III, 17
Aelius, toi qui descends de l’antique Lamus
(Car les premiers Lamia tirent de là leur nom,
Nous assurent les fastes, et tous l’ont conservé
A travers les générations ;
Tu as ton origine en ce glorieux ancêtre
Qui le premier, dit-on, fut maître de Formies
Et détint le Liris dont les ondes recouvrent
Les rivages de Marica,
Tyran loin à la ronde), la tempête demain,
Précipitée par le vent d’est, jonchera le bois
De feuilles, et d’algues encombrera la plage,
Si ne ment l’augure de pluie,
La corneille chargée d’ans : pendant que tu le peux,
Ramasse du bois sec ; demain tu soigneras
Au vin pur ton Génie, et tueras le cochon
Avec tout ton monde en congé.
• TRADITION
Ce billet d’anniversaire, où Horace se livre à un délicieux badinage sur les origines nobiliaires de la famille Lamia, s’adresse probablement à Lucius, l’ami d’Auguste (cf. I, 36).
• OBJECTION
Le ton demande à être soigneusement défini : simple taquinerie, ou moquerie offensante ? Certaines négligences surprennent, comme l’inepte répétition de l’adverbe cras, « demain » (v. 9 et 14), ou encore l’accusatif fastos (au lieu d’un fastus, trop charitablement rétabli par certains éditeurs), sans parler de l’impossible syntaxe de la parenthèse digressive, qui conduit des éditeurs peut-être trop coopératifs à corriger ducis, 6 en ducit.
• PROPOSITION
Auguste exerce son humour particulier aux dépens des frères Lamia (cf. I, 36).
• JUSTIFICATION
Parler pour ne rien dire, rarement l’expression fut mieux appropriée, puisqu’au fond
cette pièce n’a pas véritablement d’objet, à part ce curieux message : « ramasse du bois
mort tant que tu le peux encore » ! Cela assorti d’une pompeuse digression sur le mythique
Lamus, cet anthropophage, d’un bulletin météorologique où la corneille tient lieu
d’« augure », et d’un froid croquis de l’anniversaire qu’Aelius s’apprête à fêter le
lendemain. Si l’on compare cette ode à l’exquise I, 26, où Quintus se voyait honorer
comme un authentique initié des Muses, il saute aux yeux que nous ne sommes plus
du tout sur le même plan. Dire que celle-ci s’adresse à Lucius, l’ami et affidé d’Auguste
(cf. I, 36), ne résout pas la question, car après tout les deux frères sont également visés
à travers la présentation caricaturale qui est faite de l’origine de leur famille. Pour ce
qui est de Lucius, on ne s’inquiétera pas trop de sa réaction, car il est probable que ces
vers ne le heurtèrent pas plus qu’ils ne heurtent aujourd’hui nos universitaires, qui y
goûtent l’urbanité la plus raffinée, et ne doutent pas de leur caractère
honorifique.
Mais Quintus, ce Quintus que l’ode I, 26 adoubait dans l’ordre des « amis des Muses »,
et donc des initiés, avait certainement trop de sensibilité littéraire pour ne pas être
offusqué par de si douteuses plaisanteries, sauf, bien entendu, s’il en attribuait la
responsabilité à qui de droit, c’est-à-dire à Auguste, ce qui, instantanément, les changeait
en charge contre celui-ci.
Cette simple clé suffisait pour aiguiser des traits qui paraissaient bien émoussés,
tel le princeps du v. 7, ou le late tyrannus du v. 9 (en débordement strophique),
titres qui, dans la bouche du Princeps et rex de Rome (cf. I, 36, 8), se colorent de
sarcasme et de dérision. Mais le bouquet de ce (terne) feu d’artifice, c’est peut-être
l’allusion finale au Génie que régalera Aelius. Car sous l’apparent constat du futur,
qui ne fait guère sens, peut fort bien se tapir une injonction, ce qui impliquerait que
l’homme est invité à célébrer non pas son propre anniversaire, mais celui du
« Prince tyran à la ronde » qui lui adresse ce billet, et qui était né un 23 septembre,
date qui correspond parfaitement à la saison ici décrite. On sait en effet que tous les
Romains étaient censés honorer le Génie d’Auguste comme le leur propre, que
cela leur plût ou non…