IV, 3
Celui sur qui, ô Melpomène,
Tu as posé dès sa naissance un œil serein,
Les jeux isthmiques n’en feront pas
Un fameux pugiliste, aucun ardent coursier
Ne le conduira victorieux
Sur un char achaïque, aucun exploit guerrier
Ne le parera de laurier,
Glorieux triomphateur des menaces des rois,
Pour le montrer au Capitole,
Mais les eaux qui arrosent la fertile Tibur,
Mais les épaisses chevelures
Des bois l’illustreront dans le chant éolien.
A Rome, reine des cités,
On daigne me placer parmi les chœurs aimables
Des vrais poètes inspirés,
Et l’on me mord déjà d’une dent moins envieuse.
O sur la lyre d’or
Toi qui modules de doux chants, ô Piéride,
Toi qui même aux poissons muets
Pourrais donner, si tu voulais, la voix du cygne,
Je te le dois entièrement
D’être montré par les passants comme celui
Qui fait vibrer le luth romain ;
Mon souffle t’appartient, mon charme si j’en ai.
• TRADITION
Comme dans l’ode III, 30, Horace s’adresse directement à la Muse Melpomène pour lui rendre grâces du don poétique qu’elle lui a accordé, et que Rome aujourd’hui consacre, exauçant ainsi le vœu formulé à la fin de la toute première ode.
• OBJECTION
Aucune. Peut-être cependant devrait-on accorder plus d’importance à l’allusion à la dent de l’Envie / Haine (Inuidia) qui, selon le poète, commence à lâcher prise (v. 16). Un lien s’établit ainsi avec l’ode II, 20, qui fait parler Virgile transfiguré dans la mort (« plus grand que la Haine »), comme si cette victoire d’Horace, encore imparfaite, sur le monstre Inuidia annonçait son propre envol dans la gloire post mortem. Le rapport à Virgile se trouve, de plus, subtilement renforcé par l’écho des vers 17-20 à ce fameux passage de la neuvième bucolique où le berger Lycidas, alias Horace (identification que la doxa ne veut pas voir), fait preuve d’une modestie excessive en estimant que ses propres vers n’arrivent pas à la cheville de ces « cygnes » que sont les Varius et les Cinna.