III, 22
Gardienne des montagnes et des bois, ô Vierge
Qui, invoquée trois fois par les filles en couches,
Exauces leur prière et du trépas les sauves,
Déesse triple,
Je te dédie ce pin qui domine mon toit :
J’y viendrai chaque année en offrande joyeuse
D’un verrat qui s’exerce à des coups en oblique
Verser le sang.
• TRADITION
Epigramme votive à Diane. La sincérité d’Horace fait problème.
• OBJECTION
Le véritable enjeu de la pièce, qui regarde l’attitude d’Horace vis-à-vis des sacrifices sanglants, échappe à la doxa.
• PROPOSITION
Le sacrifice du verrat montre par contraste ce qu’il y avait de transgressif et de criminel dans le sacrifice du chevreau en III, 13.
• JUSTIFICATION
Mis à part IV, 2, 53-60, voici, sauf erreur, la seule et unique fois dans les Odes
qu’Horace sacrifie un animal aux dieux. Dès la pièce suivante, s’il prescrit à
Phidylé l’offrande d’une « truie vorace », il n’en précise pas moins que ce qui
agrée avant tout aux dieux c’est la pureté des intentions, une conscience sans tache ;
et il se moque de ces pharisiens qui prétendent se concilier la faveur divine à
grand massacre d’animaux. Même ironie en IV, 2, aux dépens de Julle Antoine,
qui n’immolera pas moins de dix vaches et dix taureaux, tandis qu’Horace se contentera
modestement d’un simple veau : et encore peut-on se demander, à voir le dégoût
qui perce en I, 36, 1-3, si ce veau il le sacrifiera vraiment… Le locuteur ennemi,
en revanche, croit beaucoup à ces vastes effusions de sang, même si, hélas, elles
n’ont jamais fléchi l’indomptable mort (II, 14, 5-7).
En III, 8, c’est lui, Auguste, qui dit avoir voué au dieu Liber « un doux festin et
un bouc blanc », et là encore, à travers la pénible contradiction entre le sacrifice
sanglant et ce dulcis qui implique une nourriture végétarienne
(cf. dulci, III, 13, 2),
on sent filtrer la réprobation du poète. En III, 17, ce même Auguste recommande à
Aelius Lamia de sacrifier un porcelet de deux mois à son Génie… à lui, Auguste.
On voit la différence : tournant le dos à cette idolâtrie sacrilège, Horace pour sa part
rend hommage à la Déesse primordiale, la Vierge souveraine, maîtresse des trois
mondes, qui règne sur la naissance et sur la mort. L’animal qu’il choisit est certes
formellement un verrat, mais la description suggère davantage un sanglier sauvage,
et en pleine force de l’âge. On est loin de l’ode III, 13. Celle-ci se situait au niveau
symbolique et voulait éveiller la compassion sur le sort du chevreau, image tragique
de Bacchus (rappelons que « tragique » vient du grec tragos, « le bouc »), et, à travers
Bacchus, du poète lui-même. Ici, rien de tel, le cochon n’est porteur d’aucun symbole,
son exécution est à peine suggérée (sanguine donem, « j’offrirai son sang »), c’est un
acte rituel, quasi chirurgical, effectué « dans la joie » légitime de la fête, nullement
dans le plaisir sadique qui excite l’égorgeur de III, 13, lequel viole sans scrupule les
codes les plus sacrés en ensanglantant les eaux cristallines de la fontaine.
Dans la septième bucolique, Virgile, par la voix du berger Corydon, vouait à Diane la
hure d’un « sanglier » sous la peau duquel se cachait peut-être certain Jules César,
meurtrier de poètes (v. 29-30). Il n’est pas interdit de penser que le verrat horatien
tient de ce souvenir son métissage prononcé avec le sanglier.