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CACOZELIA LATENS: Les Odes sous les Odes

UNE NOUVELLE LECTURE DES ODES D'HORACE

Traduction inédite et commentaires par Jean-Yves MALEUVRE

 

II, 2
 
Sans couleur est l’argent que la terre en ses coffres
Recèle, tu le sais, ô Crispus Sallusti,
Toi qui n’aimes le minerai que quand il brille
Hors de sa gangue.
 
Il vivra en sursis, l’ami Proculeius :
On dira qu’il aimait ses frères comme des fils.
Mais LUI, l’assassiné, une gloire immortelle
L’élève aux cieux.
 
Dompte ta convoitise et tu deviendras roi,
Un roi bien plus puissant que si tu rassemblais
La Carthage d’Espagne et celle de Libye
Sous un seul sceptre.
 
L’hydropique grossit épouvantablement
En étanchant sa soif. Il doit, s’il veut guérir,
S’attaquer à la cause et secouer la langueur
De son corps blême.
 
Phraate a recouvré le trône de Cyrus :
Un vain peuple l’envie, mais la Vertu l’exclut
Du nombre des heureux, soucieuse de garder
Leur sens aux mots.
 
Elle remet le vrai diadème et le vrai règne
-Et ses précieux lauriers- à celui-là, lui seul,
Qui devant l’étalage énorme des trésors
Ne cille pas.

• TRADITION

Au jeune milliardaire Crispus Sallustius, Horace recommande sur un ton amical (rares sont ceux qui perçoivent une critique) le bon usage des richesses en lui rappelant que seul le sage est roi.

• OBJECTION

– Un contenu aussi inoffensif, sinon affligeant, s’accorderait mal avec l’extrême tension du style. Horace ne conseille pas, il assène.
– Crispus Sallustius, qui était en train de supplanter Mécène dans les faveurs du prince, n’était pas a priori un grand ami d’Horace.
– La pièce souffre d’une étrange dispersion de la pensée : l’argent, Proculeius, l’hydropique, les Parthes, les rois, la Vertu… Elle a d’ailleurs reçu un accueil des plus mitigés.

• PROPOSITION

L’ode n’a rien d’amical, tout au contraire. Elle cache sous sa surface lisse des pointes aiguës à l’intention de Sallustius, et à travers lui de son maître Auguste, avec qui il avait comme point commun de devoir sa fortune à son adoption par un grand-oncle maternel (heres et nepos, donc). De même, Proculeius n’est pas loué mais stigmatisé.

• JUSTIFICATION

– Strophe 1 : l’interprétation commune fait dire à Horace que plus l’argent circule, plus il brille. Or, chacun sait qu’à l’inverse ce métal ternit à l’usage. Il s’agit donc non pas des pièces de monnaie, comme on le dit, mais du minerai, dont le poète évoque ici le traitement après extraction. Rappelons que le dédicataire possédait des mines d’argent.
Par ailleurs, l’ordre Crispe Sallusti, au lieu du normal Sallusti Crispe suggère un jeu de mots plein de sous-entendus : « Petit frisé de ton grand-oncle », tout comme Octave passait pour avoir gagné son adoption par certaines complaisances que la morale réprouve.
– Strophe 2 : on a toujours, par un automatisme aveugle, référé illum (« lui ») à Proculeius, avec cette fâcheuse conséquence que les v. 7-8 ne feraient que reprendre et développer extento… aeuo. Une telle prolixité n’ayant rien d’horatien, on préférera opposer les deux derniers vers aux deux premiers, en rétablissant au v. 7 le présent agit, leçon bien attestée, au lieu du futur aget. Le mot fratres, 6 nous rappelle que Proculeius était le demi-frère de ce Muréna qui fut accusé de complot et exécuté par Auguste, et auquel par deux fois encore Horace rendra un vibrant, quoique secret, hommage (cf. II, 10 ; III, 19). Alors le sens se dessine, en continuité avec la première strophe : « De même qu’à l’épreuve du feu l’argent se sépare de ses impuretés, de même l’événement a fait voir que Proculeius n’était pas ce qu’il paraît être. Il passe pour un frère exemplaire, alors que pour sauver sa peau il a abandonné Muréna ». Les circonstances exactes de la lâcheté de Proculeius, on ne les connaîtra sans doute jamais, qu’importe ? la vérité est vengée (illum, silencieusement, le crie : assassiné !).
– Strophe 3 : difficile d’évoquer ce roi sans penser à l’homme qui en effet régnait sur les provinces romaines, l’Espagne et l’Afrique entre autres. La Carthage espagnole, c’est Gadès.
– Strophe 5 : Phraate recouvre le trône de Cyrus (étymologiquement = « le Maître »), tout comme Octave avait relayé Jules César sur le « trône » de l’empire romain.
– Strophe 6 : retour à l’Argent, présenté comme symbole de la Tyrannie, le néologisme inretorto suggérant l’absence de peur devant une torture. Tenter par la corruption ou soumettre à la question, telles sont les armes du tyran. Bien entendu, uni, 22 salue l’héroïque Muréna, associé à l’inflexible Caton par la mention de la Vertu personnifiée (v. 19), autre nom de Junon (II, 1, 25).

 
 
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