III, 26
C’en est fait de ma vie au service des filles.
Je n’étais pas mauvais soldat, j’ai eu ma gloire ;
Mais aujourd’hui, fini la guerre : mes armes
Et mon luth resteront suspendus à ce mur
Qui garde le flanc gauche de la Vénus marine.
Portez, portez ici les torches enflammées,
Les leviers et les arcs qui hier encore
Menaçaient les battants des portes interdites.
Déesse, toi qui tiens la bienheureuse Chypre
Et Memphis qui se rit des neiges sithoniennes,
O reine, de ton fouet très haut levé
Touche une fois au moins l’arrogante Chloé.
• TRADITION
Horace prend sa retraite amoureuse et consacre à Vénus sa lyre et ses « armes ».
• OBJECTION
Si le lien structurel qui unit I, 5 à III, 26 a été clairement mis en évidence par la critique, celle-ci devrait se demander par quelle étrange amnésie le poète a oublié que cette retraite, il l’avait déjà prise dans la première pièce (voir aussi II, 4, 21-24). D’autre part, qui est cette Chloé dont il semble à peine guéri ?
• PROPOSITION
L’énonciateur n’est pas Horace, mais Mécène.
• JUSTIFICATION
Puisque dès l’orée du Recueil (ode I, 5) Horace se dit personnellement hors de
danger par rapport à Vénus, et recommande implicitement au naïf amant de Pyrrha
d’imiter sa conduite en consacrant comme lui ses vêtements à la divinité marine,
il est logique de supposer que la voix que nous entendons à la fin d’un long et
douloureux parcours où le crédule « Enfant » est tombé et retombé, n’est autre
que celle de ce rescapé lui-même, autrement dit de Mécène.
La métaphore militaire est reprise de ce passage central de l’ode III, 16 où Horace
s’était effacé pour laisser Mécène annoncer sa décision de « déserter le camp des
riches », c’est-à-dire de renoncer à disputer Terentia à son tout-puissant amant.
Aujourd’hui, il consacre à Vénus cet arc qu’il portait encore dans l’ode III, 20 :
« Pendant que du carquois tu sors tes traits rapides… ». Sa lyre aussi : celle sur
laquelle il chantait la sérénade à la belle infidèle ? Comme ce nocturne exercice
est plutôt l’affaire de l’amant (I, 25, 5-8 ; III, 7, 29-32 ; III, 10), on préférera peut-être
penser que l’instrument appartient plutôt à Horace, qui l’avait mis au service
de l’ami avec lequel il est solidaire.
On ne peut pas dire que le « soldat d’amour » se retire de gaieté de cœur : uixi à
lui seul signifie « je suis mort », et defunctum, au v. 3 reste dans ce registre ; on
peut percevoir aussi une pointe d’ironie amère dans les compliments qu’Ego
s’adresse à lui-même (idoneus, 1, « apte » ;
non sine gloria, 2, « pas sans gloire »),
voire dans l’emplacement choisi pour le dépôt des armes, la gauche plutôt que la
droite. Mais le plus inquiétant, c’est la supplique finale, qui, bien qu’elle laisse
dans le flou la véritable nature du châtiment appelé sur Chloé (déjà rencontrée en I, 23),
manifeste que la braise couve encore sous les cendres de ce cœur.