ACCUEIL  |   OPERA OMNIA  |   ŒUVRES CHOISIES  |   POSTÉRITÉ LITTÉRAIRE  |   ÉTUDES  |   TRADUCTIONS ANCIENNES 

CACOZELIA LATENS: Les Odes sous les Odes

UNE NOUVELLE LECTURE DES ODES D'HORACE

Traduction inédite et commentaires par Jean-Yves MALEUVRE

 

III, 20
 
Tu ne vois pas, Pyrrhus, comme il est dangereux
D’enlever ses petits à la lionne gétule ?
Avant peu, ravisseur apeuré, tu fuiras
Les durs combats,
 
Lorsqu’à travers la haie des jeunes gens armés
Elle ira réclamer le splendide Néarque :
Grand défi de savoir qui de vous deux aura
Plus de butin !
 
Pendant que du carquois tu sors tes traits rapides
Et qu’elle aiguise, elle, ses redoutables crocs,
L’arbitre de ce duel a mis, dit-on, la palme
Sous son pied nu
 
Et rafraîchit à la caresse de la brise
Son épaule où se jouent ses boucles parfumées :
Tel fut le beau Nirée, tel l’enfant ravi à
L’humide Ida.

• TRADITION

C’est une pure fantaisie littéraire, superbement exécutée.

• OBJECTION

A quoi rime cette pièce si nous ne savons rien des protagonistes, et sommes même incapables de déterminer si la « lionne » représente la mère du beau Néarque ou une maîtresse jalouse ? Peut-on faire comme si les Odes étaient composées de pièces isolées, sans chercher à tirer parti des multiples échos qui les relient les unes aux autres ?

• PROPOSITION

Sous les traits de Pyrrhus, Mécène tente en vain de disputer Terentia, travestie en Néarque, à son impérial amant représenté sous les traits d’un fauve, ce qui ne surprendra pas le lecteur de l’ode précédente.

• JUSTIFICATION

La nonchalance étudiée de Néarque qui pose un pied dédaigneux sur la palme en agitant sa chevelure sur son épaule en guise d’éventail évoque la savante coquetterie mise en jeu dans l’ode I, 5 par Pyrrha nouant-dénouant ses cheveux « au fond de l’aimable grotte » pour le plus grand envoûtement de son crédule partenaire (noter l’écho de odoratis, 14 à odoribus, I, 5, 2). De là à penser qu’il s’agit de la même personne, c’est ce que pourrait accréditer le nom de Pyrrhus que porte ici le « chasseur », qui s’identifierait donc à Mécène. D’ailleurs, la formule d’avertissement Non uides quanto… ? (v. 1) est reprise des odes I, 9 (Vides ut… ?) et I, 14 (Nonne uides ut… ?), toutes deux secrètement adressées, comme on l’a vu, à ce même Mécène. Celui-ci n’a évidemment aucune chance face à un rival aussi redoutable qu’une lionne gétule, image déjà utilisée en I, 23 et qui reviendra en III, 27, 53-56. Sûr de sa force, ce fauve s’avance « à travers la haie des jeunes gens armés » (per obstantis iuuenum cateruas / ibit, 5-6), imitant ainsi Jupiter qui, en III, 16, transmué en métal précieux, « se fraye un chemin à travers les gardes armés » (per medios ire satellites, 9). Pyrrhus s’affronte donc à un Jupiter terrestre, ainsi que le confirme l’évocation de Ganymède dans la strophe finale. Cette troupe de jeunes gens armés embarrasse d’ailleurs assez les interprètes, qui tantôt y voient les compagnons de chasse de Pyrrhus, tantôt le groupe des admirateurs de Néarque. Mais la préposition per étant apte à exprimer la protection ou l’agent aussi bien que l’obstacle, rien n’indique qu’il ne s’agisse pas plutôt des gardes du corps de la « lionne », possibilité voilée par la métaphore.
Le paradoxe, c’est que le mari légitime soit présenté comme un raptor, un « ravisseur » (v. 4), à la manière d’un Pâris par exemple, évoqué par plusieurs rappels de l’ode I, 15, entre autres quanto moueas periclo, 1 (quanto moues funera, I, 15, 10), fugies inaudax, 3 (fugies mollis, I, 15, 31), per obstantis iuuenum cateruas… repetens, 5-6 (quam multo repetet Graecia milite, I, 15, 5-6), rencontre qui confirme l’interprétation de per proposée à l’instant. Affligeante est l’image que Mécène donne de lui-même (car on en parle : fertur, 13, « dit-on ») ; clair le message : « Abandonne cette lutte insensée où tu n’as rien à gagner et tout à perdre ». Elle est de la même race que son amant (catulos, 2), lequel en la réclamant ne fait que récupérer son bien : meae était le dernier mot de la pièce précédente.

 
 
 ACCUEIL  |   OPERA OMNIA  |   ŒUVRES CHOISIES  |   POSTÉRITÉ LITTÉRAIRE  |   ÉTUDES  |   TRADUCTIONS ANCIENNES 
[ XHTML 1.0 Strict ]  —  [ CSS ]