION

Cette riche Romaine qui vit dans une demeure splendide ornée de jardins (v. 5-6) est mariée (str. 3 et v. 15) à un homme ultra-civilisé, voire quelque peu complaisant (v. 2 par implication), dont les origines étrusques pourraient être évoquées par les v. 11-12, où l’on a trop vite fait de ramener Tyrrhenus à un simple Tuscus (« étrusque »), alors que le premier vers de III, 29 incite plutôt à y voir une référence nobiliaire, et même, précisément, une allusion à Mécène, ce « descendant tyrrhénien de rois ». La doxa s’égare donc en restreignant la portée de la négation à Penelopem difficilem, et en s’imaginant qu’Horace attaquerait aussi grossièrement les mœurs étrusques (« étant étrusque, tu es une femme facile »).
Il faut toutefois convenir qu’une construction n’annule pas l’autre, et que cette si basse attaque est bel et bien présente, ce qui constitue un sérieux indice pour attribuer au locuteur ennemi la responsabilité de l’ode. Après tout, l’ode III, 7 ne nous annonçait-elle pas une « plaintive sérénade » de la part d’Enipée sous les fenêtres d’Astérie, en l’absence de ce bon Gygès ? Et en III, 9 Lydia ne réintégrait-elle pas triomphalement le domicile conjugal dont elle avait été chassée ?
Sûr de son ascendant, l’amant ne se prive pas d’accabler de sarcasmes cette « Louve » (c’est le sens du mot « Lyké » : prostituée, donc, scortum, II, 11, 21) qui, plus par jeu que par vertu, lui refuse l’entrée. Ainsi au v. 10 lui demande-t-il de ne pas imiter la fidèle épouse d’Ulysse qui défaisait le soir le travail de sa journée afin de retarder le plus possible le moment où, sa tapisserie terminée, elle devrait céder aux exigences des prétendants. Pour qui se prend-elle en effet ? Ce n’est pas elle, mais son mari, qui descend de rois… Mais bizarrement, les interprètes obscurcissent ce vers 10 en allant chercher, pour expliquer le mot rota, toute sorte d’objets hétéroclites, tels que yoyo, roue de char, tour de potier ou élévatrice de fardeaux (le fardeau étant constitué soit par Lyké elle-même, soit par son orgueil), au lieu de penser d’abord, s’agissant de Pénélope, à un métier à tisser (cf. les toiles de Néobulé en III, 12).
L’empreinte du locuteur ennemi se fait spécialement sentir dans la strophe 4, quand il se moque de ces amants « au teint de giroflée », et surtout de ce mari « blessé par une concubine piérienne ». Comprenons que le mot amantium est un faux pluriel qui désigne déjà le mari. La pensée est fuyante, reptilienne : « O toi que ne fléchit pas même ton mari (mais il faut dire qu’il te trompe), au moins aie pitié de moi, qui suis à tes pieds ». Chloé, la « concubine » en question, vient de Thrace, on le sait (III, 9, 9), mais le Piérus est en Macédoine, et c’est une bonne approximation, surtout que cette montagne était celle des Muses, et peut donc évoquer les qualités artistiques de Chloé (III, 9, 10). Mais le terme paelex l’insulte, elle et les Muses.
L’homme ose pimenter sa comédie d’échos à l’églogue 10, où Virgile camouflait l’agonie, trop réelle hélas, de son ami Gallus (voir I, 33 ; 34 ; 35) : Auguste mime cette même agonie pour s’amuser avec Terentia aux dépens de Mécène. Un jeu sadique qu’il maîtrise totalement : « Plus tu es dure, plus tu me plais (cf. Ov. Amor. II, 19). Mais si ton mari souffre pour de bon, moi c’est pour rire. N’oublie pas qui est le maître : maintenant, cela suffit, ouvre (v. 19-20) ».

 
 
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